Ramener sur la voie tout ce qu’on rencontre

Péma Chödrön

L’enseignement du Bouddha à travers Péma Chödrön a parfaitement pénétré notre mentalité. La pratique de l’éveil n’exclut rien, pas même notre part d’ombre. Elle consiste bien au contraire à la reconnaître comme telle. Ce dévoilement est aussi ce qui nous ouvre vraiment à une relation authentique à nous même et à autrui.

Aujourd’hui, le slogan est : “Lorsque le monde est rempli de maux, transforme toutes les mésaventures dans la voie de la bodhi”. Le mot bodhi signifie “éveil”. C’est au fond le principe de base du lojong : comment utiliser les circonstances contraires et défavorables de sa vie comme matériau véritable pour l’éveil. C’est cela le précieux cadeau des enseignements du lojong : tout ce qui survient n’est pas considéré comme une interruption ou un obstacle, mais comme un moyen de s’éveiller. Ce slogan est très bien adapté à nos vies trépidantes et aux temps difficiles. En fait, il est conçu pour ça : s’il n’y avait pas de difficultés, il n’y aurait aucun besoin du lojong ou du tonglen.

Le mot bodhisattva est synonyme de guerrier qui s’éveille, qui cultive la vaillance et la compassion. Une chose qu’on peut déduire de ce slogan c’est que, sur la voie du guerrier, ou du bodhisattva, il n’y a pas d’interruption. La voie comprend toutes les expériences, tant paisibles que chaotiques. Quand les choses vont bien, nous nous sentons bien. Nous nous réjouissons de la beauté de la neige qui tombe derrière les fenêtres ou de la lumière réfléchie par le sol. Il y a un sentiment d’appréciation. Mais quand l’alarme d’incendie retentit et que la confusion éclate, nous nous sentons irrités et contrariés.

Toutes ces situations sont des occasions de pratique. Il n’y a pas d’interruption. Nous aimerions croire que, quand tout est immobile, tranquille, c’est ça le vrai truc, et quand les choses sont embrouillées, confuses et chaotiques, c’est que nous avons fait quelque chose de mal ou, le plus souvent, que quelqu’un d’autre a fait quelque chose pour détruire notre magnifique méditation. Comme l’a dit une fois quelqu’un au sujet d’une femme bruyante et autoritaire : “Mais que fait donc cette femme dans mon monde sacré”?

Ce slogan comporte un autre élément essentiel : une partie de l’éveil consiste à cultiver l’honnêteté et la vision claire. Certains pensent parfois que les enseignements du lojong signifient que, si nous ne devons pas blâmer les autres mais plutôt entrer en relation avec les sentiments qui forment la trame de notre scénario, il serait erroné de dire que quelqu’un nous a fait du mal. Cependant, être honnête, voir clairement et faire preuve de franchise consiste, entre autres choses, à reconnaître que du mal a été fait. La première noble vérité — le tout premier enseignement du Bouddha — c’est celle de la souffrance. La souffrance fait partie de l’expérience humaine. Les gens se font du mal les uns aux autres — nous faisons du mal aux autres et les autres nous font du mal. Connaître cela, c’est avoir une vision claire.

C’est un point délicat. Quelle est la différence entre le fait de voir que du mal a été fait et blâmer quelqu’un ? Peut-être s’agit-il, au lieu de pointer un doigt accusateur, de soulever les questions suivantes : “Comment communiquer ? Comment aide pour que le mal qui a été commis se défasse de lui-même ? Comment aider les autres à découvrir leur propre sagesse, leur propre bonté et leur propre sens de l’humour ?”

C’est un défi beaucoup plus grand que d’accuser, de haïr et de passer à l’acte.

Comment pouvons-nous apporter de l’aide ? On peut entrer en amitié avec ses propres sentiments de haine, de confusion et ainsi de suite. C’est alors qu’on peut les accepter chez autrui. Grâce à cette pratique, on commence à se rendre compte qu’on peut jouer tous les rôles. Ce n’est pas seulement “eux” ; c’est “nous” et “eux”.

J’avais l’habitude de ressentir une intense indignation quand je lisais des récits de parents qui maltraitaient leurs enfants, en particulier physiquement. Je m’indignais vertueusement – jusqu’au moment où je suis devenue mère. Je me souviens très clairement m’être dit, un jour où mon fils, âgé de six mois et couvert de flocons d’avoine, pleurait et hurlait pendant que ma fille, âgée de deux ans et demi, se pendait à mes basques tout en faisant tomber des objets de la table : “Je comprends pourquoi toutes ces mères maltraitent leurs enfants. Je le comprends parfaitement. C’est seulement parce que j’ai été élevée dans une culture qui ne m’encourage pas dans cette voie que je ne le ferai pas. Mais, en ce moment, tout en moi veut supprimer ces deux charmants bambins”.

Ainsi, à moins qu’on ne se trouve en train de faire avec condescendance le tonglen pour cette autre personne qui est tellement désorientée, on peut se souvenir qu’il s’agit d’une pratique dans laquelle la compassion jaillit en nous parce que nous-mêmes nous sommes déjà passés par là. Nous avons été en colère, jaloux et seuls. Nous savons à quoi cela ressemble et nous savons que, parfois, nous faisons des choses bizarres. Parce que nous nous sentons seuls, nous proférons des paroles cruelles ; parce que nous voulons que quelqu’un nous aime, nous l’insultons. Cet échange de soi-même pour l’autre commence à se produire quand on peut éprouver ce que ressent quelqu’un parce qu’on est passé par là. Cela ne se produit pas parce qu’on est meilleur qu’eux mais parce que les êtres humains sont tous du même bois. Plus on se connaîtra soi-même et plus on comprendra les autres.

Lorsque le monde est rempli de maux, comment transformons-nous les situations non désirées en voie de l’éveil ?

On peut, par exemple, faire jaillir la bodhicitta absolue. Mais la plupart des techniques concernent la bodhicitta relative, ce qui veut dire éveiller notre rapport avec notre point tendre, en rétablissant la relation avec lui, pas seulement avec ce qui nous plaît, mais aussi avec ce qui ne fait pas notre affaire.

Extrait de La voie commence là où vous êtes ©Ed.La table ronde, Paris, 1994.

 

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