Vivre en pleine conscience au quotidien

Thich Nhath Hanh

Le secret du monde sacré, le bonheur pour soi et pour autrui, réside dans notre aptitude à vivre chaque geste de la vie dans l’instant du coeur.

Un poème pour boutonner votre veste

Non seulement nous pouvons demeurer en paix quand nous sommes assis tranquillement, mais aussi quand nous sommes debout, couché, en train de marcher ou même de travailler. Qu’est-ce qui vous empêche de laisser le soleil de votre Pleine Conscience briller quand vous vous promenez, quand vous vous faites une tasse de thé ou de café ou que vous lavez vos vêtements ? Quand je devins étudiant novice au monastère Tu Hieu, j’appris d’abord à rester conscient pendant toutes mes activités – en désherbant le jardin, en ratissant les feuilles autour de la mare, en lavant la vaisselle dans la cuisine. Je pratiquais la Pleine Conscience suivant les enseignements du maître de méditation Doc The dans son petit ouvrage Principes de pratique quotidienne. Selon ce livre, nous devons être pleinement conscients de toutes nos actions. Quand nous nous réveillons, nous savons que nous nous réveillons ; pendant que nous boutonnons notre veste, nous savons que nous boutonnons notre veste ; pendant que nous nous lavons les mains, nous savons que nous nous lavons les mains. Maître Doc The composa de courts poèmes à réciter en nous lavant les mains ou en boutonnant notre veste pour nous aider à rester fermement enracinés dans la Pleine Conscience. Voici celui qu’il écrivit pour nous afin de le réciter en boutonnant notre veste :

“En boutonnant ma veste
Je souhaite que tous les êtres
Puissent conserver leurs racines du Bien
Et ne s’égarent pas”.

A l’aide de maximes comme celle-ci, il est facile pour le soleil de la Pleine Conscience de baigner de sa lumière aussi bien nos actions que nos pensées ou nos sentiments. (…)

Quelqu’un qui pratique la Pleine Conscience devient beau à voir. Un maître zen, en observant un étudiant faire sonner la cloche, balayer la cour, mettre la table, peut deviner son degré de maturité, peut jauger son “niveau de méditation” à travers ses manières et sa personnalité. Ce “niveau” est le fruit de la pratique de la Pleine Conscience, et le maître appelle celui-ci “la saveur du Zen”. (…)

Donner le bain à un Bouddha nouveau-né

Pour moi, penser que laver des assiettes est un acte désagréable peut venir du fait que vous ne le faites jamais. Une fois que vous êtes debout devant l’évier avec les manches relevées et les mains dans l’eau chaude, ce n’est pas si déplaisant que cela. J’aime prendre mon temps avec chaque plat, en étant pleinement conscient du plat, de l’eau et de chaque mouvement de mes mains. Je sais que, si je me dépêche pour pouvoir aller prendre une tasse de thé, ce moment sera pénible et pas facile à vivre. Ce sera dommage car chaque minute, chaque seconde de la vie est un miracle. Les assiettes elles-mêmes et le fait que je sois ici en train de les nettoyer sont des miracles ! J’en ai parlé dans Le Miracle de la Pleine Conscience. Chaque bol que je lave, chaque poème que je compose, chaque fois que j’invite la cloche à sonner est un miracle, et tous ces actes ont exactement la même valeur. Un jour, alors que je nettoyais un bol, je sentis que mes mouvements étaient aussi sacrés et respectueux que si je donnais le bain à un bouddha nouveau-né. S’il venait à lire ceci, ce bouddha nouveau-né serait certainement heureux pour moi, et pas du tout offensé d’être comparé à un bol.

Chaque pensée, chaque action devient sacrée à la lumière de la Pleine Conscience. Sous cette lumière, il n’y a plus aucune frontière entre le sacré et le profane. Je dois avouer que cela me prend un peu plus de temps pour faire la vaisselle mais je vis pleinement chaque instant et je suis heureux. Laver la vaisselle est à la fois un moyen et un but – parce que nous ne nettoyons pas seulement les assiettes pour qu’elles soient propres, nous lavons la vaisselle simplement pour laver la vaisselle, pour vivre pleinement chaque moment pendant que nous la faisons.

Si je suis incapable de nettoyer des assiettes joyeusement, si je veux finir au plus vite afin de pouvoir aller prendre une tasse de thé, je serai également incapable de boire mon thé joyeusement. Quand j’aurai la tasse dans les mains, je penserai à ce que je dois faire après, et l’odeur et la saveur du thé ainsi que le plaisir de boire seront perdus. Je serai toujours happé par le futur, jamais capable de vivre dans le moment présent. (…)

Le précieux sourire

En suivant votre respiration, vous avez été capable de rester pleinement conscient pendant un moment. Vous y êtes déjà parvenu un peu, n’est-ce pas ? Aussi pourquoi ne pas sourire ? Une ébauche de sourire, juste pour montrer que vous avez réussi. En voyant votre sourire, je sais sur le champ que vous demeurez dans la Pleine Conscience. Gardez toujours ce sourire épanoui, le demi-sourire d’un bouddha.

Cette légère esquisse de sourire, combien d’artistes ont peiné pour arriver à la déposer sur les lèvres d’innombrables statues du Bouddha ? Peut-être avez-vous vu ces sourires sur des visages à Angkor Vat au Cambodge, ou à Gandhara au nord-ouest de l’Inde. Je suis sûr que ces sourires étaient sur les lèvres des sculpteurs pendant qu’ils œuvraient. Pouvez-vous imaginer un sculpteur en colère donner naissance à un tel sourire ? Sûrement pas ! Je connais le sculpteur qui a créé la statue du “Paranirvana” sur la montagne Tra Cu au Vietnam. Pendant les six mois nécessaires à la sculpture de cette statue, il mangea végétarien, pratiqua la méditation assise et étudia des soutras. Le sourire de Mona Lisa est aussi très léger, juste un soupçon de sourire. Et cependant, même un tel sourire est suffisant pour détendre tous les muscles de votre visage, pour faire disparaître ennuis et fatigue. Une légère esquisse de sourire sur vos lèvres nourrit la Pleine Conscience et vous apaise miraculeusement. Ce sourire vous ramène à l’état de paix que vous avez perdu.

En marchant dans les collines, dans un parc, ou le long d’une rivière, vous pouvez suivre votre respiration, avec un demi-sourire aux lèvres. Quand vous vous sentez fatigué ou agité, allongez-vous les bras le long du corps, ce qui permet à tous vos muscles de se détendre, en restant conscient ou simplement en respirant et en souriant. Se détendre de cette façon est merveilleux, et assez rafraîchissant. Vous retirerez un plus grand bénéfice de cette pratique en l’accomplissant plusieurs fois par jour. Votre respiration consciente et votre sourire vous apporteront la joie ainsi qu’à ceux qui vous entourent. Même si vous dépensez beaucoup d’argent pour faire des cadeaux à chacun des membres de votre famille, rien que vous ne puissiez leur offrir ne leur donnera autant de joie véritable que le don de votre Pleine Conscience, de votre respiration et de votre sourire, et ces dons précieux sont gratuits.

Extrait de « La vision profonde » ©Ed.Albin Michel, Paris, 1995.

 

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