Critères de progrès de l’entraînement de l’esprit

Dilgo Kyentsé Rinpoché

Le degré d’attachement à l’égo est le critère essentiel de toute réalisation. Sans recourir au jugement flatteur des autres, un regard honnête et clair sur soi-même est la meilleure des évaluations. Cette lucidité sans complaisance est la cause des progrès véritables dans la joie et la générosité.

Le Dharma tout entier n’a qu’un seul but

Le Bouddha a donné quatre-vingt-quatre mille enseignements, tous destinés à soumettre l’attachement à l’ego. C’est la seule raison pour laquelle il les a donnés. S’ils ne servent pas d’antidote à notre attachement au “moi”, toute pratique sera vaine, comme ce fut le cas pour Dévadatta, le cousin du Bouddha. Il connaissait autant de soûtras qu’un éléphant peut en porter sur son dos, mais comme il ne pouvait se défaire de son attachement à l’ego, il tomba en enfer après sa mort.

On reconnaît l’usage correct du Dharma à la capacité plus ou moins grande à vaincre l’attachement à l’ego. Il faut donc y travailler dur.

Fiez-vous au meilleur des deux témoignages

Lorsqu’on dit de nous que nous avons très bien pratiqué la bodhicitta, nous pouvons considérer cela comme une sorte de témoignage ; au moins avons-nous réussi à donner une bonne image de nous-mêmes. Mais, réflexion faite, et sauf si les autres ont le pouvoir de lire dans notre esprit, ils ignorent si nous sommes capables d’appliquer les antidotes. Nos pensées leur restent en effet cachées.

C’est pourquoi il faut procéder à un examen minutieux : sommes-nous effectivement moins sujets à la colère, moins attachés à l’ego, capables de pratiquer l’échange du bonheur et de la souffrance ? Notre propre témoignage est le seul auquel nous pouvons nous fier. Faisons en sorte d’avoir une claire appréciation de nous-mêmes.

Milarépa dit : “Ma religion consiste à n’éprouver aucune honte au moment de la mort”. En général, les gens n’accordent aucune importance à cette façon de voir ; ils semblent calmes, paisibles, ils débordent de belles paroles et souhaitent entendre les autres dire d’eux qu’ils sont de véritables Bodhisattvas. Mais qui connaît vraiment le fond de leur pensée ? Ce que l’on perçoit n’est que leur comportement extérieur.

L’essentiel consiste à ne rien faire que l’on doive regretter par la suite ; voilà pourquoi nous devons nous observer en toute honnêteté. Malheureusement, notre attachement à nous-mêmes est si fort que même si nous possédons quelques petites qualités, nous les trouvons immenses. Et nous ne remarquons guère nos grands défauts. “Sur le pic de l’orgueil,” dit un proverbe, “l’eau des qualités ne peut rester”.

Soyons donc parfaitement circonspects. Si, après un examen soigneux, nous pouvons joindre nos mains devant notre cœur et penser honnêtement que toutes nos actions sont justes, cela prouve que nous commençons à acquérir de l’expérience dans l’entraînement de l’esprit. Nous devons alors nous réjouir de notre pratique passée et rester déterminés à mieux faire encore à l’avenir, à l’instar des grands bodhisattvas. Par tous les moyens, toujours plus, nous devons essayer d’appliquer les antidotes et d’agir de manière à être en paix avec nous-mêmes.

Soyez toujours d’humeur joyeuse

Grâce à la fermeté de leur entraînement spirituel, les maîtres Kadampas pouvaient rester d’humeur joyeuse en toute circonstance et voyaient toujours les choses du bon côté. Ainsi, même s’ils avaient contracté la lèpre, ils s’estimaient heureux, sachant que cette maladie n’entraîne pas une mort douloureuse. Bien sûr, la lèpre est terrible, mais si nous en étions frappés, il faudrait continuer la pratique de l’échange du bonheur contre la souffrance, en prenant sur nous toute la détresse des êtres atteints du même mal que nous.

Cette attitude nous rendra forts et, grâce au pouvoir de l’entraînement de l’esprit, nous nous sentirons capables d’utiliser toutes les situations difficiles comme voie d’Éveil. Quand nous pourrons le faire en toute confiance, ce sera le signe que nous avons gagné en expérience et nous resterons heureux quoi qu’il arrive.

Lorsque nous voyons des gens endurer des souffrances mentales ou physiques, ou en proie à l’adversité, prenons sur nous leurs maux, sans aucune crainte ni espoir, et faisons-en l’expérience. En particulier, bannissons de notre esprit ce genre de pensée : “Si les souffrances des autres venaient effectivement en moi, que ferais-je ?”.

Si vous pouvez pratiquer tout en étant distrait, vous avez acquis de l’expérience.

Les cavaliers expérimentés ne tombent pas de cheval. De même, si l’on sait tourner les circonstances difficiles et imprévues en avantages, et qu’au lieu de ressentir de l’irritation, on éprouve de l’amour et de la compassion, c’est là le signe que l’on a accompli l’entraînement de l’esprit. Il est donc vital de persévérer dans cette voie.

Ce genre d’expérience prouve une certaine accoutumance à l’entraînement de l’esprit, mais ne signifie pas pour autant que le travail soit fini. Même à l’apparition de ces signes, il nous faut continuer avec joie et diligence, toujours plus adeptes de cet entraînement et toujours d’humeur joyeuse. Un esprit maîtrisé et pacifié par la pratique se révélera de façon naturelle dans les activités extérieures. Comme on dit : “Quand on voit des canards, l’eau n’est pas loin” ou encore : “Pas de fumée sans feu”. Les bodhisattvas eux aussi se reconnaissent aux signes extérieurs.

Calme et sérénité attestent la sagesse,
L’absence d’émotion montre les progrès sur la voie,
La perfection ressort des vertus accomplies en rêve :
Un Bodhisattva se révèle dans ses actes.

Des signes semblables se manifesteront en nous ; cela ne veut pas dire pour autant que notre tâche s’arrête là.

Extrait de « Audace et compassion » ©Ed.Padmakara

 

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