L’essence du Dzogchen

Namkaï Norbu Rinpoché

Le fameux maître Dzogchèn Namkaï Norbu Rinpoché expose ici un bref aperçu de la vue essentielle de la grande perfection en la situant par rapport à la démarche des tantras. Dans l’approche tantrique il s’agit de transformer ou de transmuter la base en fruit par les pratiques du chemin, tandis que dans le Dzogchèn essentiel semblable à un miroir il est question d’une autolibération où base, chemin et fruit ne sont pas différenciés.

L’enseignement du Dzog-Chen est un enseignement principalement lié au niveau de l’esprit, une façon encore plus directe d’obtenir la connaissance. En général, on dit l’enseignement de l’état de l’esprit de Samantabhadra. Dans la tradition Nyingmapa, le véritable enseignement du Dzog-Chen est appelé Atiyoga. Il y a une différence entre l’Anuyoga, dont le but final est appellé Dzog-Chen et le Dzog-Chen de l’auto-libération. Dans l’auto-libération, depuis le début, la voie, la base et le fruit, la réalisation, tout est le Dzog-Chen. Dans le langage de l’Oddiyana, cela s’appelle Atiyoga. Ati signifie primordial, la compréhension ou la nature primordiale. On l’appelle aussi la voie de l’auto-libération. La voie de l’auto-libération n’est ni la voie de la transformation ni la voie de la renonciation. Donc il faut savoir ce que signifie auto-libération.

En général nous avons une idée du bien et du mal ; toutes nos notions du bien et du mal et toute notre vision dualiste, on considère que c’est notre vision relative ou vision impure. Dans le Tantrisme on dit que l’on transforme la vision impure en vision pure. On a donc déjà l’idée de deux visions. Cela signifie que quelque chose n’est pas valable. La vision impure est le samsara et le Samsara n’est pas valable pour se trouver en état de contemplation : pour cette raison on le transforme. Mais dans le Dzog-Chen on dit Kun tu Bzangpo (en sanscrit Samantabhadra). Kun tu signifie “toutes les circonstances différentes” et Bzangpo signifie “bon”. Pourquoi ? Que veut dire bon ? Cela n’a rien à voir avec les notions de bon et mauvais de la vision dualiste, mais lorsqu’on est dans l’état de contemplation, l’état du Dzog-chen il n’y a rien de faux, de mauvais, rien à rejeter à quoi on doit renoncer ou bien transformer. Il n’y a rien qui ne soit pas valable dans la contemplation. C’est le principe qu’on appelle “Bzangpo” bon. C’est également l’état du Dzog-Chen.

On peut apprendre par l’exemple du miroir. Lorsqu’on regarde dans un miroir on peut voir son propre reflet ainsi que celui des objets qui sont en face du miroir.

A ce moment quand vous considérez que vous êtes en train de regarder dans le miroir, vous êtes une personne sujet et le miroir est objet et vous pensez donc : “Je regarde, il y a un reflet” : c’est notre condition de vision dualiste. Dans ce cas-là vous avez toujours la notion de bien et de mal. Même si vous savez que le reflet dans le miroir n’est pas réel, vous pensez toujours que l’objet reflété est concret pour vous. Donc votre compréhension du fait que le reflet dans le miroir est irréel n’est qu’une compréhension intellectuelle. De toute façon, vous avez toujours l’attachement, les tensions, les problèmes, les concepts, etc. … et cela est notre condition habituelle.

Mais si nous avons la connaissance de notre condition réelle, ce qu’on appelle l’Atiyoga, à travers cette compréhension nous devenons nous même la nature du miroir : nous ne regardons pas dans le miroir mais nous sommes le miroir.

Si nous sommes le miroir tout ce qui s’y reflète, bien ou mal, fait partie de notre qualification ; ce qu’on appelle miroir a la qualification ou la potentialité de refléter les différentes choses, sinon ce n’est pas un miroir.

Donc si nous sommes le miroir, si nous sommes dans l’état du miroir, nous avons cette qualification et nous manifestons les reflets. Toutes nos existences le corps, la voix, l’esprit, les pensées, les confusions, les passions, tout est semblable à des reflets, fait partie des reflets. Donc si nous sommes vraiment dans l’état du miroir, toutes ces choses ne nous causent aucun problème, car les reflets ne peuvent jamais conditionner la nature du miroir et un miroir n’a jamais aucun problème avec ses reflets, il ne demande pas si un reflet est bon ou mauvais, il a la qualification de les manifester et c’est tout. Donc si nous sommes vraiment dans l’état du miroir, ce qui signifie que nous avons la connaissance de cette nature, il n’y a rien de mauvais, c’est ce qu’on appelle auto-libération : nous pouvons auto-libérer toute chose dans cette nature qui est la nôtre.

Extrait des enseignements donnés au cours de la retraite de Marcevol, mai 1989.

 

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