Confiance et absence de dogme

Lama Denys Rinpoché

La confiance en la voie n’est pas fondée sur l’adhésion à une vérité établie extérieurement. Elle prend sa source dans l’expérience et la pratique qui, elles seules, conduisent à la libération e tout conditionnement.

Le Dharma du Bouddha n’est ni théiste ni athée. Il ne croit pas à l’existence d’un dieu créateur surnaturel. Il n’est pas non plus athée, ce terme ayant tendance à désigner l’absence de Dieu ; il est même parfois un athéisme militant qui, dans sa croyance, a un caractère finalement assez religieux.

Pour le Dharma, l’illusion est la croyance, que celle-ci soit en l’existence ou en la non-existence. L’illusion est dans le processus cognitif qui fait s’attacher à une représentation mentale d’être ou de non-être.

Le Bouddha lui-même dit :

Ne suivez pas mon enseignement par vénération, mais si vous le retenez que ce soit en l’ayant mis à l’épreuve de l’expérience. Tout comme on teste l’or en le frottant ou en le pliant, testez l’enseignement et, si vous le retenez, que ce soit en ayant vérifié sa solidité.

Il est ici important de bien comprendre la relation que le Dharma du Bouddha entretient avec ce qui relève de l’écrit. La tradition du Bouddha n’est pas fondée sur une écriture et l’enseignement qui apparaît sous une forme écrite –qui revêt un caractère nécessaire et indispensable pour la transmission et le cheminement – n’a jamais une valeur définitive. Dans le Dharma, l’expérience prime sur le concept ou la représentation ; La transmission personnelle et vécue prime sur les réalités énoncées.

En effet, une vérité qui est formulée en concepts fige l’expérience. La représentation formelle, conceptuelle, parlée ou écrite a toujours une valeur seconde par rapport à la présentation de l’expérience. Ainsi il n’est pas de représentation sans interprétation ni de texte sans contexte. En l’absence de transmission orale la transmission écrite devient lettre morte. L’intelligence vivante de l’expérience cesse alors d’animer les mots, l’esprit ne vivifie plus la lettre.

Il existe dans le Lankavatarasutra, une citation qui dit en substance :

N’agissez pas comme ceux qui regardent seulement
Le doigt tendu vers la lune !

Autrement dit, le doigt n’est pas la lune ! la signifiant n’est pas le signifié. Cette formule renvoie au propos que le Bouddha tint en présence de l’ascète Dighanakha qui l’interrogeait sur les risques encourus si quelqu’un venait à considérer le Dharma comme un dogme. Il dit :

Mon enseignement n’est ni un dogme ni une doctrine, mais certaines personnes le considèrent comme tel. Je dois affirmer que celui-ci est une méthode pour expérimenter la réalité et non pas cette réalité elle-même, comme le doigt qui montre la lune n’est pas la lune. Une personne intelligente n’utilise son doigt que pour indiquer la lune. Celui qui ne regarde que le doigt et le confond avec la lune ne verra jamais la vraie lune.

Pour qu’il n’y ait pas de malentendu, il faut bien distinguer la croyance de la confiance fondamentale qui est précisément ce qui permet de s’ouvrir en lâchant les fixations et finalement de lâcher prise par rapport à toutes saisies ou appuis conceptuels. En fait, la confiance fondamentale est l’aspect essentiel de la foi qui permet de s’abandonner, d’abandonner l’égo, de dépasser la peur de se perdre. Cette peur sous-tend toutes les illusions et les passions. La confiance fondamentale est ainsi ce qui permet d’abandonner les fixations passionnelles et conceptuelles et, finalement, les comportements pathogènes qui en procèdent.

Ici, notons qu’il ne s’agit pas non plus de déifier la raison comme font certains rationalistes fondamentalistes. La raison et la logique sont le moyen de connaissance valide au niveau relatif mais les raisons de la raison sont toujours relatives. Pour ce qui est de l’ultime, suivons le vieil adage alchimique :

Qui raisonne résonne, il faut que le tambour crève…

Exergue : La confiance fondamentale est l’aspect essentiel de la foi qui permet de s’abandonner, d’abandonner l’ego, de dépasser la peur de se perdre.

Extrait du séminaire : « Confiance et non peur », Karma Ling, octobre 1995.

 

<<Retour à la revue