Le yoga du lama

Lama Denys

La relation à l’ami spirituel dans le Mahayana s’approfondit dans le contexte du Vajrayana à travers la pratique du yoga du lama. Celle-ci nous fait entrer dans la relation directe et vivante avec le lama, source d’inspiration qui nous permet de reconnaître la nature de notre esprit.

Le yoga du lama est la pratique au cœur de la transmission du Vajrayana et de Mahamudra-Dzogchèn. C’est une pratique que l’on aborde habituellement lorsque l’on a reçu une transmission ; elle en est l’expression même, sa dynamique et son esprit.

Le yoga du lama existe aussi en filigrane dans les pratiques générales du Mahayana ; bien qu’en celles-ci on ne parle pas de lama mais d’amis spirituel ou d’ami de vertu ou de bien, la notion de lama-source, ou lama-racine, étant exclusivement réservée au contexte du Vajrayana.

Dans un contact direct, le yoga du lama est la pratique qui développe, approfondit et rend vivante la relation personnelle qui est au centre de la transmission. Le lama est la source de la transmission et dans celle-ci, il est la source de la réalisation et de l’inspiration. Il est la source de la réalisation en tant que cette personne qui, dans cette transmission, nous fait reconnaître la nature de la réalité, la nature de l’esprit. Ainsi le lama nous introduit à la réalisation de notre esprit comme étant le corps de réalité, le dharmakaya.

Ici, en tant que principe d’Éveil, le lama est bouddha dans les Trois Corps, les trois dimensions de l’Éveil : son esprit est charmant, sa parole-énergie est sambhogakaya, et sa présence physique est nirmanakaya. Sa présence résume l’Éveil, Ainsi, dans les pratiques du yoga du lama, le lama est envisagé comme Samantabhadra ou Vajradhara, Guru Rinpoché ou Tchenrezi, ou un autre aspect du Bouddha. Le lama personnifie l’Éveil et, en même temps, est une personne physique avec laquelle nous communiquons, qui nous transmet un enseignement et des instructions. Dans cette « guidance », le lama nous conduit à réaliser notre propre esprit comme étant l’esprit du lama : dharmakaya. Comme un trait d’union, une porte ouverte sur le dharmakaya, sa présence formelle, sa présence physique est transparente à la présence de l’Éveil, transparente à la présence de Samantabhadra, au dharmakaya.

Le yoga du lama est une pratique particulièrement importante dans la voie du Mahamudra-Dzogchèn.

Le cœur de la pratique est la capacité à se lâcher, à s’abandonner à la présence, à la présence du lama dans sa dimension fondamentale de trikaya L’entrée dans la présence et dans cette nature est empêchée par une sorte de blocage, de défense, de résistance, d’empêchement, de refus… Une peur au fond de laquelle est la peur de se perdre.

La peur est à la base des empêchements, à la base de l’égo et le remède à la peur est la confiance, la capacité à lâcher. Ce n’est pas la confiance au sens d’une croyance qui se fixe sur quelque chose mais notre capacité à lâcher tout ce sur quoi on pourrait se fixer, s’accrocher. Cette confiance-abandon se vit dans la dynamique de la relation au lama. Dans la pratique de ce yoga qui est une source de confiance et d’inspiration, il devient possible de dépasser ses blocages individuels et de se donner, de s’abandonner à quelqu’un que l’on aime plus que soi. C’est une situation en laquelle justement, dans la présence, l’inspiration et la confiance, il devient possible de lâcher ce que nous n’aurions habituellement pas lâché. C’est là le cœur de cette pratique, de cette entrée immédiate.

Le yoga du lama met en œuvre l’inspiration du lama et toute la dévotion qui peut être dans cette relation. Mais « dévotion » ne signifie pas une attitude dévote, émotionnelle ou ostentatoire, celle de la grenouille du kapala*. Le mot tibétain pour dévotion est meugu. « Meu » a le sens d’ «aspiration », -« meupa » est une sorte d’élan du cœur, d’inspiration-, et « gu » signifie « respect », au sens d’une appréciation et d’une certaine réserve par rapport à une attitude qui serait simplement un manque de respect. « Gu », c’est le respect de la sacralité d’une situation dans laquelle on peut relâcher son égo dans une attitude d’ouverture, de réceptivité, de disponibilité.

Ainsi « dévotion »- on peut dire aussi « confiance » – véhicule ce sens de respect, de mise entre parenthèses des attitudes égotiques. Il s’agit du respect au sens d’une ouverture et d’une aspiration, d’un élan tourné vers l’Éveil et vers la nature du lama. Et cette aspiration-respect elle-même est relayée, développée dans le contexte d’une relation vivante.

Par la pratique du yoga du lama se développent également la réceptivité à l’enseignement et la compréhension de la pratique dans ce qu’elle a d’essentiel. Les enseignements de Mahamudra-Dzogchèn peuvent être entendus et ré-entendus sans effet véritable, comme l’eau qui glisse sur les plumes du canard. Il ne s’agit pas de les comprendre intellectuellement comme un morceau de philosophie ou de spiritualité mais de les expérimenter et de le vivre. Il ne suffit pas non plus d’avoir une intuition fugace et fugitive mais de cultiver et d’intégrer cette expérience jusqu’à la stabilité complète.

Comme il est dit souvent, il ne s’agit pas tant de recevoir la transmission de Mahamudra ou de recevoir la transmission de Dzogchèn que d’être disciple de Mahamudra-Dzogchèn…

Exergue 1 : Le lama personnifie l’Eveil et, en même temps, est aussi une personne physique avec laquelle nous communiquons.

Exergue 2 : le yoga du lama met en œuvre l’inspiration du lama et toute la dévotion qui peut être dans cette relation.

Exergue 3 : Par la pratique du yoga du lama se développe dans la réceptivité à l’enseignement.

* kapala : mot sanscrit, crâne utilisé de façon rituelle comme récipient d’offrande

D’après un enseignement donné au Dharma Ling de Paris, le 13 juin 1999

 

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