La base de la transmission

Chögyal Namkhaï Norbu Rinpoché

Lors de son passage à Karma Ling en août 2002, Chögyal Namkhaï Norbu Rinpoché a accepté se répondre à quelques questions. La connaissance et l’acceptation mutuelle entre maître et disciple apparaissent comme un préalable pour une transmission authentique.

Dharma : Dans la perspective Dzogchen, où se situe la confiance entre maître et disciple et comment s’expérimente-t-elle ?

Rinpoché : Dans la tradition Dzogchen, que ce soit semdé*, longdé* ou bien menngadé*, il y a toujours dans ces tantras, une explication plus ou moins longue sur comment doivent être le maître, l’enseignement et le disciple, et également comment doit être la relation entre eux. Ceci fait partie des règles de la transmission. Le maître transmet au disciple qui reçoit, conserve et développe cette connaissance et cette expérience jusqu’à atteindre l’état de réalisation. Ceci est le point essentiel, mais en général nous n’avons pas beaucoup d’occasions d’examiner vraiment la qualité de la relation entre maître et disciple. Bien souvent ceux-ci ne se connaissent pas bien mutuellement et il n’y a donc pas beaucoup de possibilités de transmission profonde. Mais si des étudiants suivent un enseignant, intègrent ses enseignements en suivant concrètement ses instructions, alors ils ont un peu plus de possibilités pour connaître l’enseignant, pas seulement à partir d’un livre ou d’une réputation. L’enseignant transmet alors au disciple une vraie connaissance qui éveille cette personne. Celle-ci peut alors vraiment comprendre ce que l’enseignement signifie et ce qu’est un enseignement complet. Les qualités du maître sont manifestées et en même temps, les disciples peuvent s’observer eux-même et voir si les enseignements leur correspondent ou non. En effet, lorsque nous donnons des enseignements, nous expliquons, faisons comprendre quels sont les engagements à suivre avec un tel enseignement. Je pense qu’il est très important que les étudiants essaient de comprendre vraiment comment est l’enseignant et de déterminer si l’enseignement leur convient. L’enseignant doit pouvoir évaluer s’il est vraiment en mesure de transmettre tel ou tel enseignement. En ce qui concerne l’enseignement des sutras il n’y a pas beaucoup de problèmes si vous savez comment lire et comment expliquer. Mais si vous voulez enseigner quelque chose comme le Vajrayana, le tantrisme, et en particulier le Mahamudra et le Dzogchèn, il faut en avoir réellement l’expérience. Si l’enseignant donne des explications seulement à partir d’un livre, cela ne marche pas et il ne peut pas rentrer dans la dimension intérieure du disciple. Si l’enseignant n’a pas cette capacité, s’il ne rentre pas dans la dimension intérieure de l’étudiant, celui-ci ne peut pas comprendre, ne peut pas s’éveiller.

Je pense donc qu’il est important d’avancer de plus en plus profondément afin que l’étudiant connaisse vraiment les qualités de l’enseignant, et de même, que l’enseignant connaisse les qualités de l’étudiant. C’est la base de la confiance.

Dharma :De quelles qualités s’agit-il ? Faut-il un minimum de capacités intellectuelles ?

Rinpoché : Cela ne dépend pas tellement de notre capacité à étudier toute chose de façon logique et intellectuelle. L’enseignant communique beaucoup, transmet des enseignements pour nous faire découvrir notre nature réelle. Si les étudiants sont touchés par les enseignements et comprennent comment transmet l’enseignant alors ils peuvent avoir confiance parce que l’enseignant a vraiment, les capacités pour leur transmettre la voie.. Alors l’étudiant peut avoir confiance en l’enseignant, en l’enseignement, en le chemin, en tout.

Dharma : Mais n’est-ce pas plus difficile lorsque maître et disciple ne vivent pas à proximité comme c’est souvent le cas aujourd’hui en Occident ?

Rinpoché : Je pense que si l’enseignant a vraiment la connaissance valable de la transmission, il peut transmettre ; même si les gens ne sont pas réunis, la transmission suffit. Bien sûr parfois ils pratiquent ensemble et cela peut être très vivant. D’une certaine façon l’enseignant et l’étudiant doivent devenir familiers et ils ont aussi besoin de beaucoup communiquer, mais la base c’est la transmission. Je pense que cela n’a pas besoin d’être grand chose. Par exemple, je n’ai passé avec mon enseignant principal, Changchub Dorje, que six mois dans toute ma vie et c’est tout. Avec d’autres maîtres, j’ai parfois passé cinq ans et j’ai reçu de nombreux enseignements, y compris sur le Dzogchen, par des enseignants érudits. Je n’étais peut-être pas prêt, mais en tout cas, ça ne me faisait pas le même effet qu’avec Changchub Dordje. J’ai aussi passé beaucoup d’années avec mon oncle Djenzé, recevant tout l’enseignement menngad,. et d’un autre oncle, des choses comme le Yantra Yoga. J’ai reçu toutes les transmissions de lui, mais à cette époque j’étais trop jeune, j’avais seulement sept ans, je ne comprenais rien. Cela ne dépend pas tellement de la période mais plutôt de la connexion entre l’enseignant et l’étudiant : il doit y avoir une sorte de connexion. Je pense que cela dépend beaucoup de la connexion.

Dharma : Est-ce que vous voulez dire qu’on peut recevoir le pouvoir de la transmission sans le comprendre et qu’après quelques années cette transmission grandisse en nous en quelque sorte ?

Rinpoché : Quand un maître, dans la tradition Dzogchen, donne l’introduction à la nature de l’esprit, parfois un grand nombre de personnes peuvent recevoir, découvrir quelque chose, alors que quelques-uns ne peuvent rien découvrir à ce moment-là. Mais même si nous ne découvrons ou ne recevons rien, la transmission est toujours relative aux instructions. Nous pouvons ainsi faire cette pratique, la répéter et même si l’enseignant n’est pas présent, nous y sommes toujours relié grâce au Guru Yoga. Donc si nous utilisons cette méthode et la répétons, nous pouvons d’une certaine façon découvrir finalement quelque chose, il y a toujours des possibilités. En revanche si nous n’avons pas reçu la transmission, ce n’est pas si facile.

Exergue 1 : Il est très important que les étudiants essaient de comprendre comment est l’enseignant et de déterminer si l’enseignement leur convient.

Exergue 2 : l’enseignant et l’étudiant doivent devenir familiers et ils ont aussi besoin de beaucoup communiquer, mais la base, c’est la transmission.

* Semdé, longdé, menngadé : les trois classes des tantras Dzogchèn : Semdé est littéralement la « série de l’esprit », longdé , la « série de l’espace », menngadé, la « série des instructions secrètes »

Propos recueillis par Lama Lhundroup et Khristophe Lanier et traduits par Maria-Lisa Guidi, Sangha Rimay

 

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