La foi par-delà le credo

Entretien avec Jean-Yves-Leloup

Question : Quelle est la signification des mots foi et confiance dans le Christianisme ?

Réponse : A l’origine du mot confiance comme à l’origine du mot foi, il y a ce mot latin fides qui veut dire « se fier à », « se confier à ». Dans l’approche hébraïque ce sera plutôt le mot aman (amen) qui veut dire adhérer à, ne faire qu’un avec. Donc la confiance, à l’origine c’est un état d’ouverture totale, d’adhésion, d’acquiescement à ce qui est. Et l’un des archétypes de cet acquiescement, une des formes qui l’incarnent bien, c’est Marie dont le fiat symbolise cette confiance, cet abandon total, ne faire qu’un avec ce qui arrive ; faire confiance à la parole qui lui est donnée. La tradition parle de Marie comme archétype de la confiance originelle, le « oui » primordial, plus profond que tous les « non ». Il s’agit de retrouver cette confiance originelle au-delà de notre peur originelle : quelle a été notre première peur ? A partir de quel moment est-ce qu’on n’a plus fait confiance à la vie ? A partir de quel moment le doute s’est-il inscrit en nous-mêmes ? La pratique spirituelle a pour but de nous faire retrouver cette confiance originelle, cet état de oui, cet état d’adhésion d’amen. Quand on lit dans le livre de l’Apocalypse que le Christ est « l’Amen », cela signifie qu’il est celui qui est oui à Ce qui est, qui ne fait qu’un avec Celui qui est. La foi, la confiance est cette adhésion au « réel » sans crainte, sans l’obstacle de la méfiance et du doute.

Q : On assimile souvent la foi à la croyance prise dans le sens d’une adhésion à des dogmes sans examen, sans discernement. N’est-ce pas opposé à la foi authentique ?

R : Thomas d’Aquin dit que la foi ne s’arrête pas dans l’énoncé de la croyance. Pourtant pour beaucoup de personnes, la foi c’est croire à des mots, à des formulations. Thomas d’Aquin nous rappelle ainsi que la foi c’est l’adhésion du cœur et de l’intelligence, de l’intelligence du cœur ou du cœur-intelligence, à la réalité dont les mots sont un écho, que ces mots désignent : Quand on leur montre la lune du doigt, les imbéciles regardent le doigt. Le credo ce sont des doigts tournés vers l’infini réel, invisible, inconnaissable. Ce sont des doigts qui nous mettent en chemin vers cette réalité, qui mettent le cœur et l’intelligence en chemin vers cette adhésion au réel. Et la croyance c’est s’arrêter aux mots, se battre pour des mots. Effectivement cela peut être source de malentendus et de souffrances.

Q : Donc la foi n’est pas forcément l’opposé de la croyance mais la foi est plus que la croyance ?

R : La foi est plus que la croyance,on peut réciter un credo sans avoir la foi. Des personnes qui ne connaissent pas le credo, qui ne connaissent pas les énoncés à travers lesquels cette foi est exprimée peuvent avoir vraiment la foi, c’est-à-dire vivre une adhésion du cœur et de l’intelligence avec cette réalité évoquée par les textes. Certaines personnes, en effet, ne connaissent pas le credo et pourtant ont une intimité avec le Christ très forte. En revanche des personnes qui récitent le credo comme un slogan, pour se défendre ou attaquer l’autre, n’ont aucune intimité de cœur et d’intelligence avec la lumière et la compassion transmises par le Christ, avec la compassion. On peut avoir le nom de chrétien et avoir un comportement complètement anti-Christ, et ne pas avoir le titre ou le nom de chrétien et avoir un comportement qui implique les qualités de patience, d’intelligence et d’amour que le Christ a incarné. Qui sont les vrais chrétiens ? Ceux qui se proclament comme tels ou ceux qui vivent de la vie de l’Esprit du Christ ?

Q : Quel est le rôle de la foi dans la relation de maître à disciple ?

R : Dans une relation de maître à disciple, il y a d’abord une question à se poser : Est-ce que la personne en qui je vais mettre ma foi et ma confiance est digne de foi et de confiance ? . Il ne s’agit jamais de foi ou de confiance aveugle, il s’agit de mettre sa confiance dans quelqu’un qui, pour nous, en est digne et transmet une véritable tradition. Dans la tradition orthodoxe, avant d’entrer dans la relation de maître à disciple, ou fils spirituel-père spirituel, il convient d’abord d’éprouver la personne en qui on va mettre sa confiance et de voir si cette personne incarne les qualités du Christ. car il n’y a pas d’autre maître, il n’y a pas d’autre père que l’Etre qui est ce qu’Il est. Donc est-ce que ce que vit, ce que dit cette personne, incarne vraiment ces qualités d’être ? C’est après ce premier examen qu’on peut donner son adhésion, et entrer dans une relation de confiance, qui n’est jamais une relation de soumission. Il ne s’agit pas de se soumettre à un pouvoir, mais à une intelligence, à une vitalité, à un amour plus grands que les miens, dont le staretz, le père spirituel ou le maître est le médiateur. Mais une fois que l’on a donné sa confiance il est important de la garder … Parfois on est éprouvé dans cette confiance, parfois le maître nous teste :  Tu dis que tu crois en moi, mais est-ce que dans cette situation tu peux me faire confiance ?  L’ego est travaillé jusqu’à ce moment d’abandon, où effectivement : Quoi que tu me demandes, je te fais confiance, je sais que c’est par amour que tu me le demandes. Dans cet acte d’obéissance et d’abandon, il y a de l’Eveil qui vient, on lâche l’ego, une réalité autre que le moi peut se manifester. C’est vraiment un exercice très privilégié que cette relation du maître au disciple.

Q : L’abandon demande donc une confiance ou une foi assez grande pour pouvoir lâcher ses résistances, ou est-ce que l’abandon est déjà présent dans la foi ?

R : Oui, c’est le grand saut…On pourrait dire que si on est sur une voie graduée, il y a une foi qui est une reconnaissance que ce en quoi je crois, ce à quoi je donne ma confiance, est digne de foi, est digne de confiance. Et puis, petit à petit, cette foi devient de plus en plus profonde, de plus en plus inconditionnelle. Là on entre petit à petit dans l’abandon où je deviens ce en quoi je mets ma confiance, je deviens cet Amour dans lequel j’ai confiance, je deviens un avec cette intelligence dans laquelle j’ai foi. On devient ce qu’on connaît, on devient ce qu’on aime.

Q : La confiance est à double sens : le disciple a confiance dans le maître pour que le maître puisse confier la transmission au disciple, n’est-ce pas ?

R : Ce n’est pas simplement le disciple qui a confiance dans son maître, c’est aussi le maître qui a confiance dans son disciple. Cela me semble très vrai, la confiance est créatrice. Au niveau psychologique, le drame de beaucoup de personnes qui n’ont pas confiance en elles-mêmes, c’est qu’on ne leur a jamais fait confiance. On ne peut pas se faire confiance à soi-même tant que quelqu’un ne nous a pas fait confiance. Et quelque part nos parents ne nous ont pas fait confiance. Ils nous ont dit qu’ils nous faisaient confiance mais en vérifiant auprès du voisin et de la voisine, ce n’était pas une confiance pure. Il est rare de rencontrer la vraie confiance, mais si on a la chance de rencontrer un homme et une femme, un père et une mère qui nous font réellement confiance, c’est créateur. Parce que même si je trompe cette confiance, au moment où je la trompe j’en ai conscience. La confiance est créatrice de conscience. Si mon maître me fait vraiment confiance, c’est créateur, c’est créateur de lucidité et de conscience. Le maître, c’est celui qui fait confiance à son disciple, qui fait confiance à l’Eveil en lui, à l’Amour en lui. Le maître fait confiance à l’unique Soi qui est en lui et qu’il reconnaît dans l’autre ; le maître ne regarde pas le disciple, il regarde le maître qui est en germe dans le disciple. Le Soi fait confiance au Soi. Leur confiance réciproque révèle l’Un.

Exergue 1 : La confiance, originellement, c’est un état d’ouverture totale, d’acquiescement à ce qui est.

Exergue 2 : Ce n’est pas simplement le disciple qui fait confiance au maître, c’est aussi le maître qui a confiance dans le disciple.

Propos recueillis par Lama Lhundroup et Khristophe Lanier, Sangha Rimay, 2002

 

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