La confiance du réfugié

Lama Denys Rinpoché

L’entrée en refuge est un moment important dans la voie vers l’Éveil qui nécessite une certaine confiance. Mais il s’agit plus d’une confiance dans sa nature fondamentale que dans des objets de refuge qui seraient extérieurs. S’engager dans la voie est un peu comme devenir un réfugié qui s’exile afin d’échapper à la tyrannie de l’égo.

Qu’est-ce que le refuge ? C’est un terme traditionnel qui signifie entrer dans la voie, franchir le seuil de la voie. Le refuge est ce qui distingue les personnes qui s’intéressent à l’enseignement de l’extérieur de celles qui s’y intéressent de l’intérieur, entendu que lorsqu’on approche le Dharma sauf si on est né asiatique et qu’on a baigné dans le Dharma par son origine, on aborde le Dharma de l’extérieur, d’abord par un intérêt, une curiosité, une recherche… on s’y intéresse comme curieux, comme sympathisant, ensuite peut-être comme étudiant ou pratiquant faisant une expérience, comme on dit. C’est une approche qui, suivant ses degrés, peut être celle de touriste, de curieux, de sympathisant, et puis de personne en recherche. C’est une approche qui va de l’extérieur vers l’intérieur ; à un certain moment on peut avoir la motivation d’essayer de pratiquer l’enseignement de l’intérieur, apprécier l’enseignement, de le considérer comme suffisamment valable, suffisamment digne de notre confiance pour nous déterminer à le pratiquer intérieurement, c’est-à-dire à l’appliquer profondément dans notre vie.

C’est le sens de prendre refuge. Entrer en refuge est l’expression de notre intention à essayer sincèrement de mettre l’enseignement en pratique. Entrer en refuge est à la fois trouver un refuge et devenir réfugié. C’est prendre refuge au sens où on développe une confiance, confiance en la possibilité d’un déconditionnement, d’une libération, d’un mieux-être, d’une sortie du mal-être, confiance en la possibilité d’un travail libérateur…, finalement et simplement confiance en la possibilité d’un cheminement. Cette confiance naît aussi de la confiance en la possibilité d’un but et d’une destination qui est ce vers quoi conduit ce cheminement.

Ce but, cette destination peuvent être envisagés de différentes façons. Dans la perspective du Dharma, le but n’est pas tellement autre, ailleurs, qu’en soi ; la confiance n’est pas tant une confiance en quelqu’un d’autre ou en quelque chose d’autre, en un ailleurs qu’une confiance en soi.

Mais attention ! En soi ne signifie pas en moi, en mon égo. Il s’agit d’une confiance en soi, une confiance qui soit une sorte de confiance fondamentale en la possibilité d’une santé, d’un état fondamentalement sain. En soi, nous sommes fondamentalement sains. En soi, notre expérience est fondamentalement saine et libre. C’est finalement la confiance qu’il est possible d’être sain plutôt que malade.

Devenir « réfugié »

La notion « devenir réfugié » est très importante, mais qu’entend-on par là ? Si on parle de prendre refuge, dans notre contexte occidental, nous avons très facilement tendance à investir dans cette notion une vision très théiste : « Je prends refuge en vous, j’ai confiance en vous, faites ce qu’il faut pour que je sois sauvé. J’ai signé le contrat, je m’engage, je vous fais confiance… » Et voilà ! Ce qui peut amener une sorte de démobilisation, de désaffectation, finalement de paresse ou d’abandon, mais d’abandon au sens d’une passivité.

Lorsqu’on entre en refuge, on devient réfugié. Chacun sait qu’un réfugié est quelqu’un qui a quitté son pays d’origine pour aller se réfugier ailleurs, un ailleurs meilleur car, si on devient réfugié, c’est parce qu’il y avait des problèmes dans notre lieu d’origine. Notre lieu d’origine est le samsara, c’est notre patrie. Il s’agit de se rendre compte que cette patrie, notre pays d’origine, est soumise à une méchante dictature, à un impérialisme tyrannique qui est celui de l’égo et de ses sbires .Nous sommes épris de liberté et donc nous disons « non » à l’impérialisme tyrannique. Nous choisissons de devenir réfugiés.

Entrer en refuge c’est faire le choix courageux de sortir de la bulle de notre égo, de sortir de notre routine samsarique en faisant cette démarche intrépide qui est de s’ouvrir à de plus larges perspectives, de s’ouvrir à une réalité plus large que celle de nos conditionnements égotiques habituels. Cela demande, comme lorsqu’on devient réfugié, de partir en abandonnant ce qu’on avait construit et ce qu’on possédait en son lieu d’origine, de partir vers un incertain. On ne sait pas, lorsqu’on part comme réfugié, où on va arriver. C’est ce courage, c’est cette intrépidité de sortir des conditionnements samsariques et de devenir réfugié dont nous avons besoin. Et lorsque nous entrons en refuge, c’est aussi l’affirmation intrépide et courageuse de notre souhait et de notre intention de devenir réfugié, de cheminer vers l’Eveil, de nous ouvrir au monde, à la réalité et à ses demandes. Devenir réfugié, c’est monter sur un bateau qui va nous emmener jusqu’à l’autre rive. L’autre rive est l’état de bouddha, la libération. Le bateau, c’est le Dharma. Et dans le bateau, il y a des compagnons voyageurs en même temps qu’un équipage et un capitaine, c’est le Sangha.

Il y a la nécessité d’avoir confiance, à la fois en la destination, en le moyen de cheminement, en les compagnons et directeurs, accompagnateurs et guides dans la traversée ; d’avoir confiance en le Bouddha, le Dharma, le Sangha, et aussi d’avoir le courage de s’engager dans le voyage.

Exergue : Entrer en refuge, c’est faire le choix courageux de sortir de la bulle de notre égo.

Extrait de « L’Eveil du cœur et de l’esprit »  Karma Ling 1995, pp 72-73 (séminaire Karma Ling août 1993)

 

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