Comprendre qui nous sommes grâce aux cinq familles de bouddhas

Irini Rockwell

Les cinq sagesses sont un trésor de la tradition tantrique du Mahayana que Trungpa Rinpoché a mis à la porté des occidentaux à travers le programme Maitri ou Compassion afin d’initier un contact sensible et pratique entre les enseignements fondamentaux du Dharma et la dimension psychologique de l’expérience humaine de nos jours. Irini Rockwell, l’auteur de cet article, dirige l’Institut des Cinq Sagesses issu du programme Maitri et anime des séminaires-ateliers accessibles aux USA et en Europe notamment à l’université Dharma Orient-Occident (UDHAO). Son livre de référence est à paraître en français aux éditions Kunchab en avril 2003.

Parmi les nombreuses méthodes pour comprendre et travailler avec les énergies qui sont la trame de notre existence, l’une des plus profondes est celle des «cinq familles de Bouddhas», un ancien système bouddhiste de compréhension de l’esprit éveillé et de ses différents aspects. La structure des cinq familles de Bouddhas est un élément déterminant du tantra bouddhiste, une méthode de travail et de transmutation de l’énergie de l’esprit.

Les familles de Bouddhas sont traditionnellement présentées comme le mandala des cinq Tathagatas ou Bouddhas. Le mandala (du sanscrit : cercle) aide les méditants à comprendre comment les différents aspects de l’existence collaborent en un tout intégré. Chacun des Bouddhas du mandala personnifie l’un des cinq différents aspects de l’éveil. Cependant ceux-ci ne se manifestent pas seulement comme des énergies éveillées mais aussi comme des états d’esprit névrotiques. Les familles de Bouddhas offrent donc un éventail complet, à la fois du monde sacré de l’esprit éveillé, et du monde névrosé de l’existence égocentrée. Nous voyons ainsi qu’elles sont une même chose : c’est le chemin de l’éveil qui en fait la différence.

Traditionnellement, Vairocana, seigneur de la famille Bouddha, est au centre du mandala. Il est blanc et représente la «sagesse-de-l’espace-englobant-tout», ainsi que son contraire, l’ignorance fondamentale qui est la source de l’existence cyclique (samsara). Le caractère terne de l’ignorance est transmuté en un vaste espace qui contient toutes choses.

A l’est du mandala, il y a Akshobya, seigneur de la famille vajra. Il est bleu et représente la «sagesse-semblable-au-miroir» et son contraire, l’agression. Le caractère submergeant et direct de l’agression se transmute en la qualité d’un miroir, reflétant clairement tous les phénomènes. Vajra est associé à l’élément eau, à l’hiver, au caractère tranchant et aux textures.

Au sud du mandala se tient Ratnasambhava, Bouddha de la famille ratna. Il est jaune et représente la sagesse de l’équanimité et son contraire, l’orgueil. Le caractère excessif de l’orgueil est transmuté dans la capacité d’intégrer tous les phénomènes en tant qu’éléments, dans ce riche éventail. Ratna est associé à l’élément terre, à l’automne, à la fertilité et à la profondeur.

A l’ouest du mandala on trouve Amitabha, Bouddha de la famille padma. Il est rouge et représente la sagesse de la conscience du discernement et son opposé : la passion ou la saisie-attachement. Le désir intense de la passion est transmuté en attention portée sur les qualités subtiles du moindre détail. Padma est associé à l’élément feu, au printemps, à la façade et à la couleur.

Au nord du mandala se trouve Amogasiddhi, Bouddha de la famille karma. Il est vert et représente la «sagesse-tout-accomplissante» et son contraire, la jalousie ou la paranoïa. La qualité perçante comme la flèche de la jalousie est transmutée en action efficace. Karma est associé à l’élément vent, à l’été, à la croissance et à l’accomplissement.

Au début des années 1970, Chögyam Trungpa Rinpoché enseigna les cinq énergies de sagesse aux pratiquants de l’époque comme un moyen de comprendre qui nous sommes fondamentalement, notre personnalité, notre paysage émotionnel et la manière dont nous sommes reliés aux autres et à notre monde. Il développa l’idée que rien n’est, par nature, faux ou mauvais dans l’énergie elle-même. Il enseigna que, pour amener les énergies de sagesse vers la voie, nous devons d’abord apprendre à vivre avec elles au moyen de l’attention et de la conscience. Ensuite nous pouvons travailler avec ces énergies lorsqu’elles apparaissent dans notre expérience, en pratiquant la bonté : nous les autorisons à s’exprimer ouvertement plutôt que de tenter sans succès de les manipuler et de les contrôler. Les énergies deviennent alors un moyen de célébrer nos forces et de travailler avec nos faiblesses.

On identifie plus facilement ces énergies par leurs couleurs qui contiennent l’essence de leurs qualités. Tout comme la lumière irradie, ainsi rayonne l’énergie. La couleur de l’énergie est semblable à la lumière colorée.

En travaillant avec les énergies, nous ramenons toujours notre compréhension de qui nous sommes à l’expérience immédiate, plutôt qu’à notre conception de qui nous sommes. A travers nos pensées et nos émotions, nous expérimentons l’énergie de notre être profond ; au moyen des perceptions de nos sens, nous expérimentons les énergies du monde extérieur. Toutes ces énergies – intérieures et extérieures – nous sont accessibles à tout moment. Elles forment l’expérience d’un niveau subtil d’existence et de communication avec notre monde. Pour travailler avec les énergies, il nous faut d’abord cultiver la présence consciente, participer à l’instant présent en observant ce qui se passe. Nous pouvons nous entraîner à faire cela.

L’attention et la conscience d’éveil sont les composantes de base de la pratique de la méditation assise, qui joue un rôle déterminant. Avec cette pratique, nous pouvons stabiliser notre esprit, qui à son tour apporte la clarté et une force mentale qui lui est inhérente. La méditation assise agit aussi comme un paratonnerre. Elle enracine l’énergie, démesurément volatile, dans la simplicité d’être naturellement là.

Nous basculons habituellement entre les sentiments extrêmes de bien-être ou de mal-être, et ne trouvons jamais réellement un pont ou une connexion réels entre ces deux états. Ce qui fait la puissance des enseignements sur les cinq énergies de sagesse, est qu’elles nous montrent comment trouver notre sagesse au fond de l’obscurité même de notre confusion. L’énergie est neutre par elle-même ; c’est notre attitude envers elle qui détermine si nous sommes ouverts (sains) ou fermés (confus). Lorsque nous sommes ouverts à notre propre énergie, nous nous expérimentons comme chaleureux et clairs. Lorsque nous nous fermons à elles, nous nous sentons confus et bloqués. L’état d’ouverture ou de fermeture détermine notre vision sur nous-mêmes et donc aussi sur le monde. En fait, c’est lorsque nous ressentons une émotion intense que la sagesse se rapproche le plus de nous. Le fait d’étreindre complètement les émotions qui nous ligotent peut nous libérer.

Paru dans Shambhala Sun, nov. 2002. Trad. de l’anglais : I. Charbonnier.

 

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