Base, voie, fruit

Lama Denys Rinpoché

Chacun des trois mandalas, extérieur, intérieur et secret, est structuré en cinq constituants. Les cinq éléments des mandalas de l’univers et de l’individu correspondent au niveau fondamental aux cinq sagesses ou luminosités. Il existe une continuité et une interpénétration entre ces trois mandalas et ces cinq éléments qui permettent de passer de la base au fruit par la pratique de la voie.

Le paradigme ou modèle du triple mandala s’applique à différents plans dans lesquels se développe le système de la pratique du mandala. Cette pratique consiste en la transformation de ces plans d’expérience, de la base jusqu’au fruit de la réalisation. L’intelligence non linéaire du mandala dans laquelle se mélangent logique et analogique, rend difficile une présentation systématique qui peut, de plus, avoir le danger, en systématisant, de solidifier une intelligence et une expérience qui est, dans sa nature, fluide et polysémique.

Comme il est nécessaire, néanmoins, d’avoir une compréhension de l’intelligence de la pratique pour entrer dans sa profondeur, nous allons succinctement aborder les trois plans que sont les mandalas externe, interne et fondamental, puis nous verrons leurs transformations de la base au fruit.

La continuité des cinq éléments

Le triple mandala macrocosmique, microcosmique et fondamental est constitué par:

  1. Le mandala externe-macrocosmique : c’est l’habitacle constitué des cinq éléments externes (dhatu) constitutifs du corps de l’expérience (vent, feu, eau, terre et espace).
  2. Le mandala interne-microcosmique : c’est l’habitant de l’habitacle, constitué des cinq éléments internes constitutifs du corps physique (respiration, chaleur, sang, chair et cavité) ;
  3. le mandala fondamental : c’est l’habitant du corps physique et donc aussi «l’habitant de l’habitant», constitué des cinq éléments fondamentaux de l’esprit qui habite tant le corps physique que le corps de l’expérience (vacuité, clarté, mobilité, solidité et continuité ainsi que les cinq luminosités très subtiles : bleue, rouge, verte, jaune et blanche).

Ces trois mandalas entretiennent entre eux un rapport analogique suivant le paradigme des cinq éléments.

Il faut y ajouter les mandalas intermédiaires qui se déploient entre ces niveaux. Ils constituent les interconnexions du macrocosme et du microcosme, leurs coïncidences et synchronicités et comprennent aussi les cinq éléments qui se retrouvent dans les cinq constituants (formes, sensations, perceptions, formations mentales et conscience) ou les cinq types de relations, les cinq passions qui se développent entre l’intérieur et l’extérieur (attachement, jalousie, colère, stupidité et orgueil).

Ces passions sont des aspects de l’énergie de saisie duelle ; elles se développent sur fond d’expérience et d’énergie primordiale, non dualiste et sont finalement transmutées en celle-ci dans ses cinq dimensions, les cinq expériences primordiales, les cinq jnana aussi communément nommées les cinq sagesses («du domaine de la vacuité», «du discernement», «semblable au miroir», «de l’équanimité» et «toute accomplissante»).

Dans la situation initiale, à la base de la réalisation, le corps physique comme le corps de l’expérience sont habités par l’esprit qui en est l’habitant ou le sujet ; le souffle a une position intermédiaire animant le corps comme l’esprit.

Dans la situation finale, au résultat de la réalisation, l’esprit a incorporé le corps de l’expérience : l’expérience de son corps comme celle des expériences sensorielles ; c’est la réalisation de l’absence de dualité.

Dans la situation intermédiaire, la pratique du mandala effectue l’intégration de l’esprit à l’expérience. La transition est la dissolution de la saisie duelle, ou «dualisante», concomitante avec l’émergence ou la réalisation de la présence éveillée, non deux.

Le mandala : tresse et corde fondamentale du dharma

Le triple mandala est la tresse fondamentale du dharma dont la continuité court depuis la base jusqu’au fruit de la réalisation. Cette tresse, en coupe, peut se représenter sous la forme d’un gakyil avec ses trois secteurs représentant corps, parole, esprit; c’est aussi le trikaya.

D’une façon plus détaillée, cette tresse est une corde à cinq brins qui sont, dans leurs aspects impurs ou duels, habituels, les cinq éléments et les cinq constituants et dans leurs aspects purs, les cinq dimensions de l’expérience primordiale, non duelle. Comme nous venons de le voir de manière très synthétique, les trois mandalas et les cinq éléments de l’expérience s’interpénètrent et sont en continuité.

La structure du mandala peut se complexifier suivant les catégories des modèles cognitifs de l’Abhidharma, mais son intelligence de base reste similaire et ce que nous venons de dire reste valable en transposant, en intégrant les sous-divisions éventuelles.

Il y a une superbe pratique de Kalou Rinpoché sur les cinq éléments ; elle a trois aspects : chiné, lhagtong et mahamoudra. Il m’a dit la tenir de son Lama source, Norbou Teundroup qui, à sa mort, est parti en corps d’arc-en-ciel.

Lama Norbou Teundroup est mentionné dans la prière à la lignée Changpa Kagyu; la stance le concernant qui fut composée par Kalou Rinpoché dit:

Vous dont les constituants de saisie
Se sont dissous en lumières d’arc-en-ciel,
« Droupwang Norbou Teundroup »,
Je vous adresse une prière ;
Que vous m’inspiriez l’expérience primordiale innée.

L’expérience primordiale innée est l’expérience d’éveil. «Innée» signifie ici qu’elle est «en soi» depuis le début. Elle m’est plus intime que je ne le suis à moi-même. Elle est en soi avant moi. «Vous dont les constituants de saisie se sont dissous en lumières d’arc-en-ciel». Cette dissolution est l’ultime sublimation alchimique, celle des skandha, des agrégats qui constituent ce que je suis ; c’est aussi le grand Powa, le grand transfert de la conscience que chante Namkhaï Norbu dans le yoga du Lama de Garab Dordjé quand il dit : «Conférez-moi l’ultime initiation du grand Powa». C’est la réalisation du corps de lumière, le corps des souffles d’expérience primordiale, des cinq éléments fondamentaux, le corps des cinq lumières : blanche, bleue, verte, jaune et rouge, les cinq dimensions du mandala éveillé. Le grand Powa c’est aussi perdre l’esprit, c’est la libération de l’esprit dualiste qui part en lumière.

Ce texte est la transcription d’un exposé fait en privé par Lama Denys en mars 2003.

 

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