La vibration en splendeur, expérience-source du mandala de Kalachakra

Sofia Stril Rever

«Grand enseignement sur la vibration en splendeur du Tantra des Yogini et du Yoga», tel est le titre du premier chapitre du «Livre de la Sagesse», cinquième volume du «Tantra de Kalachakra».

Dans ce chapitre, le Bouddha enseigne un traité du mandala de Kalachakra dont il a exposé les mesures en rapport avec les mesures secrètes du monde et de l’être humain au «Livre de l’Initiation», troisième volume du «Tantra de Kalachakra».

Ce nouvel enseignement sur le mandala appartient au cycle dit «alternatif»dans le système de méditation de Kalachakra, car il contient les méthodes de transformation de l’esprit. Le mandala est donc présenté comme un support de méditation, et la pratique du mandala interne, corrélée aux énergies subtiles, vise à révéler la «vibration en splendeur»dont sont émanés Kalachakra et toutes les déités de son entourage.

Le mot sanscrit que nous traduisons par «vibration en splendeur» est «sphurana» qui, au sens propre, désigne la vibration physique, le tremblement, la palpitation, et aussi simultanément la vibration du son et l’irradiation de lumière. On trouve également dans le texte des occurrences, mais beaucoup plus rares, du mot «spanda» qui signifie la pulsation, le tremblement et la vibration, au sens physique strict d’expansion et émission. Dans les textes du shivaïsme cachemirien, «mahaspanda» est «la grande vibration»qui correspond à l’émission initiale de la vie, à l’origine de la création des êtres et du monde. Mais «sphurana», dans le contexte de Kalachakra, renvoie à la vibration-source du mantra de la déité et à la vibration-source de la claire lumière «parfaitement pure à l’origine, radiance spontanée de la grande sagesse, luminosité interne de tous les phénomènes».

La «splendeur», qui est aussi celle de «la bénédiction en splendeur», est splendeur de notre nature de bouddha. De sorte que les sept-cent-vingt-deux déités du mandala de Kalachakra semblent n’être là que pour nous conduire au coeur de nous-mêmes, vers le Bouddha que nous sommes mais que nous cachent les voiles et obscurcissements dus à l’ignorance. Paradoxalement nous ne sommes pas ce que nous croyons être, il nous faut mourir à ce que nous ne sommes pas et renaître pour devenir ce que nous sommes. Pendant le rituel de l’initiation de Kalachakra, le lama nous exhorte à effectuer cette deuxième naissance à la réalité profonde de notre nature de bouddha :

Aujourd’hui Kalachakra s’efforce de vous ouvrir les yeux.
Contemplez le mandala et ce qu’il symbolise.
Vous êtes nés dans la lignée des Bouddhas
Et avez été bénis en splendeur par le sceau et le mantra.
Om ! Mon essence est vacuité et sagesse vajra !

Selon Le grand enseignement sur la vibration en splendeur, le mandala représente la manifestation de nos facteurs d’existence révélés dans leur état «non voilé», dit le texte, ou encore «purifié». «Non voilé»est la traduction littérale du sanscrit «anavarana», que l’on peut rendre aussi par «non obscurci», «non recouvert»ou «non caché». Et la purification est définie comme «épuisement», «cessation des obscurcissements». Le mot même de pureté, «shuddha» en sanscrit, intègre les sens de lumière, brillance et blancheur. Le mandala est traversé par la lumière car il correspond à la transfiguration dans la dimension lumineuse de tous les éléments psychophysiques du corps.

A la deuxième et troisième strophes du Livre de la Sagesse, le Bouddha enseigne en ces termes à Suchandra, roi de Shambhala, la purification du corps dans le mandala:

Strophe 2

Avec les os, forme les piliers, la chaîne de vajra et le cercle de la terre divisé en sections.
Avec la chair, forme le séjour des dieux à l’est, avec le sang, le séjour de Dieu-de-la-mort au sud, avec l’urine le séjour de Dieu-de-la-richesse au nord, et avec les fèces le séjour de l’ouest.
Avec la bile, forme le soleil, avec le phlegme la lune, et avec les veines subtiles les lotus.
Trace les cinq différentes lignes avec Né-de-la-terre, Né-de-l’eau, Né-du-feu, Né-de-l’air et Né-de-l’espace .

Strophe 3

Avec la veine du temps, forme le lotus du Maître, et avec la peau, les cercles de l’air et du feu.
Avec les orifices du corps, forme les douze portes, avec les rangées de dents les parures de joyaux.
Avec les ongles, forme les huit roues du cercle de l’air à l’emplacement des champs de crémation,
Avec les poils, forme les rayons de lumière vajra, irradiant aux directions cardinales et collatérales du disque du mandala.

Les os, la chair, la bile, le phlegme, les doigts de la main, la peau, les ongles ou les poils peuvent devenir les éléments de construction du mandala à partir du moment où nous ne les considérons plus au sens physique et réaliste de l’anatomie ordinaire. Le mandala nous invite à percevoir leur dimension de vacuité. Dans la dynamique de leur interdépendance avec le flux global des énergies, les constituants du corps humain sont reliés à toutes les formes de vie, micro et macro-cosmiques. Tel est l’enseignement du Kalachakra externe et du Kalachakra interne dont le principe, «à l’extérieur comme à l’intérieur», nous engage à déconstruire les schémas de l’identité ordinaire. Et dans un mode de perception purifiée grâce à la réalisation de la vacuité, les éléments solides du corps, rendus dociles, sont transformés en supports d’apparition du mandala et des déités qui l’habitent.

Les poils du corps deviennent par exemple les trente-cinq millions de rais de lumière de l’anneau aux cinq sagesses des Bouddhas entourant le mandala. Et, précise Mipham Rinpoché : «Une fois les poils parfaitement purifiés de tout obscurcissement, les troupes d’élémentaux et d’esprits avides qui résident dans les roues de crémation sont parfaitement purifiées. L’existence de tels êtres correspond aux obscurcissements ordinaires de l’esprit et quand ces obscurcissements ont été éliminés, leur nature non-obscurcie est révélée.»

Ce ne sont pas seulement les constituants physiques du corps, mais également les éléments, les agrégats, les consciences sensorielles et leurs sphères notamment, que le mandala dévoile dans la splendeur de leur nature de Bouddha. Mipham Rinpoché précise ainsi que, «quand les formations obscurcies des phénomènes du monde relatif sont épuisées ou purifiées, l’agrégat de ces formations transcendées et libres d’obscurcissement devient Accomplissement-infaillible, ou Amoghasiddhi. L’agrégat des sensations, libres d’obscurcissement, est Né-du-Joyau, ou Ratnasambhava, et l’agrégat des perceptions, libres d’obscurcissement, est Lumière-infinie ou Amitabha.»

Dans la transmission de l’initiation de Kalachakra, nous avons vécu les étapes de ce processus qui a transformé en déités trente-deux de nos facteurs d’existence. Avec la première initiation de l’eau, ce sont nos cinq éléments – espace, air, feu, eau et terre- qui deviennent les bouddhas-mères du mandala. Au cours du rituel, le maître nous guide dans l’enchaînement des visualisations qui vont nous permettre de réaliser ces déités. Tout d’abord, il nous engage à transcender l’élément espace de notre corps en vacuité. Puis, dans cette vacuité, nous visualisons que l’élément espace du corps et la substance de l’initiation, en l’occurrence l’eau de la conque rituelle, se transforment en deux sons â qui se transforment à leur tour en deux vajra, dont sont émanées les deux bouddhas-mères représentant, dans le mandala, l’élément espace non-voilé. Ce sont les deux Souveraines-de-la-sphère-vajra, ou Vajradhatvishvari, de couleur verte, à trois visages – vert, rouge et blanc – et six mains.

Les étapes de ce processus de visualisation se répètent à l’identique pour chacun des facteurs d’existence à purifier. Il y a premièrement la réalisation de la vacuité, nous tranchons à la racine la croyance en l’existence inhérente du corps et de la personnalité. La puissance de ce détachement se transforme ensuite en vibration sonore d’une syllabe-germe, puis en symbole de l’une des six lignées de Bouddha et enfin en vibration lumineuse irradiant la forme et la couleur de la déité correspondante.

Nous devenons alors source de lumière, ainsi que le décrit le maître dans le rituel de l’initiation : «Des rayons de lumière, émanés de votre corps, attirent les cinq Mères du mandala, à la manière d’une lampe à beurre se détachant de la lampe qui l’a allumée. Les cinq Mères du mandala s’absorbent dans les cinq Mères de votre propre corps. Toutes les déités du mandala sont également invoquées et elles s’absorbent dans vos cinq éléments purifiés en l’éclat des cinq Mères. «C’est en devenant lumière, en émettant la lumière de nos éléments purifiés en bouddhas-mères, que nous recevons la lumière. Dans la réalisation de la vacuité, exprimée plusieurs fois avec le mantra,»Om shunyata jnana vajra svabhavatmako ham», ou «Om Mon essence est vacuité et sagesse vajra», nous amorçons une remontée vers notre lumière intérieure. Nous libérons la lumière en nous et nous relions à notre nature de Bouddha.

Sofia Stril-Rever est traductrice des textes-racines de Kalachakra.

 

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