Le symbolisme du mandala

Shifu Nagaboshi Tomio

S’appuyant sur de nombreuses références indiennes, chinoises et japonaises, Shifu Nagaboshi Tomio présente des aspects historiques et symboliques du mandala et souligne l’intégration de celui-ci dans les arts martiaux issus de la tradition bouddhique.

L’origine du mandala

La présentation de divers points du Dharma sous des formes symboliques est pratiquée dans toutes les écoles du bouddhisme. Ce fut sans doute le fait d’une évolution naturelle car le symbolisme remplaça ou compléta les archétypes humains par des archétypes universels. L’étude au moyen de groupes (skt. kalapa) de qualités ou de principes est une méthode employée depuis les premiers temps du bouddhisme. Elle est décrite dans le Visuddhi Magga, v. 20, comme la première méthode de développement de la vue pénétrante (Naya Vipassana).

Le principe du mandala

Alors que les symboles variaient énormément selon l’enseignant et ce qui était enseigné, le principe du symbolisme et/ou de la représentation demeura constant. C’était considéré comme une expression de l’injonction donnée par le Bouddha de «communiquer l’enseignement dans le langage le mieux adapté aux auditeurs». Le premier usage de symboles pour les différents aspects des Trois Joyaux (Bouddha, Dharma et Sangha) fut probablement dû au simple fait que l’enseignement était donné à un public souvent illettré, et par conséquent une présentation simple, à la façon d’un livre d’images, était faite de la doctrine. Pour d’autres occasions, c’était l’inverse, et ces symboles fournissaient aux moines des «clefs»pour des sujets de discours. Par la suite, les points plus subtils de la doctrine devenant tellement sibyllins et intellectuellement difficiles, les symboles sont devenus une forme de synthèse pour transmettre des «ensembles»de doctrines d’une manière efficace.

D’abord et avant tout, un mandala correct est une représentation de l’unité entre le Bouddha et l’humanité ; il décrit l’interpénétration de la condition humaine et de la sagesse d’une façon complète. Sous-jacent à ce concept réside le fait que toute personne est, elle-même, intrinsèquement un Bouddha et peut, grâce à un entraînement approprié, réaliser cela au cours de sa vie. Un Mahamandala (mandala de la totalité) est toujours une représentation parfaite et équilibrée d’un domaine d’existence, c’est-à-dire que son «haut»est pareil à son «bas», et ainsi de suite. La symétrie de la sagesse est, dans le bouddhisme, complète, omnipénétrante et parfaite. Peu importe la façon dont on considère ou explique ce fait, il demeure constant.

Le Mahamandala originel décrivait le domaine du plein et parfait éveil, le monde du Vajra (japonais : Kongokai), et sa «réflexion»représentait le monde de l’expérience totale, couramment appelée le domaine de la «matrice» (japonais : Taizokai). Ces deux dimensions comprennent tout ce qui peut ou doit être connu ou expérimenté par l’humanité dans la quête de l’illumination. Ce ne sont pas deux mandala différents ; l’un est simplement un aspect de l’autre.

Paradigmes de base du mandala dans la tradition chinoise méridionale.

Forme du mandala Elément sagesse Vœu de Bodhisattva Attachement erroné
Maha (Tout corps) terre Toute-embrassante De suivre la voie du Bouddha La soif de possession
Samaya (symboles) eau Toute-réfléchissante De sauver tous les êtres La soif de sensations
Karma (créations) feu Toute-accom plissante De mettre une fin à toute souffrance La soif de pouvoir
Dharma (sonorités « germe ») air Toute-discriminante D’étudier l’enseignement du Bouddha La soif de connaissance
L’observateur* ether Réalisation de la Vacuité D’atteindre l’éveil La soif de l’anéantissement

* Cette dernière forme n’est jamais représentée en images.

Contexte temporel et atemporel

Plutôt qu’une tradition ultérieure, l’usage des méthodes de communication symboliques est en fait très ancien. Les symboles peuvent être vus uniquement comme des symboles par certains types de personnes issues d’un type de culture ; pour d’autres, les symboles apparaissent comme des faits clairs et directs. Sakyamuni lui-même déclara qu’il n’avait pas tout enseigné ouvertement à ses disciples car cela ne s’était pas avéré nécessaire à l’époque. Il n’a pas dit qu’il n’existait pas d’autres doctrines mais seulement qu’il ne les avait pas toutes enseignées. Si l’on considère ceci en sachant que les écritures Pali n’ont préservé qu’une seule forme des premières écoles d’enseignement, l’usage de différentes méthodes d’enseignement ou différentes façons de communiquer les enseignements ne semblent pas invraisemblable. On dit que l’école du bouddhisme Chan s’est élaborée à partir d’une fleur que le Bouddha Sakyamuni aurait levée vers le ciel et qu’un seul et unique disciple comprit le sens de ce geste.

Ainsi les mandalas firent leur apparition et leur nature fut, dès le départ, présentée comme un moyen spirituel interactif. Ils étaient, peut-être, la cime de la présentation symbolique, et on en trouve maintenant des peints, dessinés ou tissés sur de la soie, suspendus aux murs des temples, pour servir de supports pédagogiques. Ce sont des images, souvent complexes et très chromatiques dans leur forme, représentant des grands principes du Dharma.

Fonction

L’expérience de conditions mentales ou de l’environnement intérieur fragmenté mène naturellement les aspirants à désirer la complétude et la plénitude. C’est pourquoi la voie spirituelle qui suggère ces qualités doit contenir des enseignements ou des présentations qui soient explicables en termes d’expérience. Il y a bien longtemps, le Bouddha a reconnu que ce n’est guère le monde qui a besoin d’être compris mais notre propre nature. Il n’y a pas de mystères hormis ceux d’un esprit qui n’est pas clair.

Afin d’aller au-delà de la dualité, il est nécessaire de la comprendre, et l’usage de symboles pour acquérir cette compréhension est vitale, car elle permet la manifestation et l’étude de réalités à travers des formes reconnaissables. Cela constitue une aide précieuse pour l’étudiant dans le théâtre de son auto-découverte et de la transcendance.

Le mandala au cœur de l’art martial

Le Chuan Fa (l’art martial en chinois) décrit cette perspective multi-niveaux de nombreuses manières et sous de nombreuses formes. Ces descriptions ont pris une forme finale et se sont structurées au sein de mandala en images qui étaient utilisés afin de présenter une illustration de la doctrine corps-esprit dans son intégralité.

Cela s’accordait avec le tempérament chinois qui, au départ, ne pouvait comprendre le bouddhisme qu’au sein d’un cadre «ciel et terre»d’inspiration taoïste. Cet usage des symboles et de l’art allait devenir la représentation première de l’intégration du corps et de l’esprit et fut perfectionné au sein des écoles ésotériques du bouddhisme.

Malgré la multiplicité des modes d’approche que l’on peut suivre pour parvenir à la réalisation de la signification des divers types de mandala, ainsi que celui des différentes présentations qui sont faites de cette signification, le principe d’intégration lui-même demeure identique et se retrouve dans toutes les formes de mandala. Pour le Chuan Fa, les forces spirituelles interconnectées déployées dans le mandala ne décrivent pas seulement les structures des mouvements physiques mais aussi la nature de l’instant lui-même.

Une reconnaissance ainsi qu’une expression pratique de cette interconnexion et de l’homogénéité intrinsèque entre les actes mentaux et physiques se trouvait dans les différentes séquences de mouvement (Hsings) introduites, comme partie intégrante des méthodes de méditation, par des moines tels que Bodhidharma et Hua To. Ultérieurement, les différents Hsings se sont révélés comme étant des représentations de problèmes particuliers ou de malentendus vécus au sein de la conscience vivante. Certains de ces Hsings sont utilisés pour amener ce fait à notre attention, et ce souvent d’une manière dramatique. Alors qu’il est facile d’être faux, verbalement ou en se dupant soi-même, il est extrêmement difficile de l’être kinésiquement parlant. C’est un des avantages d’une telle méthode de méditation.

Le Chuan Fa considérait ces structures de l’interaction corps-esprit comme un moyen majeur pour reconnaître la vraie nature et la vraie condition aussi bien du sens de l’individualité que de ses multiples projections. Une perception bien informée de telles structures corps-esprit – qu’elles soient exprimées sous des formes doctrinales ou kinésiques – révèle au grand jour le dialogue particulier et souvent inconnu ou inconscient entretenu par les individus et à travers lequel ils perpétuent diverses formes de souffrance. En démontrant cela, les moines avaient posé les bases pour une forme de thérapie kinésique se fondant sur des principes existants au sein des premières formes du bouddhisme mais qui étaient restés insoupçonnés ou cachés jusqu’à la venue des Ecoles d’enseignement appartenant au Mahayana. En révélant de tels principes, les moines-maîtres ont également exposé les moyens d’atteindre une liberté totale par rapport à une telle souffrance.

Extrait de The Bodhisattva warriors : the origine, inner philosophy, history and symbolism of the martial buddhist martial art within India and China, Motilal Banarsidass Publishers Private Limited, Delhi, 1994, traduction Touk Djé

 

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