Mandala et expérience

Lama Denys Rinpoché

Ignorance et éveil, samsara et nirvana sont intimement liés comme l’illustre le terme «dharma» dans ses différents sens : «dharma-phénomènes illusoires», «dharma-voie du Bouddha»et «dharma-plein éveil». Cette proximité et cette continuité sont au coeur de la tradition du Bouddha et sont la clef de compréhension essentielle du principe du mandala.

“Dharma ?”

«Dharma», traduit habituellement par «enseignement» ou «tradition», a un champ sémantique beaucoup plus vaste. Les meilleurs traductions seraient «réalité» ou «expérience». «L’expérience», c’est ce que nous expérimentons, «notre réalité». Notre expérience, au sens large, est notre vie, tout ce que nous vivons… et tout ce que nous vivons est «dharma».

Toute réalité, aussi bien de l’éveil que de l’expérience habituelle, est «dharma»; et tous les «dharma», tous les phénomènes sont expérience : l’expérience du samsara comme celle de l’éveil. Dharma, dans ce sens, est la totalité de ce qui est expérimentable, au niveau ordinaire comme au niveau éveillé. Mais «dharma»est aussi l’enseignement, la tradition. «Dharma» est l’exposé des modalités de notre expérience – de la présence en celle-ci d’éléments trompeurs, d’illusions, mais aussi d’une réalité foncière, saine – et de comment on a tendance, sous l’emprise de différents conditionnements, à vivre dans une expérience déformée, distordue et à s’illusionner en celle-ci. Le dharma est l’exposé de cette double réalité en même temps que l’exposé de la méthode qui va permettre d’aller dans le sens de la libération, qui va permettre de passer de la vérité superficielle, vérité d’enveloppement, à la réalité profonde, la nature de Bouddha, une expérience libérée qui est aussi «dharma».

Cette polysémie du mot établit une continuité qui est la réalité de notre vécu. Ces différents sens peuvent sembler paradoxaux mais la notion de paradoxe, d’ambivalence ou de polysémie est quelque chose de très important pour dépasser certaines visions fixes de l’intellect et des concepts habituels.

Le point important est de comprendre, de voir que le dharma parle toujours de notre expérience. Le dharma est la façon dont le Bouddha, l’éveillé, a exposé l’enseignement et le cheminement. Mais il est essentiel de voir que cet enseignement émerge directement de dharma en tant que phénomène, émerge de la réalité… Ce n’est pas une construction artificielle et les concepts qui sont utilisés pour exprimer le dharma émergent du terrain : le discours qui exprime le dharma est en continuité avec la réalité qu’il décrit.

“Mandala”

Cette notion de continuité, présente au coeur même du dharma, est exposée de façon cohérente dans une structure qui est le principe du mandala. Ceci se trouve particulièrement développée et prend une dimension plus ample dans les enseignements des tantra mais est présent dans toute l’histoire, la transmission et l’expérience du dharma depuis son origine.

Tantra signifie «continuité». Le mot tibétain est «gyu»et il recouvre aussi bien les notions de lignée, de transmission, que de fil, de filiation… Dans cette perspective, notre expérience est, en fait, le tissage de différents éléments, l’interpénétration de différentes continuités qui constituent aussi bien la trame que la texture de notre vécu. Dans les enseignements qui ne sont pas stricto sensu des tantra, la perspective du mandala est aussi un fil conducteur qui amène une cohérence dans notre compréhension et notre intégration des enseignements.

«Mandala»est un terme sanscrit qui, en tibétain, se dit «kyil khor». «Kyil»signifie «centre»ou «milieu»et «khor»signifie «périphérie», ce qui est autour, la circonférence ou encore l’environnement. Bien qu’il y ait beaucoup de développements et d’applications dans ce principe de mandala, ce qui pour nous sera le plus important est de voir notre expérience, notre vécu, ce que nous sommes, ce que nous vivons suivant ce principe du mandala. Notre expérience, ici, maintenant, est un mandala. D’une façon simple, il y a moi et l’environnement. Le centre c’est moi – je suis le témoin, l’expérimentateur, l’observateur – et il y a tout un ensemble de phénomènes, d’expériences qui m’entraînent et qui m’entourent : l’environnement. Il est important de voir que l’ensemble qu’est notre expérience de maintenant, avec son centre – que je suis – et ce qui existe autour, est un mandala.

Lorsqu’il y a centre et périphérie, ici et là, un moi et quelque chose d’autre, il y a relation, interaction, échange entre moi et ce qui est autre ; il y a communication. Relation, échange, interaction, interdépendance, communication sont différentes déclinaisons de ce qui se passe entre le centre et la périphérie et ces échanges constituent la vie du mandala.

Il y a ainsi une ébauche de hiérarchisation du mandala se manifestant par des niveaux, des plans, des principes qui le régissent. Tout cela pose les jalons d’une vision intégrée et cohérente de notre vécu comme de l’enseignement.

Ce texte est une transcription extraite du premier enseignement du séminaire Le mandala de l’expérience, oct. 1994.

 

<<Retour à la revue