Mandala et sadhana

Lama Denys Rinpoché

Le mandala – du corps, de la parole et de l’esprit – se pratique dans le cadre d’un sadhana, d’un «moyen de pratique», d’une «méthode de réalisation». Dans une telle pratique, la déité prend la place de nos corps, parole, esprit habituels, comme par exemple lors du sadhana de Tchenrézi de Thangtong Gyalpo, le Roi du Désert, un des grands ancêtres de la lignée Changpa.

Les différents aspects d’un Sadhana

 Dans un premier temps ou à un premier niveau, nous relâchons l’expérience habituelle de notre corps et celui-ci se vit comme une enceinte vide, lumineuse, translucide et rayonnant d’une douce clarté et chaleur ; c’est la forme de Tchenrézi que l’on imagine avec les détails de son apparence. L’expérience de notre voix, externe et interne, est la mélodie des six syllabes du mantra de Tchenrézi et notre esprit est celui de Tchenrézi, empreint de la non-violence, de la bienveillance et de la douceur qui le caractérisent. En même temps nous percevons tous les vivants comme étant Tchenrézi en corps, paroles et esprits, développant ainsi avec eux une expérience ou relation de Tchenrézi à Tchenrézi, de bouddha à bouddha. En même temps, tout l’environnement, l’entourage, est le domaine de Tchenrézi, sa terre pure, un monde en lequel toute apparence est comme un rêve, un monde dont il n’y a rien à craindre, qui ne peut en aucun cas nous nuire. On s’abandonne et se relaxe en cette expérience.

 Dans un deuxième temps, ou à un deuxième niveau, le triple mandala du corps, de la parole et de l’esprit se vit dans une dimension plus universelle, dans la présence des corps parole, esprit de Tchenrézi comme forme, sonorité et intelligence vides ; c’est-à-dire comme des apparences, sons, pensées et émotions transparents, dans une expérience nue, vide de saisie.

Thangtong Gyalpo dit dans le sadhana de Tchenrézi :

En priant l’esprit ainsi tout absorbé,
Du corps du très noble émane une lumière,
Les manifestations du karma impur
Et les perceptions erronées purifiées,
Le monde est le champ pur de félicité,
Le corps, la parole, l’esprit de tous les êtres,
Sont les corps, parole, esprit de Tchènrézi
Unis aux formes, sons et intelligences vides.

On prie en s’abandonnant à la lumière, en s’évanouissant dans la lumière, comme on voit un buisson-ardent, des forêts enflammées, des cimes étincelantes et bien d’autres lumières. On peut en voir de toutes les couleurs ! Les pensées sont comme pensées multicolores scintillantes en tiglés dans l’espace, comme les fleurs du ciel, «Namkhaï Métog»en tibétain. Cette lumière dissipe les apparences impures, celles du karma, toutes les illusions des six mondes ; c’est alors Déouatchène le domaine ou la terre pure de Tchenrézi et tout le monde, tous les vivants sont Tchenrézi en corps, en parole et en esprit. Toutes expériences sont le corps, la parole et l’esprit de Tchenrézi, le triple mandala : apparences, sons et intelligences vides, c’est-à-dire sans moi, sans esprit, sans saisie. Le trikaya est alors le triple mandala : apparences, sons et intelligences vides de quoi que ce soit qui leur soit autre, tout simplement. Cette expérience du triple mandala dans ces transformations est dans le sadhana la phase de transformation ou de génération ; elle se pratique associée à la récitation du mantra.

 Après la phase de transformation vient la phase de perfection. Le texte du sadhana dit : «Finalement, reste équanime dans la non-conception du triple mandala», c’est-à-dire: reste équanime dans l’expérience a-conceptuelle du trikaya, qui est le niveau parfaitement pur du triple mandala, l’état de présence immédiate de mahamudra-dzogchen. La réalisation de ce triple mandala est le fruit de la voie.

Les mandalas et l’iconographie

Un mandala iconographique est une carte, une modélisation ou plus précisément, un symbole. Cette carte est, bien sûr, en continuité avec le terrain mais d’une façon telle, qu’elle est en même temps un support d’apprentissage qui, mis en oeuvre de façon juste, amène toute une dynamique qui révèle le terrain, initie à l’intelligence de celui-ci et à son expérience. Le mandala symbolique, dans sa pratique juste, est transparent au mandala de l’expérience ; l’expérience éveillée transparaît dans le mandala symbolique jusqu’à l’effacement du signe, du symbole qui révèle le «mandala éternel».

Il ne s’agit donc pas tant de «fabriquer»conceptuellement un mandala que de s’abandonner à ce dont il est le symbole.

L’instruction finale de Guru Rinpoché

Pour terminer, comme autre illustration pratique du triple mandala, je voudrais vous présenter des instructions de Guru Rinpoché qui reprennent, sans le nommer explicitement, mais exprimant sa nature, l’expérience du triple mandala : externe, intermédiaire et interne. Ces instructions me sont particulièrement chères car ce sont les premières que me donna Kalou Rinpoché lorsque je lui fis la requête d’instructions sur la nature de l’esprit.

Tout ce qui est ici apparent
Comme des objets de la vision,
Toutes choses externes ou internes,
Dans l’habitacle ou comme habitant,
Bien qu’elles soient ainsi apparentes :
— Reste en l’état qui ne les saisit.—

En la pureté de la saisie,
La clarté-vide est le corps divin.
Au lama, j’adresse ma prière :
Que l’apparent-vide s’auto-libère.

Tout ce qui est ici entendu
Comme des objets de l’audition,
Tous les sons, plaisants ou déplaisants,
Résonnent comme des sons vides :
Reste en cet état indicible.

Les sons-vides, incrées et sans fin,
Sont la parole des victorieux.
Au lama, j’adresse ma prière :
Que le son-vide s’auto-libère.

Tout ce qui est ici mouvements
Comme des objets du sens interne,
Toutes les conceptions qui émergent
Des quintuples poisons des passions :
— Ne les accueille ni ne les suis,
N’entre pas en les fabrications
Produits du mental conceptuel.—

Le cours des pensées laissé en soi,
Le dharmakaya se libère.
Au lama, j’adresse ma prière :
Que l’intelligence s’auto-libère.

A l’extérieur, en la pureté
De la saisie d’objets apparents ;
A l’intérieur, en la liberté
De la saisie de l’esprit-sujet ;
Entre-deux, en la claire lumière
Qui comprend notre propre nature :

Que par la compassion de tous les
Tathagatas parmi les trois temps,
Vous inspiriez que s’auto-libère
L’existence de tous mes semblables.
OM, AH, HÛM.

 

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