Le symbolisme du centre

Mircéa Eliade

N’importe quel temple indien est, vu d’en haut ou vu en projection sur un plan, un mandala. N’importe quel temple indien est, comme le mandala, à la fois un microcosme et un panthéon. Pourquoi construire dès lors un mandala ? Pourquoi avoir besoin d’un nouveau mandala ? Pourquoi avoir besoin d’un nouveau «Centre du Monde»?

Pour certains dévots qui sentaient la nécessité d’une expérience religieuse plus authentique et plus profonde, le rituel traditionnel s’avérait fossilisé : la construction d’un autel ne leur permettait plus de retrouver leur «Centre». A la différence de l’homme archaïque ou de l’homme védique, l’homme tantrique avait besoin d’une expérience personnelle pour réanimer en sa conscience certains symboles primordiaux. C’est pourquoi, d’ailleurs, certaines écoles tantriques ont renoncé au mandala extérieur et ont eu recours à des mandalas intériorisés. Ceux-ci peuvent être de deux sortes : 1) une construction purement mentale, qui joue le rôle de «support»de la méditation, ou 2) une identification du mandala dans son propre corps.

Dans le premier cas, le yogin s’introduit mentalement à l’intérieur du mandala et réalise par là un acte de concentration et en même temps de «défense»contre les distractions et les tentations. Le mandala «concentre»: il préserve de la dispersion, de la distraction. L’identification du mandala dans son propre corps trahit le désir d’identifier sa physiologie mystique à un microcosme. Un exposé plus détaillé de la pénétration, par des techniques yogiques, à l’intérieur de ce qu’on pourrait appeler son «corps mystique», nous mènerait trop loin. Il nous suffit de dire que la réanimation successive des cakras, de ces «roues»(cercles) qui sont considérées comme autant de points d’intersection de la vie cosmique et de la vie mentale, la réanimation des cakras est homologuée à la pénétration initiatique à l’intérieur d’un mandala. Le réveil de la Kundalînî équivaut à la rupture de niveau ontologique, c’est-à-dire à la réalisation plénière et consciente du symbolisme de «Centre».

Comme on vient de le voir, le mandala peut être en même temps ou successivement le support d’un rituel concret, ou d’une concentration spirituelle, ou encore d’une technique de physiologie mystique. Cette multivalence, cette capacité de se manifester sur des plans multiples bien que homologables, est une caractéristique du symbolisme du Centre en général. Ce qui est facile à comprendre : car tout être humain tend, même inconsciemment, vers le Centre et vers son propre Centre, qui lui confère la réalité intégrale, la «sacralité». Ce désir profondément enraciné dans l’homme de se trouver au coeur même du réel, au Centre du Monde – là où se fait la communication avec le Ciel – explique l’usage immodéré des «Centres du Monde». Nous avons vu plus haut que l’habitation humaine était assimilée à l’Univers, le foyer ou l’ouverture ménagée pour la fumée était homologuée au Centre du Monde. De sorte que toutes les maisons – comme tous les temples, les palais, les cités – se trouvent situées en un seul et même point commun, le Centre de l’Univers.

Extrait de  Images et symboles, essai sur le symbolisme magico-religieux, Gallimard.

 

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