Le mandala au cœur de la voie

Lama Denys Rinpoché

Comment passer sur l’autre rive, de la confusion à la clarté ? Le mandala est le pont, la vision intégrée de notre expérience entre ciel et terre. Au centre de la traversée se trouve le coeur-esprit éveillé (bodhicitta), la pierre philosophale qui transforme l’océan des souffrances en la terre mer de félicité. Le texte ci-dessous expose cette perspective de transformation.

Les trois mandalas : de l’expérience habituelle, de l’expérience juste et de l’éveil.

Le mandala de l’expérience habituelle est le samsara ; «expérience juste» ici traduit «méditation»; et le mandala de l’éveil correspond au nirvana, à l’éveil.

«L’expérience habituelle» est l’expérience dualiste, égocentrée. Le centre du mandala est soi, le sujet, et la périphérie est constituée de ce avec quoi le sujet que je suis est en relation. Avec quoi le sujet est-il constamment en relation ? Avec ses projections, avec lui-même en miroir, avec les apparences illusoires que sont les projections habituelles. Ce fonctionnement – sujet-objet-relation – est l’ego. Le mandala de l’ego est la relation qui se développe entre le sujet et l’objet en terme d’attraction, de répulsion et d’indifférence, les trois poisons de l’esprit.

«L’éveil», la réalisation de la nature de Bouddha, est traditionnellement présenté comme les trois corps d’un Bouddha. Ce sont les trois aspects ou les trois facettes simultanées, concomitantes de l’expérience éveillée dont on parle parfois comme de l’ouverture, de la clarté et de la compassion ultime, non-deux.

«L’expérience juste», la voie, est un processus d’incorporation, d’entrée dans l’expérience fondamentale des trois corps du Bouddha, un processus d’intégration en lequel s’opère le passage du mandala de l’ego au mandala de l’éveil. Dans sa forme la plus simple, le mandala de la pratique est aussi ternaire et ces trois éléments sont les trois continuités fondamentales : l’ouverture, la clarté et la compassion ou réceptivité-disponibilité. Le mandala de la pratique va permettre l’émergence de ces qualités d’ouverture, de clarté et de sensitivité qui sont notre nature profonde. On quitte l’ego en entrant en cette nature jusqu’à sa perfection absolue : l’ouverture absolue étant le dharmakaya, la clarté absolue le sambhogakaya et la réceptivité absolue le nirmanakaya.

Il est juste de parler de la «réalisation de la nature de l’esprit», mais remarquons ici que, d’une certaine façon, il est plus pertinent de parler de l’éveil comme d’un «processus d’incorporation», ce qui a l’avantage de contrecarrer une tendance occidentale très spiritualiste, avec souvent une attitude de dénigrement, d’inattention, de dépréciation vis-à-vis du corps, de la matière ou des choses concrètes. Le pratiquant est celui qui se tient droit entre terre et ciel : l’esprit «au ciel», ouvert, et les pieds «sur terre», stable ; c’est aussi une image du mandala : le ciel, la terre et l’homme.

Du samsara au nirvana : bodhicitta

Notre expérience habituelle est un tissage de la «conscience», de l’expérience dualiste d’une part et de l’intelligence première, de l’expérience immédiate, de l’éveil dans ces trois qualités d’autre part. C’est le «mandala-samsara»- notre expérience habituelle, les six mondes avec au centre de chacun d’eux, une passion – au coeur duquel est une part de santé fondamentale, une présence d’éveil. Une expérience, quelle qu’elle soit, n’est jamais une expérience de complète fermeture : même dans les pires situations, il y a encore, fut-elle infime, une part de liberté, d’ouverture, de clarté et de disponibilité. Dans les six mondes du samsara, il y a ainsi la présence de la nature de Bouddha. Elle en est même la trame de fond, ces six mondes étant en fait une modification, une déformation plus ou moins grossière, un voilage plus ou moins intense de ce fond, de ce terrain primordial qu’est la nature de Bouddha. Cette présence est symbolisée dans le «mandala du samsara», «la roue de la vie», par la présence physique d’un Bouddha à l’intérieur de chacun des mondes.

La pratique consiste à bien «centrer»son mandala, à choisir le bon centre. Notre expérience, au lieu d’être centrée sur l’une ou l’autre des passions, se centre sur l’intention d’éveil, se centre sur bodhicitta, sur le «coeur-esprit éveillé».

Il est dit que porter en soi bodhicitta transforme tout ce que l’on fait en l’or de la pratique : bodhicitta est la pierre philosophale qui transforme tout ce qu’elle touche en l’or d’une pratique d’éveil. Porter ainsi au coeur de son mandala, en son coeur, bodhicitta va transformer notre vie, notre fonctionnement, notre expérience et aussi l’environnement.

Il y a bodhicitta comme aspiration du coeur ; il y a bodhicitta comme pratique issue de cette aspiration : les six paramita ; et il y a aussi bodhicitta absolue, la sixième paramita pleinement réalisée, l’ouverture parfaite au coeur du mandala.

Au point de référence central qu’est l’observateur se substitue l’ouverture ; cela amène une expérience au-delà des limites habituelles… et en une expérience d’ouverture parfaite, la limite aussi s’évanouit : c’est le passage d’une expérience centralisée à une expérience «sans centre ni périphérie», le mandala éveillé, celui du trikaya, des trois corps.

Ce texte est la transcription, adaptée par Lama Wanchouk d’un exposé fait en privé par Lama Denys, mars 2003.

 

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