Notre mandala personnel

Shenphen Hookham

Le mandala nous introduit à la dimension non duelle de notre expérience. Lama Shenphen donne les clefs qui ouvrent d’une façon à la fois très intime et universelle les portes de l’intelligence traditionnelle du monde et de soi.

Chaque être sensible peut être considéré comme un mandala dont la nature réelle n’est autre que l’éveil qui se manifeste par les trois qualités : ouverture, clarté, et sensitivité. Bien que l’ego ne puisse appréhender le monde qu’en termes duels et illusoires, il est possible de développer une compréhension profonde de notre mandala personnel et de réaliser notre nature éveillée.

Dans la tradition du Bouddha, on insiste fréquemment sur les enseignements du non-soi et souvent les Occidentaux en tirent la conclusion que tout ce qui appartient au soi est mauvais ou relève de l’égoïsme. C’est une grande erreur car le soi ne se réfère pas nécessairement à quelque chose de négatif ou d’égoïste.

Ce que nous sommes en nous-même est l’Ouverture, la Clarté et la Sensitivité du «coeur essentiel indestructible». C’est notre soi authentique et le but de notre quête. Il est important de comprendre dès le début que dans le dharma tous les êtres, et pas seulement les humains, sont considérés comme des personnes ou des mandalas qui peuvent être éveillés ou non éveillés. Même le Bouddha est une personne avec son propre mandala personnel. Mais qu’est-ce que cela veut dire?

Il y a différentes façons de décrire notre mandala personnel en fonction de tel ou tel aspect que nous souhaitons mettre en avant. Au niveau habituel, c’est le mandala de notre monde et de notre corps avec notre «citta», notre coeur-esprit au centre. Toutes les pensées, les paroles et les actes qui créent des échanges de communication et d’énergie entre nous et le monde qui nous entoure font partie de ce mandala. Fondamentalement, nous choisissons de créer ce monde et d’y entrer, ce qui l’entretient et le fait perdurer.

Conventionnellement, nous parlons d’un «je» par lequel nous signifions l’agent moralement responsable, celui qui connaît, celui qui fait l’expérience, celui qui possède des mémoires et celui qui a une vision du futur. Ce «je» est celui qui aime ou n’aime pas, celui qui a des espoirs et des peurs. C’est ce à quoi nous sommes le plus attachés. La question est de savoir ce que c’est.

En méditant sur l’impermanence, nous découvrons que ce que nous pensions qu’il était, notre corps, nos sensations, perceptions, pensées, émotions etc., ne peut être le «je»car tout cela apparaît en même temps que cela disparaît. En fait, tout ce que l’intelligence saisit comme son objet ne peut être le «je». Au contraire, sa nature réside dans l’ouverture, la clarté et la sensitivité de notre être.

Cela est la véritable essence de notre mandala personnel. C’est le «je»dont vous pouvez dire : «c’est ce que je suis en moi-même, en essence, au coeur même de mon être». Ce n’est pas un objet de conscience mais l’intelligence elle-même. Cela n’est pas saisissable conceptuellement mais c’est là où réside notre sens de la valeur, de ce qui vaut la peine et de notre bien être. Cela n’est pas une expérience mais l’essence insaisissable de l’expérience elle-même.

Il faut préciser que la structure et la dynamique de notre expérience, même quand nous ne réalisons pas notre soi authentique et ce que nous sommes vraiment, est une réalité à laquelle nous ne pouvons échapper.

Il y a une réalité dans laquelle nos mémoires et notre vision de l’avenir sont reliées ensemble et inter-agissent dans le monde d’une façon qui est unique. Nos connexions avec le monde et nos points de vue sont les nôtres et ceux de personne d’autre. Nous faisons des choix sans arrêt et sommes moralement responsables des conséquences. Nos actions rebondissent sur nous en apportant du bonheur et de la souffrance. Nous pouvons choisir de faire ou de ne pas faire ceci ou cela et nous pouvons aussi nous accorder avec les sensibilités les plus profondes de notre être ou bien les ignorer. Tous ceci est une réalité à laquelle nous ne pouvons échapper mais que nous envisageons seulement partiellement et avec un regard distordu. C’est pourquoi, pour nous, les perspectives sont mélangées.

Une part de ce que nous envisageons comme notre mandala personnel s’accorde avec la réalité et nous avons simplement à laisser tomber nos conceptions erronées à ce sujet. Tout le reste est pure fabrication créée par le processus de la saisie. La tâche du pratiquant consiste donc à graduellement trier le vrai du faux à travers le tamis d’une intelligence attentive et constante.

Notre mandala personnel, dans le sens de notre corps qui communique avec le monde à travers la parole et les actes dirigés par le coeur-esprit, est une réalité qui nous échappe en grande partie. Pourtant cette réalité n’est pas nécessairement confuse et non éveillée. En effet, il est possible de réaliser la nature de notre expérience comme étant le mandala d’un bouddha centré dans la vision d’une compassion illimitée.

Un aspect particulier de notre mandala personnel est notre relation avec les autres êtres vivants. Notre mandala personnel est le centre de son propre monde de relations sociales. Il se déplace, entre et sort de mandalas sociaux construits autour de divers foyers. Chaque mandala social a son propre principe central avec ses frontières, ses connexions, ses flux d’énergie, etc. (les neuf aspects du mandala tels que décrits plus loin). En fait, de multiples façons, le principe du mandala est beaucoup plus facilement décrit en terme de mandala social, même si, au fond, cela renvoie à une réalité beaucoup plus profonde que la dynamique des groupes et des relations personnelles.

Tandis que notre mandala personnel est une réalité qui nous échappe, le mandala de l’ego est une pure fabrication. Il est fondé sur l’absence de connaissance (avidya), la non-reconnaissance de notre vraie nature et la terreur qui naît d’une profonde intuition que le monde du mandala égocentré est sans fondement et prêt à s’écrouler. C’est une tentative frénétique d’étayer et de s’accrocher à une réalité autre que celle de l’ouverture, de la clarté et de la sensitivité. Les gens demandent souvent : qu’est-ce qui fait cela et pourquoi ? C’est l’ouverture, la clarté et la sensitivité qui le fait et d’une certaine façon, dans ce contexte, les questions «pourquoi»ne sont pas très fécondes. Il est préférable de se concentrer sur la question : comment cela se fait. En étant attentif, nous pouvons réaliser comment cela se produit et, à ce moment-là, il sera peut-être temps de se demander pourquoi (si la question a encore un sens).

C’est comme si le mandala de l’ego prenait la place de notre mandala personnel et le faisait apparaître confus. Au fur et à mesure que nous élaborons un mandala de pratique fondé sur notre souhait du coeur dirigé vers l’éveil, les doutes et craintes qui sont dans le noyau du mandala de l’ego sont évacués graduellement et remplacés par la confiance en le coeur essentiel indestructible. Le mandala de la pratique s’accorde peu à peu au plus près de la réalité en laissant la structure du mandala de l’ego être évacuée vers la périphérie. Les connexions et dynamiques de notre mandala personnel restent les mêmes, et les aspects égotiques ou personnalités souterraines qui contribuent à maintenir le mandala de l’ego sont convertis en aspects ou personnalités qui participent de notre pratique et, éventuellement, de notre activité éveillée.

Extrait de The Principle of the mandala, article inédit du Lama Shenpen Hookham.

 

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