Les trois mandalas du corps, de la parole et de l’esprit

Lama Denys

L’expérience de l’éveil peut être dite comme trois aspects concomitants appelés «les trois corps d’un bouddha» ; cette triade est également présente dans l’expérience habituelle sous la forme du mandala corps-souffle-esprit ; et la voie peut se résumer à la transformation des souffles duels en souffles d’éveil.

Le trikaya

L’expérience éveillée, incorporée, comprend trois dimensions concomitantes : le trikaya, le triple corps d’un bouddha ou les trois corps d’un bouddha. Ils sont nommés: dharmakaya – corps du réel-vide -, sambhogakaya – corps de perfection – et nirmanakaya – corps d’émanation. Ce sont respectivement les dimensions d’ouverture, de clarté et de compassion de l’éveil.

Le dharmakaya, ou dimension d’ouverture, est l’expérience éveillée dans sa qualité «toute ouverte», sans centre ni périphérie. L’observateur central dissous, évanoui dans l’observé périphérique, fait corps avec son expérience, au-delà du centre et de la périphérie ; ils ne sont plus deux. Le dharmakaya est le corps du réel non duel, la pureté primordiale, l’alpha pur, vide d’autre : le mandala de l’esprit éveillé.

Le sambhogakaya, ou dimension de clarté, est l’expérience éveillée dans sa qualité claire, lumineuse et lucide, «selwa lhundroup»en tibétain, «la clarté naturelle», ou auto-subsistante. Il est l’énergie de l’expérience éveillée qui se vit en elle-même, qui se com-prend en soi ; son expérience est parfaite, complète, c’est le bonheur indicible de la grande félicité. Le sambhogakaya, corps de perfection non dualiste ou de félicité, est le mandala du souffle-énergie, du verbe : le mandala de la parole éveillée.

Le nirmanakaya, ou dimension de sensitivité, est l’expérience éveillée dans sa qualité empathique, participative, sans blocage, «toukjé mangapa»en tibétain, la «compassion sans blocage». En l’expérience non duelle il y a une empathie, une participation immédiate de l’expérimentateur à l’expérience, et la saveur de cette expérience est une sensitivité, une sensorialité libre de toute saisie et de tout blocage, c’est la grande compassion ou le grand amour. Le nirmanakaya, corps de compassion immédiate, est le mandala du «corps émané», la présence du corps éveillé, dans le temps et l’espace, sa réalité historique et géographique : le mandala du corps éveillé.

Le trikaya est le Maître fondamental, connu comme Guru Rinpoché, Vajradhara, Samantabhadra ou tout autre nom d’une déité représentant l’éveil.

Esprit, souffle et expérience

L’esprit ou la conscience est un processus cognitif, une boucle cognitive qui n’est pas séparable de son expérience. L’esprit et le corps de son expérience ne sont pas dissociables. Esprit et expérience sont interdépendants : ils dépendent l’un de l’autre comme le concepteur et le conçu dans la conception ou le sujet et l’objet dans la relation.

L’esprit est souffle. Il a une nature pneumatique qui se dit en tibétain «loung sem yermé», ce qui se traduit par «non-séparabilité du souffle et de l’esprit». Le souffle est l’énergie de l’esprit-expérience, il en est le constituant, il constitue ses éléments ; tout phénomène, tout élément, tout constituant est souffle-énergie. Toutes les expériences depuis l’expérience habituelle jusqu’à l’expérience éveillée, sont le jeu des souffles duels de la conscience et non duels de l’expérience immédiate. Dans cette perspective, le corps est souffle, l’esprit l’est aussi ; la triade corps-souffle-esprit, ou corps-parole-esprit, le triple mandala est souffle. La réalisation se résume à la transformation des souffles duels en souffles non duels et elle se fait par la dissolution ou la décharge de la saisie qui constitue l’aspect dualiste des souffles.

Dans l’enseignement sur les «douze facteurs interdépendants» en lesquels se structure le mandala du samsara et qui, dans l’iconographie, sont représentés en un cercle qui entoure les six mondes, il est dit que le neuvième, la saisie, est celui au niveau duquel il peut y avoir une coupure de l’enchaînement, où il est possible «d’abandonner» le samsara.

La présence éveillée, faite de souffles d’expérience ou d’intelligence immédiate, représentée par le mandala du trikaya et par toutes les représentations de l’éveil utilisées dans le symbolisme traditionnel, est fondamentalement omniprésente en toutes nos expériences ; elle est présente en toutes situations, dès maintenant – ici -. Sur la voie, l’intelligence et la pratique de cette présence ont un pouvoir de transformation des illusions ou souffles habituels en expérience ou souffles d’éveil ; c’est la fonction d’un mandala : sa pratique révèle la présence éveillée, rend manifeste «le très subtil»et dissout les saisies dualistes qui le voilent ; c’est l’alchimie de la réalisation. Le triple mandala : corps, souffle-parole, esprit et le trikaya sont présents, depuis la base de la voie – l’expérience habituelle – jusqu’à son fruit – l’expérience non-duelle -. L’expérience de cette présence dans sa continuité, qui est celle de la vie authentique, est la fonction libératrice du mandala, son pouvoir comme système intégrateur d’éveil.

Ce texte est une compilation faite par Lama Wangchouk d’enseignements donnés en 1994 dans le cadre du séminaire Le mandala de l’expérience et d’exposés faits en mars 2003.

 

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