Apprivoiser la mort

Professeur Jean-François Mattei

Comment mieux vivre la mort, dans une société où « nous avons désappris la mort ? » Le professeur Mattei, ministre de la Santé, répond avec la force de son expérience médicale, administrative et humaine afin d’apporter les réponses qui pourront faire évoluer les institutions de santé au nom du devoir d’humanité.

La mort repoussée, une agonie inhumaine

La médecine guérit aujourd’hui de nombreuses affections jusque-là incurables. Les techniques médicales et la réanimation, repoussant sans cesse les limites de la mort, permettent d’entretenir une vie prolongée. Mais pour refuser la mort, confondant souvent science et artifice, la médecine cède parfois à la tentation manifeste d’abuser de certaines techniques de pointe, prolongeant, du fait de l’acharnement thérapeutique, une agonie inhumaine. Quand les conditions de vie de celui qui va mourir passent au second plan, dans le déni de sa solitude, de sa souffrance comme de celle de ses proches et des soignants, peut-on encore parler de victoire sur la mort ? Ne s’agit-il pas plutôt d’un grave contresens ou plus encore d’un mensonge ? La victoire n’est-elle pas plutôt dans l’apprivoisement de la mort et son acceptation lorsqu’elle est inéluctable ?

La mort est pour chaque homme un sujet de préoccupation majeure dont les dimensions métaphysiques rejoignent la crainte des épreuves infligées au corps. Le malaise, les oppositions, les solutions extrêmes relèvent du divorce entre la conscience de plus en plus affirmée de la dignité de la personne et la méconnaissance de la mort. Nous avons peu à peu désappris la mort. Elle a déserté nos foyers comme si, avant que d’être morts, les mourants n’étaient déjà plus des vivants.

En effet, comment rester sourd et insensible aux cris de détresse de ceux qui souffrent ? Comment ignorer que la vraie liberté du malade réside dans le droit d’être aidé et assisté par ses proches ? C’est-à-dire de pouvoir bénéficier de structures d’accueil hospitalières permettant la présence de l’entourage mais aussi de structures ambulatoires à domicile. Il est nécessaire de permettre davantage l’assistance mutuelle des parents et des enfants, une assistance médicale et infirmière suffisante, un soutien psychologique essentiel et, bien sûr, quand le besoin s’exprime, un accompagnement religieux et spirituel.

La prise en compte de la souffrance, de la solitude et de l’abandon : un devoir d’humanité.

Quand la plupart des hommes souhaitent mourir dans un cadre familier, en Europe, dans la majorité des cas, ils meurent dans des hôpitaux ou des cliniques, dans des circonstances qui peuvent parfois être considérées comme incompatibles avec cette humanité nécessaire au passage ultime qu’est la mort. Cela tient pour partie à la peur de la mort, à la méconnaissance des soins palliatifs et à l’insuffisance des structures sociales. La prise en compte de la souffrance, de la solitude et de l’abandon doivent s’imposer comme un devoir d’humanité.

Le degré de dignité d’une société se juge sur les soins prodigués aux faibles et aux mourants. Nous ne pouvons donc plus éviter de repenser notre façon de soigner. La vraie liberté du patient réside dans l’application réelle de traitements actifs contre la douleur et dans une véritable politique de soins palliatifs. La dignité du malade réside dans la volonté de poursuivre des soins qui soulagent, non pas à tout prix dans une logique d’acharnement thérapeutique, mais pour, avec une souffrance moindre, apprivoiser la mort et l’accepter lorsqu’elle se révèle de toute façon inéluctable.

Extrait de la préface au livre La tendresse pour tout bagage, de Denis Ledogar, Presses de la Renaissance, Paris 2000

Exergue 1 : La victoire n’est-elle pas plutôt dans l’apprivoisement de la mort et son acceptation lorsqu’elle est inéluctable ?

 

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