Une Analyse du temps

Khenpo Tsultrim Gyamtso Rinpoché

Dans ce commentaire du texte fondamental de Nagarjuna : L’Intelligence Transcendante Traité Fondamental de la Voie Médiane, Khempo Tsultrim démontre que les trois temps : passé, présent, futur, sont pure illusion et que la vacuité des phénomènes est aussi applicable au temps.

En fait les trois temps n’ont aucune existence perceptible ; ils sont seulement des imputations conceptuelles. C’est quelque chose que nous pouvons comprendre assez facilement en regardant la première stance du chapitre :

Si présent et futur
Dépendaient du passé,
Présent et futur
Existeraient dans le passé.

Nous pouvons aussi transformer cette stance pour couvrir les autres permutations possibles :

Si passé et futur
Dépendaient du présent,
Passé et futur
Existeraient dans le présent.

Si passé et présent
Dépendaient du futur,
Passé et présent
Existeraient dans le futur.

Si les trois temps existent, ils doivent exister soit en dépendance l’un de l’autre soit indépendamment l’un de l’autre. Si la première possibilité était le cas, alors par exemple, si le présent et le futur existaient en dépendance du passé, la conséquence absurde en serait que le présent et le futur devraient exister dans le passé. Ceci est vrai car pour qu’une chose dépende d’une autre, les deux doivent se rencontrer. S’il n’en existe qu’une à la fois, elle n’a rien de quoi dépendre, et il n’y aurait rien qui dépendrait d’elle.

Si elles existaient indépendamment l’une de l’autre, l’absurde conséquence de cela serait que le présent existerait indépendamment de toute notion de passé ou de futur, et passé et futur existeraient indépendamment de toute notion de présent. Si tel était le cas, nous devrions alors conclure que le présent n’est pas vraiment le présent, après tout, parce que c’est quelque chose qui ne dépendrait pas du passé et du futur. Le fait est que si nous avons une notion du présent, le seul moyen que nous avons pour ce faire est d’avoir quelque idée du passé et du futur. Même si quelque chose est dénommé le présent, s’il ne dépend pas du passé et du futur, il ne peut pas vraiment être le présent.

Néanmoins, si le présent existe en dépendance du passé et du futur, il existe alors et dans le passé et dans le futur, parce qu’il doit forcément coexister avec la chose dont il dépend pour son existence. Le présent devrait alors exister dans le passé afin de dépendre du passé — il devrait exister dans le futur afin de dépendre du futur.

Analyser les choses de cette façon met en évidence le fait que les trois temps n’existent pas réellement, que le temps est juste une création de nos pensées. Par exemple, lorsque nous passons du bon temps, le temps semble filer à toute allure. Quand nous souffrons, il semble s’écouler d’une façon atrocement lente. Enfin, lorsque nous sommes profondément endormis, nous n’avons plus aucune notion du temps — le temps n’existe tout simplement pas pour nous, dans cet état. Alors comment s’écoule vraiment le temps, en fin de compte ? Passe-t-il vite, lentement, ou pas du tout ? Il n’y a aucune façon de répondre objectivement à cette question.

De nos jours, il est également très facile d’avoir une expérience directe de l’irréalité du temps — appelez simplement un de vos amis dans un autre pays et demandez-lui quelle heure il est ! Il se peut que votre ami vous dise : “Il est midi,” et il se peut que vous lui disiez : “Non, il est dix heures du soir.” Qui gagnerait ce débat ? Le fait que des gens vivant dans différents endroits du monde peuvent avoir des idées différentes à propos de l’heure qu’il est montre que le temps est juste une simple apparence apparue en vertu de la réunion de causes et de conditions. Il n’est qu’une imputation des pensées.

Si le temps existait vraiment, nous devrions être capables de le percevoir indépendamment des formes, des sons, des odeurs, des saveurs et des sensations tactiles. Il existerait de lui-même, et nous pourrions le percevoir. Le fait est que le temps néanmoins ne peut exister qu’en dépendance de l’existence de quelque chose auquel nous pouvons rapprocher la notion de temps. Par exemple, si rien n’avait cessé, nous n’aurions aucune notion du passé ; s’il n’y avait rien maintenant, nous n’aurions aucune notion du présent ; et si nous n’anticipions rien de ce qui va se produire, nous n’aurions aucune notion du futur. Étant donné que le temps ne peut exister qu’en dépendance de ces choses, il ne peut pas vraiment exister.

Dans le texte de Chandrakirti, L’Entrée dans la Voie Médiane, ce dernier explique :

Le présent ne dure pas,
Le passé et le futur n’existent pas.

Parmi les seize vacuités, la vacuité du temps est “la vacuité de l’imperceptible”. Lorsque nous cherchons le temps directement, c’est ce que nous trouvons — le temps est imperceptible. Essayez tout de suite : regardez votre montre. Quand vous regardez votre montre pour voir quelle heure il est, voyez-vous le temps ? Non, vous voyez simplement des petites baguettes qui tournent en rond ! Quand vous le cherchez, vous ne pouvez jamais voir le temps, parce que le temps est imperceptible. Le temps est vacuité.

Réaliser la vacuité du temps est important pour notre pratique pour plusieurs raisons. D’abord, dans la tradition de Mahamudra l’attachement aux trois temps comme étant réels se nomme une vue fausse. Si nous ne renversons pas notre pensée que le temps est réel, nous ne pourrons pas réaliser l’égalité.

Qui plus est, réaliser la vraie nature du temps nous empêche de nous attacher à la durée de notre pratique comme étant réelle. Certaines personnes pensent qu’elles doivent méditer pendant de longues périodes de temps sans quoi ce n’est pas vraiment la pratique du Dharma. D’autres se sentent fières parce qu’elles pensent qu’elles ont pratiqué le Dharma depuis un certain nombre d’années et sont par conséquent des pratiquants avancés. D’autres sont déçues parce qu’elles pensent qu’elles ont pratiqué pendant longtemps et ne voient aucune amélioration dans leur situation — il se peut qu’elles soient tellement déçues qu’elles abandonnent la pratique du Dharma complètement. D’autres encore sont extrêmement pressées et pensent qu’elles doivent atteindre l’éveil aussi vite que possible. Réaliser que le temps n’est pas réellement existant et que périodes longues et périodes courtes sont égales nous libère de tous ces types d’attachement ainsi que de l’agitation mentale qu’ils engendrent. Cette absence d’attachement est ouverte, spacieuse et détendue.

La réalisation de la vraie nature du temps est particulièrement importante pour les bodhisattva car ils font vœu de libérer jusqu’au dernier tous les êtres du samsara qui sont en nombre infini, et ce quel que soit le nombre d’ères cosmiques que cela peut prendre. Puisqu’ils sont libres de l’attachement aux périodes longues et courtes comme étant réelles, ils peuvent donc prendre cet engagement avec aise et joie. Ainsi que l’a enseigné le Bouddha : “Une ère cosmique et un instant sont égaux,” et sachant cela, les bodhisattva sont capables de rester dans le samsara et d’accomplir continuellement des actes pour le bien des vivants sans jamais se fatiguer ni se décourager.

Toutes ces raisons montrent pourquoi il est tellement important de réaliser que le temps est de la nature de l’apparence-vacuité, et la façon dont nous pouvons faire cela c’est en utilisant les raisonnements logiques présentés dans ce chapitre. Une fois que nous aurons acquis la certitude de la vacuité du temps, s’en souvenir encore et encore la rendra de plus en plus stable, et puis finalement nous réaliserons la vraie nature du temps directement. C’est comme cela que le processus fonctionne.

Extrait de The Sun of Wisdom, Marpa Institute, 2003. Traduction française Thoukje

Exergues :

« Le temps est juste une création de nos pensées. »

« Réaliser la vraie nature du temps nous empêche de nous attacher à la durée de notre pratique comme étant réelle. »

« La réalisation de la vraie nature du temps est particulièrement importante pour les bodhisattva car ils font vœu de libérer jusqu’au dernier tous les êtres du samsara »

Définitions

Samsara : cycle des existences conditionnées dans lequel errent tous les êtres qui n’ont pas réalisé leur nature de Bouddha. Qui la réalise expérimente le samsara comme nirvana.

 

<<Retour à la revue