Nature de Bouddha et soi

Shenphen Hookham

Dans son ouvrage Buddha winthin (Le Bouddha intérieur), Shenphen Hookam analyse le concept de Nature de Bouddha (tathagatagarbha) et sa relation avec l’idée de vacuité, deux notions capitales dans le bouddhisme mahayana Dans cet extrait, elle évoque la notion de soi qui apparaît dans le Ratnagotravibhaga, un des textes de référence de la vue shentong, notion qui peut apparaître contradictoire avec le concept d’anatman.

Une des caractéristiques principales de la doctrine du Tathagatagarbha, et probablement l’aspect le plus controversé, est la présence dans les sutra du Tathagatagarbha du Vrai Soi ou de la paramita du Soi.

Le mot “Soi”, utilisé dans ce contexte, embarrasse beaucoup de bouddhistes, qu’ils soient orientaux ou occidentaux, anciens ou modernes. Ceci a conduit à des traductions confuses du simple mot “atman”, dans le but d’éviter le mot tabou “soi”. Par exemple, Jikido Takasaki [Study 207] le traduit par “unité” et quelque part par “ego” ; K. Holmes [The Changeless Nature] et Ming Wood [JIABS vol. 5 no. 2 : 82], le traduisent par “identité” ; Mahathera Nyanatiloka [Path to Deliverance] le traduit par “personnel” et “personnalité”.

Malgré tout ceci, la traduction la plus évidente et la plus précise est “soi”, tel qu’il est défini dans le Shorter Oxford English Dictionnary (SOED) : “Ce qui, dans une personne, est réellement et intrinsèquement lui (par opposition à ce qui est adventice)”.Ceci est acceptable seulement si le pronom “lui” est compris ici comme signifiant ce qu’une personne est intrinsèquement, et non ce qu’elle est par opposition à autrui.

En général, le comportement des êtres est en accord avec la croyance qu’ils sont des entités-soi indépendantes, durables, ayant des corps et des esprits. Cependant, lorsqu’on analyse la nature du corps et de l’esprit, aucun soi-entité permanent de nature indépendante ne peut être trouvé. De cette façon, le “soi” autour duquel un être organise sa vie peut être remis en question. Ainsi les trois caractéristiques de l’existence sont données comme étant l’impermanence, la souffrance et le non soi. Cela signifie qu’aucun des composants de l’existence (c’est-à-dire les skandhas) ne peut être le soi puisqu’ils sont impermanents ; ce qui est impermanent est désagréable, n’est pas le soi et ne peut même pas lui appartenir. Puisque les skandhas constituent l’intégralité de l’existence de l’être, le soi ne peut pas non plus se situer en dehors d’eux.

Dans le Annattalakkhanasutta, le Bouddha fait remarquer qu’aucun des skandhas ne peut être le soi, car s’ils l’étaient, ils ne conduiraient pas à Duhkha Selon les termes de Collins : “On pourrait avoir le pouvoir de les changer”. En termes de tous les jours, si je ne peux pas contrôler quelque chose, je dis que ce n’est pas moi. Si la souffrance était ce que nous sommes essentiellement, nous ne chercherions pas à la supprimer. De plus, lorsque nous recherchons notre vrai soi, nous recherchons ce que nous sommes essentiellement, rejetant tout ce qui est changeant et dépendant de conditions variables. Si nous trouvions uniquement des processus et des conditions changeants, nous pourrions en conclure qu’il n’y a pas de soi.

Dans le Canon Pali, le Bouddha prend pour données que le soi a la caractéristique de la permanence, de l’indépendance, et qu’il est libre de la souffrance. Il établit ensuite que ces qualités ne peuvent être trouvées dans aucun phénomène composé (sabbe dhamma anatta). Il ne va pas jusqu’à dire qu’il n’y a pas de soi du tout, mais il ne dit pas non plus qu’il y en a un. Cependant, ce qu’il dit, c’est que le nirvana est la permanence, le non-conditionné (c’est-à-dire indépendant), et liberté vis-à-vis de la souffrance, caractéristiques du soi véritable qu’aucun dharma ne possède (…)

Le Soi qui est enseigné dans les sutras du Tathagatagarbha n’est pas la conscience dualiste (vijnana) qui est un des skandhas et donc, par définition, adventice. C’est pour cela qu’il est préférable d’éviter le terme “ego” pour traduire “atman”, bien que beaucoup d’Occidentaux y soient favorables. La raison pour laquelle le terme “ego” est confus, est qu’il est défini dans le SOED par “sujet pensant consciemment, par opposition au non-ego ou objet”. Donc, il implique véritablement un cadre dualiste pour l’esprit. De plus, “ego”, est devenu complètement un terme technique psychologique. “Ego”, en tant que terme psychologique, désigne l’ensemble du processus qui conduit à l’établissement d’une saine identité, et c’est un phénomène entièrement conditionné. Il n’a rien de commun avec ce que l’on est véritablement par essence. Il se pourrait que ce soit le processus par lequel on s’attache au sens d’un soi résidant dans la continuité des skandhas, mais ce n’est pas ce soi en tant que tel. Le processus-ego ne peut être nié, mais le soi résidant à l’intérieur des skandha peut être et est nié par les bouddhistes.

C’est l’attachement à ce soi inexistant qui doit être abandonné, et non pas le sens d’une saine identité. Par conséquent, il est déroutant de traduire non-soi (anatman) par non-ego. De plus, le Soi des sutra du Tathagatagarbha est le soi existant véritablement au sens du SOED. Il a les caractéristiques de la Réalité Ultime et ce serait une grande erreur de le traduire par “ego”.

En lisant avec attention les sources canoniques anciennes (pali et autres), on trouve de nombreuses références à ce qu’on pourrait appeler la “sphère de la valeur ultime”, bien que sa relation avec la personne phénoménale soit en définitive très peu discutée. Par exemple, quand le nirvana lui-même semble être exprimé entièrement en termes d’extinction, comme un feu qui s’éteint et ne va nulle part, le Bouddha ne s’en tient pas là. Il ajoute qu’il est vaste et profond comme l’océan, profond et difficile à comprendre. On pourrait dire qu’il n’y a rien de vaste et de profond dans une simple extinction ; au contraire, ce n’est rien du tout.

L’enseignement selon lequel le nirvana est vaste et profond implique qu’il est quelque chose, mais ce qu’il est doit être différent de toute chose du samsara. Toute chose dans le samsara est dépeinte comme naissant en dépendance, comme étant le résultat du processus conceptuel. Le nirvana ne naît pas en dépendance et il est libre de tout processus conceptuel. Mais dans le Madhyamaka on considère que le nirvana n’existe pas, parce que le concept même d’“existant” naît en dépendance du concept de “non-existant”. Quand la réalité est vue telle qu’elle est, l’inexistence et l’existence sont vues comme de simples concepts. C’est pourquoi le Ratnagotravibhaga dit que c’est le Soi Suprême, parce qu’il est libre à la fois de soi et de non-soi. Cependant, il est utile de dire que le nirvana existe car cela corrige l’idée qu’il est la simple extinction de quelque chose d’autre.

Extrait de Buddha within (traduction Comité Lotsawa)

Exergues :

« les trois caractéristiques de l’existence sont données comme étant l’impermanence, la souffrance et le non soi »

« Si la souffrance était ce que nous sommes essentiellement, nous ne chercherions pas à la supprimer. »

« Le nirvana ne naît pas en dépendance et il est libre de tout processus conceptuel »

Définitions

Canon pali : ensemble des textes de référence du Theravada ou École des Anciens.

 

<<Retour à la revue