La vision profonde

Deshung Rinpoché

Deshung Rinpoché expose ici de façon synthétique les pratiques de vipashyana (lhagtong) qui permettent de développer une vision profonde et pénétrante. Vipashyana est l’essence de prajña, la compréhension directe, au-delà de la saisie dualiste de l’intellect.

Observant encore et encore l’esprit inobservable,
Vipashyana voit clairement le comment de son sens invisible .
Résolus les doutes sur ce qu’il est et n’est pas,
Puisse, libre d’illusion, ma propre face être reconnue.

On distingue :

-Vipashyana spécial qui est la pratique développant la réalisation de l’intelligence immédiate du mahamudra – le sens ultime –. Il ne sera pas développé ici.

-Et vipashyana selon les points essentiels de la voie commune aux sûtras et tantras, c’est le sens de cette pratique que nous allons exposer brièvement.

Elle comprend :

1. La méditation du non-soi de la personne, ou d’absence d’individualité dans la personne.

2. La méditation du non-soi des phénomènes ou d’absence d’entité dans les phénomènes.

3. La méditation de la vacuité ayant pour cœur la

compassion.

4. Et la méditation de shamatha et vipashyana conjoints.

Définitions

Il s’agit d’abord de distinguer le « non-soi de la personne » et le « non-soi des phénomènes », puis de comprendre leur inexistence.

La « personne » est l’intelligence qui appréhende la continuité des constituants qui nous composent. Lorsque cette intelligence saisit en elle-même quelque chose d’indépendant, de permanent et de monolithique, et ainsi se fixe à un « moi-je » ou « soi », c’est le « soi de la personne » ou encore « l’individualité de la personne ».

Comprendre que ce soi de la personne (ou individualité de la personne) n’est pas quelque chose en-soi est la compréhension du « non-soi de la personne » ou de l’absence d’être ou d’individualité dans la personne.

Les « phénomènes» sont les différentes choses : constituants, éléments, etc, conçues par le soi de la personne, ou l’individualité de la personne.

Saisir ces phénomènes et s’y attacher comme à des choses réelles ayant leurs caractéristiques en elles-mêmes est le « soi des phénomènes » (être).

La méthode de pratique.

Dans un lieu isolé, nous entrons en le Refuge du lama et des Trois Joyaux avec une prière fervente. Puis, motivé par la Grande Compassion, nous méditons longuement l’éveil du cœur-esprit (bodhicitta). Nous pratiquons ensuite un exercice de shamatha, et lorsque le repos de l’esprit s’est quelque peu développé, nous considérons :

« Alala ! Notre esprit est en soi l’état naturel, il est naturellement depuis toujours Claire lumière, libre de toutes déterminations. Il est Clarté-vide subsistant sans direction, ni orientation. Mais ne le réalisant pas, s’y saisit un « moi-je » qui fait errer sans fin dans le samsara. Ce samsara qui apparaît de l’accoutumance aux propensions illusoires de la saisie dualiste est apparences de choses qui ne sont pas, comme un déguisement, une enveloppe illusoire. En les saisissant comme réalités, comme un fou l’on s’adonne à des illusions, et dans celles-ci on éprouve continuellement l’expérience pénible de nombreuses souffrances.

Maintenant, à partir des instructions du Lama sacré, je vais pénétrer dans le suprême secret de l’esprit, le profond cœur de tous les enseignements exprimé par les 84000 collections du Dharma des tathagata des trois temps et je ne serais plus possédé par le démon de la saisie des choses ».

Méditation du non-soi de la personne

Nous tendons le corps et l’esprit dans la concentration de l’expérience agréable d’exister comme être autonome et en regardons les constituants.

Nous considérons ensuite que « la saisie d’un moi ou d’un mien est une illusion », car si ce que nous nommons moi ou soi existait, il devrait être soit dans le nom, soit dans le corps ou soit encore dans l’esprit :

•  Le nom n’étant qu’une désignation adventice, il n’est pas le soi.

•  Le corps n’étant qu’une simple conception qui recouvre l’agrégation de nombreux constituants comme la chair, le sang etc., il n’est pas non plus le soi. Du sommet de la tête à la plante des pieds, à l’intérieur, à l’extérieur, où que ce soit, il n’est de soi.

• Quant à l’esprit ? : l’esprit du passé a [déjà] cessé ; l’esprit à venir n’est pas [encore] né, et l’esprit du présent cesse immédiatement, aussi ne peut-il non plus être le soi.

Ce que l’on nomme « soi » se réduit alors à n’être qu’une illusion sans fondement. Le mental considère [ces points] encore et encore.

Méditation du non-soi des phénomènes

Toutes les apparences du monde extérieur dans leur variété : montagnes, maisons etc., ne sont pas le produit du hasard, du Tout-puissant, des quatre éléments, d’atomes ou d’un créateur autre mais sont produites par notre propre esprit globalement altéré par les propensions du samsara. (Toutes ces apparences) sont comme inexistantes, elles se réduisent uniquement à des apparences émergeant par le pouvoir de l’illusion. Elles sont, pour prendre un exemple, analogue à une ville onirique ou aux chevaux, vaches ou autres formes du rêve.

Nous considérons cela longuement pour en développer une ferme conviction.

Ainsi, si les apparences saisies comme objets sont analogues aux apparences oniriques, le connaisseur qui les saisit est aussi semblable à l’esprit (sujet) de l’expérience onirique, il n’a pas non plus d’existence réelle, quelle qu’elle soit.

C’est pourquoi tous les phénomènes inclus dans la saisie dualiste sujet-objet ne sont qu’illusions, mensonges et sujets de tromperie.

Nous le considérons, puis l’esprit se retourne sur lui-même en l’intelligence du présent instantané, libre du voile de la saisie dualiste sujet-objet, et longuement il contemple nûment son éclat propre.

Dans l’expérience de la clarté-lucidité d’ouverture totale, béante, contemplons d’où naît cette lucidité intelligente : on ne lui trouve d’abord de cause (ou de lieu d’origine) d’où elle vienne : elle est non née, c’est une vacuité ouverte et dégagée.

• Ensuite, contemplons où réside son essence, elle ne se trouve nulle part : ni à l’intérieur du corps, ni à l’extérieur ou entre les deux. Elle ne consiste en aucune couleur, forme ou quoi que ce soit. Quelle que soit la façon dont nous la recherchions, elle ne peut être trouvée. C’est une vive transparence sans localisation.

• Finalement, si nous contemplons où elle finit : elle ne se termine et ne s’achève en aucune conséquence et, dans cette non-finitude est un bonheur étale.

Ainsi, la vacuité naturelle, dépourvue de cause, de conséquence et d’essence (ou d’être) resplendit dans une nudité claire et brillante. Sans bloquer aucunement l’énergie propre à la clarté de ce qui en fait l’expérience, l’intelligence de cette expérience est une lucidité vive et ouverte : dans sa clarté, elle ne consiste en rien (elle est vacuité) et dans sa vacuité, elle est intelligence, lucide et libre de tout blocage. C’est la clarté-vide, l’absence de saisie, l’au-delà des déterminations et des orientations.

« Demeure en cette ouverture, béante, nue et dégagée, indicible et impensable ; et finalement, sans même saisir l’indicible ! »

Quand apparaît une pensée, ne suis pas son cours, reste dessaisi :

« aussitôt apparue elle a complètement disparue ».

Au début, sois concentré avec fermeté dans l’intensité ; au milieu, sois relâché (ou relaxé) dans la détente ; et à la fin, sois sans espoir ni crainte.

En résumé :

« sans jamais être distrait de l’ainsité de la simple présence qu’est la clarté-lucidité vide sans fixation, sois sans contrainte en l’état où il n’est rien qui soit médité. Médite ainsi, intensément, de courts moments, répétés encore et encore ; puis, sans que la méditation ne devienne rebutante, arrête-la sur une bonne impression ».

Extrait de Le flambeau de la voie vers la libération, Karma Ling 2001

 

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