Le sens définitif de la Prajñaparamita

Bokar Rinpoché

Dans son commentaire du Sutra du Cœur, le vénérable Bokar Rinpoché analyse le sens profond de ce texte qui résume les enseignements de la Prajñaparamita. Dans ce passage, il précise le sens définitif de la Prajñaparamita au-delà des distinctions entre second et troisième cycle des enseignements du Bouddha.

L’essentiel de cet enseignement tient dans le fait de considérer le moi, l’ego, comme inexistant, de concevoir les cinq agrégats, les douze facteurs interdépendants, les dix-huit éléments des sens, tous les phénomènes sans aucune exception, comme étant vacuité.

Il ne faut cependant pas confondre « vacuité » et « vide » avec « rien-du-tout » et « néant ». Cet enseignement démontre la vacuité de tous les phénomènes, afin de combattre la tendance innée à saisir comme existant réellement le « je » ainsi qu’une permanence dans les phénomènes matériels, tendance naturelle, qui n’a pas besoin d’être développée, à saisir comme existant réellement l’univers qui nous entoure et nous-même. Par la réalisation de cette Sagesse Transcendante, nous pourrons dissiper les souffrances du cycle des existences ainsi que les apparences illusoires qui découlent de la saisie égocentrique. L’énoncé de la Prajnaparamita appartient au second cycle de l’Enseignement du Bouddha. Il en existe un troisième qui a été transmis, non plus en un lieu défini, mais en des lieux divers, à des Bodhisattvas dont la compréhension était particulièrement vaste. Dans cet enseignement, il est dit que tous les phénomènes sont « Treu pa dang drel oua », c’est-à-dire, libres de toute production, de toute diffusion, de toutes caractéristiques. Les phénomènes sont au-delà de la caractéristique d’être vides ou de n’être pas vides, d’avoir une existence propre ou de n’en pas avoir.

On a vu que, lors du Premier Cycle de l’Enseignement, le Bouddha avait commencé par définir ce qu’on appelle « je » et démontré qu’il s’agissait, en fait, de cinq agrégats et dix-huit éléments des sens. Une fois cela bien établi, il a démontré, dans un Second Cycle d’Enseignement, la vacuité, l’inexistence, de ces cinq agrégats, dix-huit éléments et douze facteurs interdépendants. La saisie des phénomènes comme étant vacuité permet effectivement de faire cesser toute souffrance, de faire cesser le cycle des existences ; cependant, une chose demeure : la saisie de la vacuité en tant que telle. De fait, lorsqu’il y a saisie d’une vacuité comme existant, « c’est vacuité », il y a concept et, de ce fait, il ne s’agit pas vraiment de la Sagesse Transcendante. C’est la raison d’être du troisième Cycle d’Enseignement qui va démontrer que la réalité fondamentale est au-delà de tout concept, de tout point de vue ; au-delà de l’être et du non-être, de la vacuité et de la non-vacuité.

Ce mode d’être du Dharmakaya, la réalité ultime, est réellement au-delà de tout concept : au-delà du fait d’être ou de ne pas être, du fait d’être et ne pas être à la fois, du fait de ni être ni n’être pas, au-delà de toute possibilité logique de conceptualisation. Mais bien que cette réalité ultime ne puisse être appréhendée de l’extérieur au moyen d’une représentation conceptuelle, ni transmise à autrui, elle peut cependant être vécue, réalisée de l’intérieur. C’est quelque chose qui va s’élever, apparaître dans l’esprit. C’est ce qui est exprimé dans la courte louange qui précède le Soutra du Cœur :

« Sagesse Transcendante, indicible et inconcevable,
Sans apparition, sans cessation, essence même de l’espace,
Tu n’es perceptible qu’en le domaine de la suprême connaissance ;
Je te rends hommage à toi, mère des Bouddhas des trois temps ».

Cela correspond à la Réalisation Ultime. Tant que nous ne possédons pas cette réalisation, nous ne sommes pas fondés à nous exprimer ainsi. Il s’agit là d’une chose qui ne peut être comprise intellectuellement, qui doit être expérimentée.

C’est la raison d’être des trois Cycles de l’Enseignement du Bouddha. Cette révélation de la Prajnaparamita constitue à la fois le cœur du second Cycle d’Enseignement, le Mahayana, ainsi que la réalisation ultime du Vajrayana. Cependant, bien que la chose à réaliser dans ces deux véhicules soit la même : la nature fondamentale de tous les phénomènes, la Prajnaparamita, le Vajrayana a cela de supérieur au Mahayana qu’il utilise des moyens extrêmement efficaces, puissants et profonds qui permettent une réalisation rapide de ce sens ultime.

Extrait de Profondeur de la sagesse Claire Lumière, 1986

Exergues

« Par la réalisation de cette Sagesse Transcendante, nous pourrons dissiper les souffrances du cycle des existences »

« Les phénomènes sont au-delà de la caractéristique d’être vides ou de n’être pas vides, d’avoir une existence propre ou de n’en pas avoir ».

« Cette révélation de la Prajnaparamita constitue à la fois le cœur du second Cycle d’Enseignement, le Mahayana, ainsi que la réalisation ultime du Vajrayana ».

Définitions :

Bodhisattva : «un être à l’état d’esprit éveillé », ‘ celui qui a le courage de l’esprit d’éveil, qui n’est pas effrayé par la multitude des êtres à libérer ».

Mahayana : Grand véhicule, Ensemble des écoles bouddhiques qui mettent l’accent sur la vacuité de tous les phénomènes et sur l’idéal du bodhisattva.

Vajrayana : Véhicule tantrique, écoles du Mahayana qui développent des moyens habiles visant à amplifier et accélérer la réalisation spirituelle.

 

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