Les holons

Jeremy Hayward

Dans son ouvrage Lettres à une jeune fille sur l’enchantement du monde, Jeremy Hayward présente à sa fille Vanessa une vision ouverte et merveilleuse du monde inspirée par les enseignements Shambhala. Dans cet extrait, il introduit la notion de holon, concept qui désigne tous les phénomènes et qui vise à restituer à ceux-ci leur caractère ouvert et interdépendant.

Inventer un mot qui signifie que tout dans l’univers est à la fois fermé, séparé et ouvert, connecté à l’ensemble, me paraît susceptible de nous ouvrir l’esprit. Attends, tu vas voir.

Autrefois, on employait beaucoup le mot « système ». Les gens parlaient de systèmes ouverts ou fermés, et toutes sortes d’idées intéressantes sont nées de l’étude des systèmes ouverts. Mais, le mot lui-même a pris une tonalité déplaisante. Il est aujourd’hui associé à l’autorité, à la rigidité, à l’absence de vie – pense au système scolaire, au système soviétique, au système carcéral, aux systèmes mécaniques, etc.

Il existe un autre mot, inventé dans les années soixante, qui a jusqu’ici résisté à la tendance réifiante de nos mentalités primitives. Il s’agit du mot « holon », que nous devons à Arthur Koestler. Il est formé de la racine « hol » – qu’on trouve aussi dans holistique, et qui désigne le fait que l’univers est un tout ; et de la terminaison « on », empruntée à l’électron, au positon, qui signifie qu’un holon est aussi une partie d’un tout plus vaste.

Prends un rosier, par exemple. C’est une chose en soi, à certains égards. Il est planté en un endroit précis, il donne des roses jaunes et non rouges comme son voisin, il est en meilleure santé qu’un autre, et ainsi de suite. Il constitue donc un tout. Mais il est lié à la terre, au soleil et à l’eau. Sans eux, il mourrait rapidement. Il est aussi en relation avec toi et moi, puisque nous le greffons, nous l’arrosons, nous lui mettons de la paille pour le protéger du froid….. Le rosier est donc ouvert.

Toi aussi, Vanessa, tu es un holon. Tu es entière, tu es toi-même, bien sûr, mais tu es aussi une partie : une partie de la famille Hayward, une partie de la bande de jeunes qui fréquente le café de Tony, une partie de la communauté Shambhala, de la communauté humaine, de la communauté du vivant et ainsi de suite. Toutes ces communautés, d’ailleurs, sont elles-mêmes des holons.

Chaque holon est donc un tout-partie, ce qui revient à dire qu’il est ouvert-fermé. Toute chose est en partie fermée, puisque limitée par une surface, une frontière. A l’intérieur de celle-ci, une chose réagit comme un tout. Mais, comme elle est aussi ouverte, en liaison avec d’autres holons, elle fait partie d’un ensemble plus vaste. Selon cette optique, tout l’univers est donc constitué de « touts » dans des touts dans des touts qui sont aussi des parties dans des parties dans des parties – autrement dit, des holons dans des holons dans des holons. Tu piges ?

Bien. Je pense qu’on va s’arrêter là pour ce matin. Nous venons de voir que, pour regarder les « choses » autrement, on peut les considérer comme des « holons ». En remplaçant le concept de chose par celui de holon, nous gardons présent à l’esprit le fait que tout est à la fois ouvert et fermé, structuration de type holographique au sein de l’océan d’énergie-conscience vitale-sentiment.

En revenant au monde des choses tangibles, après notre plongée dans le sublime océan de l’énergie-conscience vitale-sentiment, je souhaite que nous regardions les frontières présentes dans cet océan, sans perdre la sensation de sa vitalité. C’est pour cela que je veux que tu sentes / penses en termes de holons plutôt qu’en termes de choses. Chose fait référence à l’inerte, au statique. Par contraste, je voudrais que le mot holon t’évoque un bruissement de vie, un orage, un nuage de moucherons dans la lumière dorée d’un soir d’été, un groupe de gens dansant sur l’herbe verte d’un pré. Car la nature des holons est ainsi – n’importe quel holon, depuis ton corps-esprit jusqu’à un rocher. Quand tu lis « holon », associe-le avec « vibrant, bourdonnant, frémissant, rayonnant ».

Une dernière précision, Vanessa, pendant que nous parlons des choses : ne commets surtout pas l’erreur de penser que l’énergie-conscience vitale-sentiment est une chose ! Ce n’est pas vraiment un holon non plus.

L’énergie-conscience vitale-sentiment est sans frontières. Elle est dans l’infiniment grand comme dans l’infiniment petit.

Tu auras peut-être envie de rapprocher l’énergie-conscience vitale-sentiment de ce que les gens appellent Dieu, Allah ou autre. Mais certains, comme les taoïstes, ne lui donnent pas de nom. Dès que tu nommes quelque chose, tu commences à y penser comme à une chose, extérieure à toi. C’est une tendance de l’esprit humain que nous avons constatée à plusieurs reprises dans ces lettres. Ensuite, tu commences à vénérer ce que tu vois comme grand et puissant et à te considérer comme petit et pauvre. Voilà le danger !

Ce que j’appelle énergie-conscience – je l’appelle énergie-conscience vitale-sentiment dans ces lettres – n’est pas une chose ; elle ne possède donc pas de nom.(…)

Parce qu’ils ont une configuration différente, tous les holons possèdent une qualité de conscience vitale-sentiment différente : inanimée pour le rocher, vivante pour le bouleau, expressive pour le chien, pensante pour le savant. On suppose, sans en être certain, que la conscience vitale de tous les holons n’est pas aussi intense que celle des hommes (ceux qui sont vraiment humain) ou que celle des chiens. La conscience vitale des arbres semble moins intense, ou en tous cas différente ; celle des rochers aussi.

En revanche, on peut penser que les drala, les dieux et autres invisibles ont une conscience vitale extrêmement intense. Les chamans et les maîtres qui sont en rapport direct avec eux disent qu’en réalité, c’est la peur de cette intensité qui nous empêche de les voir. Le moindre contact avec l’invisible risquerait d’ébranler notre santé mentale – en bouleversant notre notion de la réalité et de notre identité, ce qui peut être terrifiant. Entrer en résonance avec les drala n’est donc pas forcément agréable ni rassurant – mais ça peut nous réveiller.

Extrait de Lettres à une jeune fille sur l’enchantement du monde, Editions Laffont, 1999,

Exergues

« Tout l’univers est donc constitué de « touts » dans des touts dans des touts qui sont aussi des parties dans des parties dans des parties »

«  En remplaçant le concept de chose par celui de holon, nous gardons présent à l’esprit le fait que tout est à la fois ouvert et fermé, »

 

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