Un chemin d’honnêteté

Shyalpa Rinpoché

Dans cet enseignement, il nous est montré comment la voie peut se ramener à un seul terme : l’honnêteté. Il ne s’agit pas de développer une vue moralisante mais de prendre conscience, par une attention de chaque instant, comment notre ego nous illusionne et comment nous pouvons nous dérober à la réalité. L’honnêteté consiste également à s’ouvrir pleinement aux énergies de nos émotions et à reconnaître leur nature qui n’est autre que celle du Bouddha.

Dans la pratique bouddhiste, être honnête avec nous-mêmes est la vertu la plus importante. En étant honnêtes avec nous-mêmes, il semble possible de découvrir la raison pour laquelle nous devrions nous efforcer d’être une bonne personne, un être doux et bienveillant. Il nous est impossible de ressentir une réelle compassion si nous ne sommes pas prêts à nous confronter à la réalité qui est juste en face de nous. Sans honnêteté, la vraie compassion, l’attention et la bonté véritables sont hors de notre portée.

Pourquoi cela ? Commençons par observer la nature relative du monde qui nous entoure. Tout ce qui est conditionné est sujet au changement. C’est-à-dire, rien de ce qui est conditionné ne possède la caractéristique inhérente de permanence. Ceci inclut le soi-disant “moi”, qui est également impermanent et n’existe pas en soi, si nous le cherchons. (…)

L’honnêteté véritable signifie être disposé à voir les choses telles qu’elles sont, sans vouloir les modifier de quelque manière que ce soit. Bien sûr, c’est difficile. C’est contradictoire. Depuis notre naissance, nous avons l’habitude de diviser le monde entre Nous et Tout le Reste, de poursuivre ce qui Nous avantage, laissant Tout le Reste se défendre tout seul.

Mais où nous a mené ce raisonnement ? Ce déni constant de la réalité consomme beaucoup d’énergie. Il y a là quelque chose de pas naturel. Cela ne nous rend pas heureux, puisque la réalité refuse toujours de coopérer, refuse de conforter notre propagande personnelle. Même si finalement nous obtenons ce que nous voulons, nous avons alors peur de le reperdre et cela nous apporte de l’anxiété. A chaque instant nous ressentons cette tristesse, cette frustration, cette inaptitude à faire coïncider le monde avec les projections de notre ego. Finalement, au moment de notre mort, il nous faudra bien, une fois pour toutes, faire face au mensonge de notre propre permanence.

La véritable honnêteté signifie aussi vivre complètement chaque instant. Lorsque vous n’êtes pas honnêtes, vous manquez ce moment parce que vous pensez à l’instant suivant, au précédent, ou à la semaine prochaine. Et alors vous ratez la relation avec ce moment, avec la réalité qui est juste en face de vous. En n’étant pas totalement attentif à l’instant, vous ne respectez pas cette pensée, cette énergie, vous considérez ce moment comme un dû. Alors, lorsque nous ignorons le moment présent de cette manière, il y a des conséquences : nous créons le karma, nous créons la souffrance. Si nous ne vivons ce moment qu’à cinquante pour cent, les autres cinquante pour cent que nous avons ratés nous causeront sûrement des difficultés plus tard.

Donc lorsque nous disons “soyez attentifs” dans cette tradition, nous disons simplement : ce moment est plus profond que toute autre chose sur terre. Nous disons : votre nature innée primordiale est pure, et l’énergie qui provient de votre pure nature primordiale a plus de valeur que tout le reste. Ce moment n’a pas moins de valeur qu’un autre moment. Que vous consacriez cet instant à penser à votre père, à écouter un troupeau d’oies au-dessus de votre tête ou que vous soyez irrité parce que vous venez juste de vous souvenir que l’échéance du paiement de vos impôts approche, ou encore, que vous ressentiez une démangeaison à l’arrière de votre cou – quoi que ce soit – rien n’a davantage de valeur que ce moment, parce que ce qui est présent en cet instant n’est rien moins que la pure énergie ou l’état de pureté primordiale de votre être.

Par exemple vous ressentez un moment de jalousie. Etre honnête signifie que vous ne devez pas négliger ce sentiment. Vous devez être complètement conscient de votre jalousie et du fait que cette jalousie est simplement une énergie. Cette énergie est autant “vous” que n’importe quelle autre énergie qui a été “vous” ou a émané de “vous”. Et cette énergie jalouse est aussi valable qu’une autre, vous devez respecter l’énergie jalousie. Vous devez porter votre entière attention à cela. Vous ne devez pas ignorer ou théoriser à son sujet ou être négatif envers cela – vous devez simplement lui porter une attention totale.

Lorsque vous serez complètement attentif de cette manière, l’énergie n’exigera rien de plus de vous. Elle sera entièrement satisfaite du fait que vous lui avez consacré votre attention. Elle sera plénitude. Elle ne pleurera pas, n’exigera pas davantage d’attention, ne gâchera pas votre journée. Parce qu’elle aura été pleinement ressentie, elle se prolongera simplement, sans obstruction, en tant qu’énergie.

Donc en un sens la jalousie – ou tout autre sentiment que nous ressentons – est comme un serpent qui s’est enroulé sur lui-même jusqu’à faire un nœud. Si nous respectons le serpent, si nous sommes honnêtes avec lui, si nous reconnaissons l’aptitude innée du serpent, si nous avons confiance dans sa capacité à se dénouer, alors nous n’aurons pas besoin de faire autre chose que d’être complètement présents dans l’instant. Et nous verrons, à l’intérieur de cet instant, que le serpent se dénouera. L’énergie de la jalousie n’est pas différente de l’énergie associée au plaisir de manger, à la piqûre d’une aiguille, à la sensation de la pluie sur la peau ou au son de la musique de l’autre côté du lac. Ce sont juste des énergies dans un continuum d’énergies, si la conscience est présente.

Ressentir pleinement ce continuum est la pratique de la véritable honnêteté. L’honnêteté, alors, signifie : pas d’invention, pas de prétexte, pas de sottise. L’honnêteté signifie : réelle sensibilité, véritable compréhension. Honnêteté veut dire : être simple. Réaliser que vous pouvez vivre avec très peu – très peu d’idées, très peu de possessions. Possédant très peu, vous aurez moins tendance à être affairés ; vous serez moins dépendants et aurez donc plus de temps pour être libres et détendus.

Regardez, vous ne pouvez jamais être totalement, complètement honnêtes à moins de connaître la perspective globale de toutes choses. Ceux qui sont les plus honnêtes ont entière confiance dans la fonction globale de la réalité – comme le Bouddha lui-même. Alors vous ne trouvez aucun mal à l’extérieur puisque vous aurez dominé le vrai démon intérieur qui est la malhonnêteté.

N’être pas honnête crée l’identité. N’être pas honnête génère l’égoïsme. N’être pas honnête nous empêche de vivre pleinement. Lorsque nous ne sommes pas honnêtes nous sommes soucieux : si je fais ceci, qu’est-ce que ça me rapportera, que se passera-t-il pour moi, etc. Le “moi” devient important, au détriment du moment présent.

La pratique de la véritable honnêteté, c’est d’accorder la priorité à l’instant présent. Pour laisser ce moment prendre le dessus, il vous faut avoir grande confiance dans la véritable nature de bouddha qui est en vous. Quand vous trouvez le bouddha en toute chose, tout est célébration. Vous comprenez tout ce qui est extérieur à vous-même comme l’expression du bouddha intérieur. Si une chose vous semble emplie de courroux, vous la comprenez comme l’expression du bouddha intérieur. Si une chose semble paisible, c’est aussi l’expression du bouddha intérieur. Finalement, tout est expression du bouddha intérieur. Donc, tout est votre création. Votre création est tout.

Si vous comprenez les choses de cette manière, vous n’aurez pas besoin d’être malhonnêtes. Vous n’aurez pas besoin de lutter, pas besoin de changer. Vous pourrez vous relier aux choses telles qu’elles sont. (…)

Cette qualité d’honnêteté est en partie volontaire. C’est-à-dire, nous nous disons : “Allons, essaie d’être plus honnête”. Ou : “Essaie de ne pas conceptualiser à outrance, essaie de ne pas te duper, essaie de regarder franchement cette situation, considère réellement la possibilité que tu t’es trompé”.

Mais, plus important, l’honnêteté dont nous parlons est le résultat naturel d’une pratique de méditation disciplinée et énergique. Ce qui veut dire que l’honnêteté émerge naturellement de la méditation, sans le vouloir. Si nous méditons, nous deviendrons plus honnêtes.

Cette pratique de l’honnêteté – qui peut de prime abord sembler pénible et difficile – est en fait le seul moyen d’apprécier totalement nos vies et d’être complètement qui nous sommes.

Extrait de « Shambhala Sun », mai 2003, traduit de l’anglais par I. Charbonnier.

 

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