La discipline du bodhisattva est confiance

Chögyam Trungpa

Situant la discipline dans le cadre du Mahayana, Trungpa Rinpoché montre que celle-ci se fonde sur une confiance en ses potentialités de bodhisattva, au-delà de tout rigorisme moralisateur.

La paramita de la “discipline” ou sens moral se fonde sur un sentiment de confiance en soi. Par contraste, la moralité, au sens courant du terme, est souvent basée sur le manque de confiance et la peur de ses propres impulsions agressives. Lorsqu’on fait très peu confiance à sa propre intelligence et à sa propre capacité d’éveil, les personnes prétendues immorales représentent à nos yeux une grande menace. Par exemple, lorsqu’on taxe un meurtrier d’immoralisme, ce pourrait bien être parce qu’on craint d’assassiner quelqu’un ou parce qu’on a peur de tenir un pistolet, ce qui représente la mort et le meurtre étant donné qu’on croit qu’on pourrait s’abattre soi-même sur le champ. En d’autres termes, on ne se fait pas confiance, on se méfie de sa propre générosité. L’obsession de ne pas être à la hauteur est un des plus grands obstacles sur la voie du bodhisattva. Si on se sent inadéquat en tant que bodhisattva, on ne fait vraiment pas un bon bodhisattva. En réalité cette obsession avec ses aspects moralisateurs et culpabilisants est une façon de rester piégé dans le Hinayana. C’est essayer de confirmer le moi. Le sentiment de confiance en soi permet au bodhisattva de travailler habilement avec tout ce qui se produit, jusqu’au point de consentir à l’immoralité par compassion pour les êtres doués de sensibilité. C’est une question évidemment très délicate, mais cela suppose, au fond, de travailler intelligemment avec les autres.

La discipline du bodhisattva vient d’un sentiment de confiance en soi-même, mais elle implique aussi de faire s’éveiller la confiance chez les autres. Il y a une sorte d’héroïsme à hisser la bannière de la santé mentale et à proclamer une voie ouverte. Lorsqu’on est trop timide ou effacé, on ne sait pas trop qui on est ni avec qui on communique. Une impression de territoire, de garder les choses pour soi, subsiste. Et puisque notre confiance se fonde sur notre sentiment d’être quelqu’un de spécial, on a peur d’éveiller la confiance des autres autour. On craint de détruire notre propre petite base de pouvoir. Par contraste, la voie du bodhisattva est une voie d’expansion : elle offre une grande vision d’ouverture où il y a beaucoup de place pour travailler avec les autres sans arrivisme ni impatience. Comme notre vision ne dépend pas du maintien du moi, on ne peut être menacé. Comme on n’a rien à perdre, on peut vraiment y mettre un peu du sien dans ses relations avec les autres.

Extrait de « Le Cœur du Sujet », Le Seuil 1993

 

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