Le samaya du Dzogchen

Namkhaï Norbu Rinpoché

Dans le Dzogchèn, la relation au maître est capitale et le guru yoga en est la pratique centrale. Lors de ses enseignements donnés en France en 1998, Chœgyal Namkhaï Norbu explique la spécificité du samaya du Dzogchèn, moins formel que celui du Vajrayana. Ce lien sacré est basé sur quatre principes : “rien”, “parfait”, “unique” et “spontanément parfait”.

Dompte la colère dans ton esprit.
Renonce à l’avidité qui te pousse à accumuler.
Garde en toi l’amour et la compassion.
Dans les affaires spirituelles comme dans celles des hommes,
Prends à témoin ton propre esprit.

Si nous sommes un pratiquant du Dzogchèn, il n’est pas du tout dit que nous devions soit recevoir des vœux, soit faire une pratique de transformation sur une base quotidienne. Si vous en avez envie, vous pouvez le faire, mais ce n’est pas le point principal du Dzogchèn. La pratique principale immanquable du Dzogchèn, c’est le guru yoga. Parce que le guru yoga représente votre état primordial, celui que votre maître vous a donné à vous, l’élève. L’élève ensuite essaye de rester dans cet état et, même si ce n’est pas possible d’y rester toujours, il essaye au moins d’y réussir quelques fois dans une journée.

Par exemple, dans le tantrisme quand on parle de samaya, on fait la promesse d’entrer dans cette transformation, de chanter le mantra chaque jour. Dans le Dzogchèn, on dit, au contraire, qu’il n’y a pas de samaya, de promesse particulière. Pourquoi est-ce qu’il ne peut pas y avoir de promesse particulière ? C’est qu’il n’y a rien dans le Dzogchèn dont on puisse dire : “Tu dois faire ainsi, tu dois faire comme cela”. Tu dois comprendre dès le départ, quand tu commences à pratiquer, ce qu’est la promesse, l’engagement de la samaya du Dzogchèn. Dans le tantrisme, il y a une liste complète de toutes les choses qu’il faut faire, faire la pratique de yidam tant de fois, rendre hommage au maître et ainsi de suite. Dans le Dzogchèn, ce n’est pas présenté ainsi. Dans le Dzogchèn, quand on parle de samaya, il y a quatre principes.

Le premier des quatre s’appelle : “Rien”. Rien, cela veut dire qu’il n’y a aucune règle particulière dont on puisse dire : “Vous devez faire ainsi, vous ne devez pas faire comme cela”. Parce que le but du Dzogchèn n’est pas de contrôler notre existence ou de se rééduquer en disant : “On doit faire comme ceci, ne pas faire comme cela”. L’enseignement du Dzogchèn est là pour nous faire découvrir notre condition réelle et, lorsque nous découvrons notre condition réelle, nous devenons responsable de nous-même. Dans ce cas là, nous devons faire de notre mieux, c’est cela qui est enseigné dans le Dzogchèn. C’est pourquoi, quand nous disons samaya, le numéro un c’est “rien”. Vous pourriez comprendre : “Ah oui ! Il n’y a rien, donc je peux faire tout ce qui me passe par la tête”, mais nous avons dit que dans le samaya du Dzogchèn, il n’y a pas une seule chose, mais quatre.

Dans le deuxième, nous disons : “tchalwa”, qui veut dire parfait. Cela veut dire que toutes nos considérations, tous nos concepts de bon et de mal, toute notre dimension, sont parfaits. Et cela veut dire que nous ne devons pas rester distraits, nous devons rester présents, nous savons ce que sont les choses, ce qui est bien, ce qui est mal et nous faisons de notre mieux. Parce qu’il n’y a pas un seul objet qui ne soit pas inclus dans cette déclaration parfaite.

La troisième : “chikpou”, veut dire unique. Cela veut dire que l’on reste dans l’état unique de l’état primordial. Parce que le maître nous a montré cette compréhension et le but de la pratique est simplement de demeurer dans cet état, même si nous ne pouvons pas y rester pour toujours, nous faisons de notre mieux. Même si nous avons une bonne intention, dans la vie quotidienne, il y aura bien sûr des distractions. On peut être très distrait, accumuler les erreurs, créer de nombreux problèmes mais peu importe, on ne peut pas dire : “J’ai brisé les samayas parce que j’ai fait ces erreurs”. Nous savons très bien que nous vivons dans un monde dualiste, au sein du samsâra, et comme il y a des causes secondaires infinies, bien sûr nous pouvons avoir tous ces problèmes. Si vous êtes un pratiquant, si vous avez fait une erreur, vous ne demeurez pas indifférent à cela. Peut être que votre distraction dure une minute ou deux, ou un quart d’heure, ou une demi heure mais, à un moment donné, vous vous rendez compte que vous avez pris une mauvaise route et que ce que vous êtes en train de faire ne correspond pas aux principes de l’enseignement. Quand vous vous en rendez compte, vous ne continuez pas, vous essayez de le purifier et vous faites de votre mieux pour demeurer dans la condition véritable et, de cette façon-là, vous pouvez purifier. Voilà comment nous faisons la pratique et pour cette raison, nous disons : l’état “unique”, la découverte de notre condition véritable.

La dernière des quatre s’appelle : “lhündrup”, ce qui veut dire l’état spontanément parfait. Cela veut dire que nous avons des potentialités infinies et qui peuvent se manifester à l’infini. Et, toutes nos considérations de bien et de mal, etc. font toutes partie de cet état de perfection spontanée. Il n’est pas forcément nécessaire de rester constamment à juger, à penser, etc. Si on observe et que l’on demeure dans le principe, c’est l’essentiel. Immédiatement, on essaye de revenir aux principes de l’enseignement.

Vous remarquerez que, même si on a dit au début qu’il n’y a “rien”, en fait on devient nettement plus responsable, par exemple, qu’un pratiquant des sûtra. Si vous recevez un vœu dans l’enseignement des sûtra, il y en a un certain nombre qui disent : “Vous ne pouvez pas faire ceci, ceci et cela”. Si vous voulez savoir si une chose est autorisée ou non, vous pouvez regarder dans cette liste et vous pouvez voir si la chose y figure ou pas, ce qui veut dire en fait que vous n’êtes pas responsable. C’est beaucoup plus simple. Etre responsable de soi est une chose plus difficile parce que, au sein de notre condition, même si nous parlons de bien et de mal, ce n’est pas toujours facile de décider ce qui est bien et ce qui est mal. On se dit : “Ah oui, cela devrait être bien”. Si nous sommes convaincu, à ce moment-là nous essayons d’appliquer en faisant de notre mieux. Petit à petit, nous approfondissons notre clarté et, en développant notre clarté, nous pouvons comprendre un peu mieux ce qui est bien et ce qui est mal.

Autrement, les choses que nous disons ne correspondent pas toujours à l’aspect pratique. Par exemple, une chose qui est considérée comme allant de soi en Orient peut être considérée comme négative, ici, en Occident. Parfois, on peut se dire : “Ah bien ! Cela doit être bien, parce que j’ai une bonne intention à la base”. Dans le Mahayana, on dit que si on a une bonne intention, tout va bien.

Comment comprendre si notre intention est vraiment une bonne intention ou pas ? (…) Pour découvrir si l’intention est vraiment bonne ou pas, nous devons développer notre clarté, c’est la seule méthode. C’est pourquoi, dans l’enseignement Dzogchèn, le guru yoga est le point central.

Extrait de Visite en France, novembre 1998, Association Dzogchèn, 1999.

 

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