Gouverner sa vie

Lama Denys

Il est une façon de mener sa vie de façon digne et responsable au delà de la contrainte des règles rigides. Il s’agit de se relier à l’ordre naturel des choses et de s’ouvrir pleinement à sa nature profonde. Cette attitude qui est celle du bodhisattva génère l’harmonie et constitue la seule base fiable pour harmoniser son environnement.

“Régner sur sa vie”, ou “gouverner le royaume de sa vie” suggère une vie avec une gouverne, avec un gouvernail – une vie disciplinée, régner évoque qu’on est maître de sa vie plutôt que de la subir. Il y a dans “gouverner et régner”< le sens d’une liberté qui n’est pas celle de l’ego : “faire ce que je veux”, mais qui est une liberté par rapport à l’ego. C’est ici que tous les sens de cette gouvernance, de cette maîtrise et de ce règne se rejoignent dans la notion de discipline. L’idée est que dans une vie ordonnée, dans une vie harmonieuse, une vie dans l’ordre naturel des choses – l’ordre de la bonté fondamentale –, il est une discipline qui est l’harmonisation avec cette intelligence et cette ordonnance naturelles. Cette discipline est la pratique d’une vie à la fois digne, douce, non-violente. C’est dans cette dignité non passionnelle que se trouve le règne de la vie profonde, de la vie authentique et sa gouvernance – et si l’on veut : son gouvernement.

L’expérience de cet ordre naturel est une qualité de lucidité ouverte, détendue, relâchée. L’ouvert est naturellement sans tension, sans intention, avec une qualité de vivacité, d’acuité, de clarté, de lucidité ouverte. Vivre cette lucidité ouverte avec cet équilibre, est la discipline fondamentale, la discipline ultime. C’est aussi la discipline du non-soi, du non-ego, au sens où l’ouverture profonde, dans sa nature, est l’expérience au-delà de ces repères habituels que sont le centre et la périphérie.

Kalou Rinpoché racontait souvent l’histoire d’un roi qui avait décidé d’abolir toutes les inégalités de richesses, de pouvoir, et avait décrété de tout partager, de tout offrir. Et l’histoire raconte que malgré plusieurs tentatives successives, l’objectif échoua, car il y avait toujours des personnes pour recommencer le processus d’appropriation, de possessivité, de captation. C’est simplement une façon de suggérer que le fonctionnement d’une société n’est pas différent de l’esprit des personnes qui la constituent, les deux sont interdépendants. Et c’est en régnant sur son monde, en vivant l’harmonie que, de proche en proche, une action au sens large sur la société peut se faire, plutôt qu’en s’engageant dans l’investissement militant et agressif qui, dans la violence, ajoute la confusion à la confusion.

C’est dans l’expérience immédiate que se trouve l’harmonie fondamentale. La discipline immédiate est une discipline au-delà des repères habituels et est même l’au-delà des repères. Nous avons certainement besoin de ceux-ci mais l’absence de repères, le non-appui sur les repères habituels, et la discipline fondamentale se rejoignent ou sont la même chose. L’au-delà des repères est synonyme d’ouverture du cocon. La vaillance du guerrier, du héros, du bodhisattva, est de vivre dans l’ouvert ; elle est précisément de vivre sans repères. Tout ceci se trouve dans cette notion traditionnelle du Dharma appelée bodhicitta, l’éveil du cœur-esprit, une discipline au-delà de l’ego. Bodhicitta est donc cette aspiration d’éveil, sa mise en pratique et finalement la discipline sans ego. La notion de roi, de reine de sa vie, est celle de cette personne qui est pleinement dans sa vie, dans son ouverture, dans sa richesse profonde.

Extrait d’enseignements donnés durant l’Assemblée Guésar 1998 à Karma Ling.

 

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