Pour une vision d’éthique et de spiritualité globales et agnostiques

Lama Denys

Ce texte présente de façon synthétique les deux pôles présents dans toute tradition authentique. Au-delà des particularismes religieux, philosophiques ou culturels, il y a un terrain d’entente possible sur des bases universelles qui constituent l’essence de toute démarche visant à la pleine réalisation des individus et des groupes.

Une vision globale et agnostique

Éthique et spiritualité sont au cœur de ce que l’on entend habituellement par tradition ou religion. Tradition, nous l’entendons ici dans un sens plus vaste que religion, terme très connoté et difficilement isolable de son contexte et de son histoire monothéiste et occidental ainsi que de la notion de croyance. Aussi parlons-nous de traditions agnostiques ainsi que d’éthique et de spiritualité agnostiques dans une vision globale ou universelle au-delà des particularismes et des croyances spécifiques.

Clarifions d’emblée un malentendu possible : la vision d’éthique et de spiritualité globales ne consiste pas à créer une nouvelle religion ou tradition. Il ne s’agit pas d’une approche syncrétiste opérant un patchwork ou une anthologie de ce qu’il y aurait de plus séduisant dans différentes religions ou traditions déjà existantes.

La globalité ou l’universalité de l’éthique et de la spiritualité que nous avons en vue est fondée sur ce que toutes les traditions ou religions authentiques ont en commun : la réalité dont elles émergent et à laquelle elles conduisent qui n’est autre que notre nature fondamentale, la nature essentielle dont nous participons tous ainsi que toute vie. La vision d’éthique et de spiritualité globales repose ainsi sur ce que nous pouvons nommer une anthropologie fondamentale, une compréhension de l’homme dans la totalité de sa nature et de sa réalité. Cette vision n’est ni réductrice, ni limitatrice, de quelque façon que ce soit. Simplement, elle ne retient pas les croyances dont la nature est d’être à elles-mêmes leur propre justification autosuffisante et autoréférente. C’est en ce sens une vision agnostique, libre de présupposés, théistes ou athées, quels qu’ils soient.

Éthique et spiritualité universelles

L’éthique globale ou universelle a ses fondements dans l’aspiration au bonheur qui est commune à tout vivant. Nous souhaitons tous bien-être et bonheur, sans mal-être ni malheur.

Cette aspiration est d’une façon très générale celle de tout organisme vivant qui tend à perpétrer l’équilibre de sa structure, son harmonie interne et externe, c’est-à-dire son état de santé, et qui tend à éviter les dysharmonies et dysfonctionnements, les maladies destructrices dont l’expérience est douloureuse.

L’éthique globale est basée sur le principe de non-violence connue comme la Règle d’Or : “Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’il te fasse”, ou “N’inflige pas à autrui (directement ou indirectement) la violence que tu ne voudrais pas subir”. De cette Règle d’Or procèdent toutes les valeurs éthiques fondamentales, et celle-ci est à considérer comme une extension des droits et devoirs humains et de la responsabilité universelle.

La spiritualité globale et agnostique est une recherche de la nature de l’expérience que je suis, vis et pense ; c’est la quête de solution à l’injonction socratique “connais-toi toi-même !”, “sache ce que tu es !”. C’est la recherche de l’intelligence-expérience qui comprend notre nature fondamentale et primordiale. Sa réalisation est l’intelligence de ce que nous sommes et de ce qui est, la compréhension de l’état fondamental de toute chose et de tout être. Cette spiritualité est cognitive, elle pourrait aussi être dite épistémologique. Son aspect cognitif, anthropologique fondamental lui fait transcender naturellement, dans son expérience foncière, les différentes cultures et leurs expressions particulières ; tradition et science, Orient et Occident…

Une vision d’unité dans la diversité

L’éthique et la spiritualité globales sont le dénominateur commun profond des religions mais peuvent s’envisager hors de celles-ci et de leurs croyances, toute personne de bonne volonté pouvant ainsi y adhérer sans présupposé. Ce dénominateur commun, anthropologique fondamental, est le lieu et le domaine de rencontre et d’unité de toutes traditions ou religions complètes. Elles en participent et en procèdent, ce qui fonde leur authenticité. Il est naturellement susceptible de s’exprimer de différentes façons selon les réceptivités et les mentalités de différentes personnes, selon les différentes matrices sociolinguistiques et environnementales. Cette pluralité de formulations et de perspectives est non seulement bien fondée et justifiée mais constitue dans sa diversité une richesse et une force. De même que la biodiversité est une richesse de la nature, une telle “tradition-diversité” est une richesse du patrimoine traditionnel, religieux, éthique et spirituel de l’humanité.

La multiplicité d’expressions aide chaque personne selon ses besoins, tout comme des mets variés peuvent nourrir chacun selon ses goûts. C’est ce que nous entendons par “vision d’unité dans la diversité” : une unité fondamentale dans une diversité de présentations. Cette vision plurielle, non monopoliste, est dans le Dharma du Bouddha illustrée par le symbole de la roue : d’un moyeu vide – dont la nature est au-delà des noms et des formes relatives – procèdent des rayons qui soutiennent la jante du monde habituel ; et de la périphérie, les rayons sont les voies d’accès et de réalisation à cette nature centrale et immuable. Une telle vision d’unité dans la diversité est dite par certains théologiens “pluralisme absolu” et se nomme dans la tradition tibétaine “Rimay” : sans parti pris ou universaliste.

Globalisation et citoyenneté planétaire

Si la globalisation est bien aujourd’hui une réalité économique et géopolitique, la gestion de celle-ci nécessite au niveau mondial une architecture globale avec des principes d’équilibre sains et harmonieux. Ceux-ci demandent une forme de gouvernance globale qui, à son tour, nécessite une vision éthique et spirituelle consensuelle, commune, globale. Ethique et spiritualité globales sont ainsi les fondements d’une citoyenneté planétaire que l’on ne peut, pour le bien de tous les vivants, qu’espérer voir émerger dans l’avenir le plus proche possible.

Texte préparé à partir des enseignements présentés dans l’ouvrage « La voie du bonheur », Actes Sud, 2002.

 

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