L’entrée en refuge

Lama Denys Rinpoché

Entrer en refuge n’est pas s’en remettre à quelque chose ou quelqu’un d’autre mais retrouver sa nature première, se relier à son état fondamental. Le refuge est d’abord un souhait formel, une aspiration sincère qui débouche à terme sur une expérience d’éveil. Ainsi le refuge peut être perçu comme un résumé de toute la voie du milieu : réaliser la nature de bouddha à travers le Dharma, dans le cadre du sangha.

Traditionnellement, le geste spirituel qui consiste à entrer en refuge est d’abord et tout simplement l’expression de son intention à cheminer vers l’éveil. Lorsqu’on a pris conscience qu’il est possible, dans son corps, sa parole, son esprit habituels, d’éveiller la présence du corps, de la parole et de l’esprit d’un bouddha, on exprime son souhait de le réaliser.

Vous pouvez être amoureux de quelqu’un sans le lui dire mais si vous déclarez votre amour, si vous dites : “Je t’aime”, cela est plein de sens et donne à cette situation une dimension particulière, nouvelle, qui ouvre la possibilité d’établir une relation profonde. Le refuge n’est pas exactement une déclaration d’amour, mais c’est, en tout cas, déclarer sa sympathie et, en même temps, exprimer son aspiration à l’éveil.

Il est important de bien entendre le mot refuge qui cause souvent des difficultés. Entrer en refuge ne signifie pas démissionner ou abdiquer, s’en remettre à autrui ou à autre chose, ce qui serait une approche passive et peu responsable. Entrer en refuge signifie plutôt que l’on a l’intention d’œuvrer avec ce potentiel que nous sommes profondément en tant qu’humains, pour l’éveiller, pour nous éveiller à ce que nous sommes fondamentalement. Et, au plus profond de chacun de nous, est le potentiel de bouddha. Au fond, notre expérience est l’expérience de bouddha, l’expérience d’éveil.

Entrer en refuge a donc le sens profond d’entrer en soi ou de rentrer chez soi, de retrouver ce que nous sommes fondamentalement, ce que nous avons toujours été et ce dont nous nous sommes séparés dans l’illusion, dans l’ignorance. Entrer en refuge, dans cette perspective, signifie rentrer en sa nature profonde, en sa nature de bouddha, au-delà des illusions superficielles dans lesquelles nous vivons et expérimentons habituellement. C’est en ce sens qu’entrer en refuge peut résumer tout le cheminement, toute la réintégration de notre nature foncière.

Au départ, entrer en refuge est une déclaration d’intention, mais celle-ci est très importante dans la mesure où elle donne à cette intention une dimension, une réalité palpable. On peut être attiré par la voie et par l’éveil, avoir une aspiration ou une adhésion informelle. Entrer en refuge donne une certaine forme, et dans celle-ci, une force particulière à cette aspiration.

Ce “chez soi”, cet “en soi”, ce refuge, se réfère à ce que l’on nomme les Trois Joyaux : Bouddha, Dharma, et Sangha. Par Bouddha, l’on entend d’abord et surtout l’éveil, la bouddhéité, la nature de bouddha, qui est ce que nous sommes au plus profond. Cette nature de bouddha est omniprésente, elle est la nature de la réalité telle qu’elle est foncièrement, ce que l’on découvre petit à petit, aussi bien dans l’expérience que dans la compréhension qui sont les deux pôles complémentaires du cheminement, la compréhension ouvrant à l’expérience et l’expérience ouvrant à la compréhension.

Bouddha est aussi une personne, le Bouddha historique, Siddharta Gautama qui a réalisé cette nature de bouddha. Il est à l’origine de cette tradition qui a perduré jusqu’à aujourd’hui. Il est pour tous ceux qui la suivent l’origine de cette transmission et aussi l’exemple de la possibilité de l’éveil, de sa réalisation. Il est un exemple à la suite duquel nous pouvons cheminer, pratiquer, entendu que il y eut depuis Siddharta Gautama de nombreux bouddhas, une multitude incommensurable et indénombrable de personnes qui ont réalisé cet état de santé fondamentale, qui ont réalisé l’éveil.

Le terme “bouddha” signifie celui qui sait, celui qui est éveillé, celui qui a l’intelligence de la nature foncière. Mais le Bouddha n’a pas la prétention du monopole de cette intelligence ni d’ailleurs de la primauté historique de celle-ci, et la tradition elle-même envisage et enseigne qu’il y a, qu’il y a eu d’innombrables bouddhas avant Siddharta Gautama, comme il y en aura après lui. En fait, toute personne qui arrive à la réalisation de sa nature authentique, essentielle, quelle que soit la façon dont on l’appelle, est bouddha. Donc, il est des bouddhas non-bouddhistes. Il est important de le souligner car cela permet une vision ouverte et favorise la compréhension du pluralisme traditionnel.

Le Dharma est le second des Trois Joyaux. Dharma est un mot sanscrit comme bouddha, difficile à traduire, qui peut être rendu par l’idée de transformation. Le Dharma est l’enseignement du Bouddha issu de sa parole, ce qu’il a transmis. Il propose une voie à ceux qui sont en quête du sens de la vie, cette quête fondamentale en laquelle nous sommes tous à un moment ou à un autre de notre vie. Le Dharma offre ou propose une méthode de transformation, un cheminement pour transformer notre expérience habituelle en éveil. Cette expérience conditionnée avec son fonctionnement, ses attitudes passionnelles, conflictuelles, égocentrées, égoïstes, cette dysharmonie avec toutes les peines, les difficultés, les souffrances qui y sont associées et que l’on nomme dukkha, peut être transformée en l’expérience d’éveil, d’harmonie et de libération qui est celle du Bouddha. Le Dharma est donc cet enseignement ou cette méthode qui propose une voie de transformation, qui permet de réaliser la nature de bouddha.

Enfin le Sangha est le troisième des Trois Joyaux. C’est de nouveau un mot sanscrit, qui a le sens d’aspirant à la vertu. Le sangha est l’ensemble de ces personnes qui aspirent à la vertu, ce qui est vertueux étant entendu comme ce qui est fondamentalement sain ; donc ce sont les personnes qui aspirent à l’harmonie de l’état de bouddha et qui, dans cette perspective, utilisent ou suivent le Dharma comme moyen de transformation et de réalisation.

Donc le sangha est l’ensemble de ceux qui suivent la voie du Bouddha. Et, selon leur engagement et leur statut, on parle d’un sangha monastique ou d’un sangha séculier, et aussi d’un sangha ordinaire, d’un sangha supérieur qui a déjà une certaine réalisation. Mais toute personne qui est entrée en refuge, et donc qui est entrée dans la voie est, au sens large, membre du sangha. Cependant on parle du sangha en tant que joyau plus particulièrement pour les personnes qui ont déjà une certaine réalisation ou un certain éveil à la présence de la bouddhéité.

Entrer en refuge, c’est se tourner vers les Trois Joyaux, c’est établir une connexion avec ceux-ci. Le Bouddha, la nature de bouddha est ce vers quoi l’on tend, ce à quoi l’on aspire. Le Dharma est le moyen, la méthode de transformation et de cheminement ; c’est en même temps la carte pour le voyage et le véhicule pour parcourir le chemin. Et enfin le Sangha est constitué par tous ceux qui ont cette même motivation et qui sont des compagnons de route ou des guides qui peuvent, en tant qu’anciens ou aînés, nous aider sur cette voie.

Enseignement donné à l’Institut Karma Ling dans le cadre du séminaire d’été de 1997.

 

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