Les dix actes

Lama Denys Rinpoché

On parle traditionnellement dans le Dharma de dix actes négatifs et de dix actes positifs qui sont exactement opposés les uns aux autres. Les trois premiers concernent le corps, les quatre suivants la parole et les trois derniers l’esprit. La discipline extérieure consiste à abandonner les premiers et à cultiver les seconds.

D’un point de vue pratique, on envisage dans le karma dix actes négatifs et dix actes positifs. Les négatifs le sont dans la mesure où ils sont pathogènes, où ils renforcent les illusions, la dualité, les passions et ce qui est douloureux pour autrui et pour soi-même. Ces actes empoisonnent notre expérience en amenant dans celle-ci, de différentes façons, l’agressivité, la possessivité et l’opacité, les trois poisons de l’esprit. Les actes positifs vont dans le sens de l’ouverture, de la rencontre de notre nature profonde, de la santé fondamentale, de ce qui est heureux et positif tant pour autrui que pour soi-même.

Les dix actes négatifs

Le premier est de tuer ou, plus littéralement, d’enlever la vie. On peut tuer par colère, par désir ou par stupidité. On peut tuer par colère un adversaire, un ennemi, quelqu’un qui nous irrite tellement qu’on a le souhait de l’éliminer. On peut tuer par désir pour s’emparer, s’approprier des richesses, des pouvoirs, du renom d’autrui, ou alors simplement par stupidité, sans comprendre ce qu’on fait et en croyant que tuer, en l’occurrence, peut être quelque chose d’utile ou de positif.

Ensuite, voler. Voler est d’abord littéralement prendre ce qui n’est pas donné. On peut le faire de différentes façons : par la force, en cachette, par tromperie, escroquerie, fraude, abus de confiance, falsification des poids et mesures. Tout cela est s’approprier ce qui n’a pas été donné.

Puis viennent les mauvais désirs sexuels, en tibétain “deulo” qu’on peut traduire littéralement par les mauvais désirs. Ce qui ne veut pas dire qu’il s’agisse de ne pas avoir de désir sexuel. Si on est laïc, il est normal et même sain d’avoir des désirs sexuels mais ceux-ci ne doivent pas être mauvais au sens de destructeurs. Il y a un certain nombre de prescriptions universelles à ce propos comme, par exemple, la prohibition du viol et de l’inceste. Il y en a également par rapport à des engagements sociaux quels qu’ils soient, selon le type de société et le type d’engagement qu’on peut avoir ; et il y en a aussi par rapport à des engagements du Dharma. Il est inopportun d’avoir des relations sexuelles dans un édifice sacré ou avec des personnes qui ont pris des vœux de chasteté ou encore à proximité de personnes qui ont pris de tels vœux.

Ensuite, au niveau de la parole, il est négatif de mentir, de tromper, d’abuser, de se justifier en trompant l’autre, en trompant par l’énoncé de choses fausses.

La parole peut créer la discorde, on peut : par ses paroles, être cause de zizanie, de bisbille ; on peut, de façon directe, amener un conflit, un désaccord entre deux personnes… ou alors, de façon plus subtile et perfide, on peut le faire par quelques insinuations qui laisseraient à penser que…

Ensuite parler de façon blessante. Il s’agit d’une communication qui, quelle que soit sa forme, heurte. C’est une mauvaise manière car elle bloque la possibilité même de communication ; celui qui la reçoit n’entendant pas le contenu du message mais recevant sa forme blessante, finalement ne répond pas à ce qui est dit mais à l’agression que suscite cette expression choquante, violente.

Quatrièmement : les paroles futiles. Ce sont les paroles oiseuses, les bavardages qu’on déploie simplement pour boucher le silence. Nous parlons de façon futile quand nous exprimons tout ce qui nous passe par la tête, toutes nos émotions, tous nos sentiments de l’instant. L’expression inconsidérée et décousue de tout cela prend la forme du bavardage qui n’a pas de fonction de communication authentique, qui n’amène pas une rencontre, une communication véritable mais qui, par contre, amène toutes sortes d’émotions. Souvent le bavardage n’est pas tout à fait innocent, il véhicule toutes sortes d’émotions, de passions et il crée dans l’environnement agitation et émotions.

Au niveau de l’esprit, il y a la convoitise ou la possessivité, cette attitude qui veut s’approprier, que ce soit des choses qu’on a déjà – ce qui est à ce moment-là l’attachement à ce qu’on possède – ou alors un désir de possession par rapport à des choses qu’on n’a pas, qui appartiennent à d’autres ou même qui n’appartiennent à personne…, simplement en tant que possessivité.

Est négative aussi, au niveau de l’esprit, la malveillance qui consiste tout simplement à vouloir du mal, à souhaiter que quelque chose de mauvais, d’une façon ou d’une autre, arrive à qui que ce soit.

Enfin il y a la compréhension erronée, l’entretien de conceptions erronées. On peut, de différentes manières, entretenir des vues, des idées erronées et cela amène toutes sortes de conséquences négatives.

Les dix actes positifs

Au niveau du corps, le premier acte positif est de protéger la vie sous toutes ses formes, de même qu’on évitera de supprimer la vie sous toutes ses formes, humaines ou non humaines, quelles qu’elles soient.

Le deuxième consiste à ne pas prendre ce qui n’est pas donné et, au-delà, à savoir donner, à savoir offrir, à être généreux…, une capacité à ne pas s’attacher et à savoir vivre dans la générosité. Le troisième est d’avoir de bons désirs, d’avoir une sexualité juste, harmonieuse, équilibrée.

Au niveau de la parole, il s’agit premièrement de parler de façon authentique, franche, de savoir s’exprimer de façon vraie, dire la vérité.

Ensuite, non seulement ne pas être cause de discorde et de dysharmonie mais savoir, par sa parole, être facteur de concorde, être un conciliateur, un médiateur, un réconciliateur, une source d’harmonie, de concorde.

Puis, au-delà d’une communication blessante, savoir communiquer d’une manière qui soit douce, claire, agréable, libre d’agressivité et reçue de façon positive.

Et finalement, au-delà des paroles futiles et du bavardage, il est important de faire bon usage de sa parole en parlant à bon escient lorsque cela est utile et nécessaire.

Au niveau de l’esprit est positive l’absence de convoitise et de possessivité, c’est-à-dire savoir être content et heureux de ce qu’on a, de ce qu’on est. C’est une forme de contentement, de satisfaction… savoir apprécier la richesse qu’on est ou qu’on a, apprécier les possibilités de la situation présente telle qu’elle est.

Ensuite, au-delà de la malveillance, il s’agit d’avoir une attitude d’esprit bienveillante qui souhaite pour tout un chacun ce qui est bon, ce qui est heureux, une motivation qui souhaite – dans une attitude d’amour et de compassion – que chacun soit libre de souffrances, trouve le bonheur, la joie, le bien-être.

Au-delà des vues erronées, des compréhensions erronées, il est positif d’apprendre à comprendre la réalité, d’essayer de comprendre ce qui est juste, ce qui est vrai et d’aller toujours dans la recherche de la réalité, de la vérité, à la fois essentielle et aussi, au quotidien, contingente.

Extrait de « L’Éveil du cœur et de l’esprit », Karma Ling 1995 (le séminaire s’est déroulé à l’Institut Karma Ling en août 1993)

 

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