La discipline intérieure

Tulkou Pema Wangyal

La discipline est la deuxième perfection à développer par un pratiquant du Mahayana. Au-delà d’une conduite éthique extérieure, cette paramita évoque une grande force intérieure, une motivation juste au service d’autrui La discipline dans la voie des bodhisattvas s’appuie sur une volonté puissante afin d’orienter ses actes, sa parole et son esprit vers le bien de tous les êtres.

Quand nous entendons le mot « discipline », ce terme éveille souvent une sorte de connotation négative. Si nous avons cette réaction, c’est qu’il y a malentendu. Discipline mentale signifie force de volonté : être fortement déterminé à accomplir ce qui nous est nécessaire au lieu de nous assoupir dans nos habitudes. C’est de cela que nous parlons ici.

Ce n’est pas une chose imposée par quelqu’un, par la religion ou un maître, les parents ou les amis. Ce n’est pas du tout ce dont il est question ! Ici il s’agit de force de volonté. Et si l’on peut disposer de cette discipline dans la vie actuelle, elle sera très bénéfique dans la vie présente et dans les vies à venir.

Au début, nous avons besoin pour la renforcer de nous faire une promesse : “Je ferai ceci et cela !”. Avec l’aide d’autres êtres nous prenons des vœux ou adoptons des préceptes. Ensuite nous nous en servons comme supports et nous essayons de nous entraîner. L’essence de la discipline, c’est d’affermir notre esprit afin que rien ne puisse nous troubler ou nous faire échouer. Si nous ne pouvons pas maintenir une certaine autodiscipline, nous nous complairons dans n’importe quelle émotion, dans n’importe quelle habitude nous venant du passé ou bien de situations de la vie présente. Cette lacune peut nous entraîner dans des situations malheureuses dans cette existence et dans la prochaine également, dans les royaumes inférieurs par exemple.

D’autre part, prétendre faire quelque chose de bénéfique pour autrui alors que nous-mêmes sommes incapables de maîtriser nos propres obstacles, n’est qu’une vaste plaisanterie. C’est pourquoi préserver et maintenir le support qu’est la discipline mentale sans se laisser prendre au piège d’une attitude et d’une motivation égoïstes, telle est la pratique des bodhisattvas.

C’est comme lorsqu’on a décidé de quitter un endroit pour se rendre dans un autre : le voyage que l’on va entreprendre ne couvre peut-être que quelques kilomètres : pourtant, si cela est réellement utile à d’autres et à soi-même, il est indispensable d’adopter une attitude déterminée et de préserver cette discipline mentale. Sinon, à chaque occasion qui se présentera sur la route, on s’arrêtera et, se laissant distraire du but par ceci ou cela, on n’arrivera jamais à destination…

C’est pour cette raison qu’il est très important de susciter en soi une certaine détermination si l’on veut réussir à aller jusqu’au bout de ce que l’on a décidé d’accomplir, surtout quand il s’agit d’une action généreuse. En effet il arrive parfois que, confronté au spectacle d’une certaine situation, on ait spontanément un geste charitable. Or si, en raison d’un manque de détermination, on le regrette quelques heures plus tard, cela détériore toute l’action.

Il est également dit par le Bouddha : “Sans jambes, comment pourriez-vous vous déplacer et, sans discipline, comment pourriez-vous atteindre le niveau de la liberté ?”. La discipline, et plus particulièrement la discipline mentale, joue un rôle capital dans la pratique.

Les grands maîtres affirment que notre corps est composé de différents éléments et que chacun de ces cinq éléments possède un pouvoir, un effet qui lui est propre. Quand l’eau, le feu, l’espace, la terre et le vent sont en équilibre dans la composition d’un objet, cet objet dure très longtemps. Quand l’un de ces éléments est en déséquilibre, l’objet pourrit ou s’effrite. S’il pourrit, c’est qu’il est trop riche en élément eau ; s’il s’effrite, c’est qu’il n’y a pas assez d’élément eau ou qu’il y a trop de feu et qu’un surplus d’eau serait nécessaire. Dans ce cas l’eau est l’élément de cohésion de l’ensemble. Dans le Bodhisattvayana, le véhicule des bodhisattvas, c’est la discipline mentale qui, du point de départ jusqu’au but – l’Eveil et la suite – assure la cohésion de l’ensemble. Aussi est-il très important d’avoir cette discipline mentale, cette volonté. Elle est la racine même des six paramitas. (…)

La discipline mentale, c’est d’abord éviter les actions négatives, les émotions négatives, etc. Cette première étape peut être subdivisée en deux points : la discipline générale, la discipline particulière.

La discipline générale

Il s’agit, que l’on ait prononcé un vœu ou pas, de ne pas accomplir les dix actions négatives du corps, de la parole et de l’esprit. De ces dix actions négatives, trois concernent le corps – ce sont le meurtre, le vol et la méconduite sexuelle. Quatre concernent la parole – ce sont le mensonge, la calomnie, les paroles violentes et le bavardage. Trois sont du domaine de l’esprit – ce sont la convoitise, la malveillance et les vues erronées. Bref, il s’agit d’éviter toutes les actions négatives, sources de résultats négatifs. S’abstenir de ces actions à l’aide d’une grande force de volonté, voilà ce que l’on appelle la discipline générale.

La discipline particulière

Ici, nous parlons de la voie des Bodhisattvas ; dans cette voie il faut s’efforcer d’éviter toute action susceptible de nuire à autrui d’une façon ou d’une autre, de même que la cause de cette action. Cette discipline est dite “particulière” parce qu’elle s’inscrit dans le sujet spécifique que nous étudions.

En l’absence de toute pensée d’attachement égoïste, s’ouvrir réellement, désirer sincèrement tout faire pour le bien des autres êtres, en particulier vouloir les amener à l’état d’Eveil ultime, telle est la discipline du Bodhisattvayâna.

Pour avoir cette force de volonté, il est utile de regarder en soi aussi souvent que possible et de vérifier. Nous avons par exemple décidé de faire quelque chose : bien sûr nous ne disposerons pas tout de suite de cette discipline mentale libre, naturelle ; seuls les être exceptionnels en sont dotés. En général, nous sombrons dans les obscurcissements de nos habitudes passées. Nous sommes comme des enfants gâtés. Nous ne savons pas ce que nous voulons faire en réalité et quand il nous vient une pensée, nous essayons de l’appliquer pour ensuite l’abandonner pour autre chose sans avoir achevé ce que nous avons entrepris. Nous tournons ainsi en rond à cause de notre manque de discipline mentale, de notre absence de volonté. Une fois que nous l’aurons développée en nous, jusqu’à ce que nous ayons atteint le but que nous nous serons fixé, tout naturellement aucune autre action ne pourra nous en distraire ou nous perturber.

Cette force de volonté est capitale et pas seulement pour l’Eveil. Elle est même nécessaire à la vie quotidienne en société. Si nous regardons autour de nous qui a une vie matérielle heureuse et qui a des difficultés, ceux qui ont de la volonté n’ont pas beaucoup de problèmes. Ils ont de quoi s’occuper, ils peuvent tout faire, alors que ceux qui sont faibles de caractère traînent à droite et à gauche et finissent par sombrer complètement. Ainsi la discipline mentale est primordiale dans la vie matérielle, sans parler de l’Eveil – l’Eveil qui est essentiel et bénéfique pour nous et pour tous les êtres.

Extrait de « Bodhicitta, l’esprit d’éveil », Padmakara.

 

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