Vivre en harmonie

Denys Rinpoché

La vie est fondamentalement harmonie. Comprendre l’interdépendance qui relie tous les phénomènes et adopter une attitude de non-agression est le plus sûr moyen de maintenir cette harmonie en nous et de préserver les équilibres de notre environnement aux niveaux local et mondial.

Il est important de comprendre la vie d’une façon très large. La vie n’est pas le contraire de la mort. La vie est un mouvement qui, dans son dynamisme, est fait de naissances et de morts, d’apparitions et de disparitions. La vie a un fonctionnement cyclique. On pourrait développer cela à bien des niveaux.

Mais depuis le niveau microcosmique et moléculaire jusqu’au niveau macrocosmique, interstellaire, il y a des rythmes, des mouvements d’apparition, de disparition, de naissance, de mort. Ce rythme est la pulsation ou, on pourrait même dire, le pouls de la vie qui s’organise dans un processus d’auto-adaptation, d’harmonisation.

La vie au sens profond est en rapport avec l’harmonie, cet équilibre qui s’organise à tous les niveaux de l’existence depuis les équili-bres moléculaires jusqu’aux équilibres planétaires, les équilibres de la vie, de la biochimie, de la physiologie. Le miracle de la vie est une harmonie, un ensemble de résonances harmonieuses qui se déploie à tous les niveaux du réel.

Il y a d’un point de vue bouddhiste une convergence et une coïncidence profonde entre l’harmonie et la vie. Bien sûr, il y a des dysfonctionnements, il y a des dysharmonies mais le point important est que la vie, l’expérience fondamentale, est profondément, essentiellement harmonieuse. Notre corps, dans son état normal, c’est-à-dire de santé, est une merveille d’harmonie, d’équilibre. Toutes les fonctions se régulent. Il y a des maladies, des dysfonctionnements, des dérèglements mais ce sont des accidents de la santé. A d’autres niveaux, dans le corps qu’est la planète, dans le corps qu’est l’univers, il y a également une harmonie, un équilibre fondamental, avec aussi des cataclysmes, mais ce sont des accidents. L’état normal est un état d’harmonie, d’équilibre, de santé.

Il y a aussi, à un niveau spirituel, en notre expérience, dans notre vécu, une harmonie foncière. Il y a dans notre expérience des problèmes, des dysfonctionnements, il y a des passions, il y a des conflits, il y a des souffrances. Mais les souffrances, les passions, les conflits sont des accidents par rapport à un état qui est fondamentalement sain, fondamentalement bon ou, tout simplement, harmonieux. Ici “bon” n’a pas le sens d’un jugement moral. “Bon” signifie “sain” c’est-à-dire équilibré, harmonieux. C’est ce que, dans le Dharma, on appelle la santé fondamentale ou la bonté fondamentale qui est notre état ordinaire au sens fort, naturel, notre nature profonde.

La pratique du Dharma, d’une façon générale, est l’apprentissage ou le cheminement qui nous fait entrer dans cette harmonie, qui nous fait nous harmoniser. Pour vivre en harmonie, pour s’harmoniser avec cet état foncièrement équilibré et sain, il “suffit” que se dissolvent les parasites, les accidents, les épiphénomènes qui viennent troubler, perturber cet état d’harmonie naturelle et fondamentale.

Au niveau de ce que nous sommes en tant que personne humaine, ces parasites, ces dérèglements, ces perturbations sont ce que nous appelons l’individu égotique. Nous avons au fond de nous un état sain : notre personne fondamentale. Nous sommes fondamentalement une personne saine. Nous sommes fondamentalement porteurs de la nature de Bouddha. Mais cette personne saine, cette personne essentiellement éveillée qui habite au fond de notre expérience est brouillée, voilée ou parasitée, déformée par l’individu égotique qui habite dans notre expérience. C’est le petit moi, l’ego qui est le perturbateur.

De différentes façons, et particulièrement dans l’approche pratique de la méditation, on va apprendre, par contre, à entrer dans la présence de notre personne authentique, à ne pas suivre les passions, les illusions qui sont celles de l’individu égotique. Il s’agit de vivre l’harmonie qui est naturelle, qui est là, complète. C’est ce que l’on décrit dans la tradition comme un processus de dévoilement. L’éveil n’est pas quelque chose qui est à fabriquer. L’éveil est déjà là mais il est voilé, masqué, parasité. En apprenant à réduire les parasites, on se rapproche de l’éveil et lorsque les parasites, les voiles finalement disparaissent, c’est l’éveil ! C’est la vie essentielle et naturelle dans son harmonie fondamentale.

Cette harmonie se découvre dans une attitude intérieure de non-agressivité. Il y a une corrélation profonde entre l’harmonie et la non-agressivité. L’harmonie ne signifie pas nécessairement l’absence de violence. Il peut y avoir des fonctionnements harmonieux mais qui soient forts, qui puissent être même perçus comme violents. Des phénomènes naturels peuvent être à la fois profondément harmonieux et violents, tels les soleils qui sont des explosions atomiques d’une violence extrême au-delà de tout ce que l’on peut concevoir en puissance. Mais d’une façon générale harmonie signifie non-violence au sens de non-agressivité. C’est un point qui est pertinent car il est susceptible de s’appliquer tant aux domaines spirituels qu’à la vie en général.

Le Dharma enseigne l’interdépendance de toute chose, de tous les phénomènes. Ce que nous sommes en tant que personne, en tant qu’être vivant, est l’interdépendance de multiples éléments. Notre économie est l’interdépendance de nombreux facteurs, l’interaction du Nord, du Sud, de la matière première, de la transformation, de l’énergie. Notre économie moderne est d’une complexité faramineuse avec une myriade d’éléments interdépendants.

Le fonctionnement de l’homme dans son environnement est aussi un fonctionnement d’interdépendance. Différentes animaux habitent dans différentes niches écologiques, comme on dit, et nous-mêmes, êtres humains, avons notre “niche”. Elle est grande, certes, mais nous en sommes dépendants ou nous existons en interdépendance avec celle-ci. Dans ce fonctionnement d’interdépendance, si l’on fait preuve d’agressivité, on détruit le fonctionnement harmonieux de l’interdépendance. Dans un rapport commercial, qui est une situation d’interdépendance, si l’un des deux partenaires tout d’un coup devient agressivement demandeur, il rompt l’équilibre qui permettait l’échange harmonieux entre les deux partenaires. C’est vrai avec votre épicier ; c’est vrai au niveau international ; c’est vrai au niveau de l’économie mondiale. On peut ainsi déplorer, à de nombreux niveaux, des fonctionnements très agressifs qui sont sources de dysharmonie, de rupture d’équilibre et qui, à terme, sont sources de maladies et de pathologies qui risquent de s’aggraver de plus en plus.

C’est vrai au niveau de l’environnement. Si nous agissons de façon agressive par rapport à notre environnement naturel, écologique, nous rompons aussi des équilibres. Nous déséquilibrons des mécanismes de régulation et nous risquons, là aussi, d’amener des fonctionnements pathologiques et de produire des dommages importants aux éco-systèmes. Mais ce que l’on ne comprend pas toujours dans un premier temps, c’est que dans l’interdépendance, la destruction de l’environnement c’est aussi le suicide de l’habitant de la niche écologique.

Une bonne compréhension de l’interdépendance amène naturellement un respect des équilibres et de l’harmonie générale dans une approche de non-agressivité ; ce sont là des notions tout à fait fondamentales.

Enseignement donné au Dharma Ling de Lyon en décembre 1994

 

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