Pour une écologie chrétienne

Hélène et Jean Bastaire

La charité ne saurait se limiter à l’espèce humaine et encore moins s’exercer contre la nature. Un chrétien ne devrait pas rester insensible face à la souffrance infligée aux différents règnes de la création. Il devrait au contraire développer une compassion écologique et s’efforcer d’effectuer en lui-même le changement spirituel indispensable pour enrayer la dégradation de notre planète.

L’amour est indivisible

Par un renversement extraordinaire, au lieu d’aimer la terre, de la bénir et d’en remercier le Seigneur comme d’un don précieux, la société moderne et avec elle les chrétiens s’en sont servi outrageusement, en ont abusé comme d’un objet sans âme qu’on rejette ensuite tel un citron pressé. Les chrétiens ont fait plus que permettre ce scandale. Ils sont allés parfois jusqu’à le maquiller de citations d’une Bible et d’un Évangile détournés de leur sens.

Sous prétexte de secourir leurs frères humains, ils ont piétiné leur petite sœur nature, inconsciemment heureux sans doute de prendre leur revanche sur l’énigmatique marâtre des cultes païens dont le Christ les avait délivrés. Ils ont aimé les hommes contre le reste de la création. Ils ont limité leur pitié au seul profit de leurs semblables. En cas d’urgence, des préférences certes s’imposent. Mais la solidarité de fond demeure irrécusable. Devant une détresse commune, l’amour est indivisible.

Ce qui frappe dans l’attitude de nos contemporains, c’est leur absence de charité à l’égard de l’ensemble de la création. Devant la misère et le massacre du monde, ils passent en détournant les yeux ou en jetant au mieux une obole à quelque ONG écologique. Selon eux, le malheur du monde ne fait pas problème, sinon dans les conséquences qu’il risque d’avoir pour l’humanité. “ Charité bien ordonnée commence par soi-même ” n’est pas une maxime chrétienne. Elle devient un blasphème lorsque la charité non seulement commence mais s’achève sans déborder celui qui s’en prévaut.

La souffrance de toutes les créatures.

Pour un chrétien, toute souffrance doit inspirer compassion, quelles qu’en soient les victimes, hommes, animaux, plantes et pierres. Toute mutilation, toute incurie, toute injustice dans l’univers doit susciter la révolte et le désir d’y porter remède. Si à l’avenir son retour s’avère inévitable, il doit y avoir un souci constant d’en limiter les dégâts afin d’en amener progressivement l’extinction.

Il ne s’agit pas là d’une sentimentalité déplacée qui, encore défendable pour la souffrance animale, devient problématique pour les plantes et les minéraux. Présente en toute créature, la souffrance dont il est question est d’ordre ontologique. Elle est le fruit d’une atteinte à l’être, d’une violation de sa substance, d’un éclatement de son vouloir-vivre. Le diable (“diabolos”) n’est-il pas le diviseur par excellence ? Inspirateur du mal, il brise, fractionne, oppose, à l’inverse de l’amour qui unifie.

La souffrance des créatures non humaines est d’autant plus scandaleuse qu’elle frappe des êtres innocents. Rien n’est plus innocent qu’une fleur, rien n’a moins l’intention de nuire, si ce n’est que la nécessité de vivre. (…)

Une écologie qui convertit les cœurs.

On saisit alors toute la portée de la compassion écologique. Elle dépasse infiniment le souci d’un simple sauvetage de la création. Il s’agit en propre du salut de l’univers, de la guérison de son statut ontologique perturbé, dévié par l’homme et que l’homme a pour fonction de redresser et de libérer de façon à ce que, conformément au dessein initial du Créateur, toutes les créatures chantent la gloire du Père.

Par son action, l’homme doit sans doute remonter la pente de ses déprédations en cessant de se livrer au saccage de la planète. Mais il ne s’en tirera pas seulement par des mesures techniques et politiques, fussent- elles de très grande envergure. Il ne lui suffira pas de modifier en le pondérant mieux le mode de production et de consommation des sociétés actuelles, tout entier fondé sur la croissance exponentielle d’un désir frénétique et d’un assouvissement chaque fois déçu par sa réalisation même.

La révolution devra s’effectuer dans l’homme même, au plus profond de son for intime. Les choses ne changeront que si les personnes changent. Il est mensonger de croire qu’on pourra assainir la situation en se bornant à réviser les moyens et les méthodes. Cette révision indispensable ne s’opérera qu’accompagnée et nourrie par une mutation dans le comportement spirituel.

Extrait de Pour une écologie chrétienne, de Hélêne et Jean Bastaire. Ed du Cerf, 2004

 

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