La motivation du bodhisattva

La motivation du bodhisattva

Très vénérable Kalou Rinpotché

Le cheminement spirituel devient celui du Mahâyâna quand en est développée la motivation, c’est-à-dire bodhicitta.

On s’engage formellement dans cette attitude d’esprit en prenant le vœu de Bodhisatva. Bodhicitta, ou esprit d’éveil, a un aspect ultime : l’expérience de shunyatâ, la vacuité de l’esprit et de tous les phénomènes, et un aspect relatif : le développement de la compassion et de l’amour bienveillant.

Dans notre situation actuelle, la confusion est perpétuée par l’impression que tout ce que nous expérimentons est réel : nous considérons notre esprit comme ayant une réalité. Nous éprouvons cet esprit comme s’il était une chose tangible et, de même, nous éprouvons tout ce avec quoi il entre en contact comme existant. Nous prenons la réalité relative pour ultime et demeurons prisonniers du processus cyclique du samsara (les existences successives conditionnées). Cela retient l’esprit dans une suite de passages d’un état de confusion à un autre.

Bodhicitta ultime

L’obtention de l’éveil prend appui sur l’expérience et la réalisation de la vacuité essentielle et du caractère intangible de l’esprit, ainsi que sur la compréhension qui en résulte :toutes les modalités de notre vie dans le monde phénoménal ont une réalité sur le plan relatif mais pas au niveau ultime. Le monde phénoménal est l’expression de l’esprit : l’expérience des choses extérieures s’élève de l’esprit et participe de sa vacuité essentielle, elle n’a pas de réalité autonome. Si nous le réalisons, nous ne pouvons plus alors faire autrement que nous éveiller, tout comme auparavant nous ne pouvions qu’être non éveillés.

Pour parvenir à cette expérience, il faut comprendre que, bien que la nature de l’esprit soit essentiellement intangible, une conception erronée selon laquelle il y aurait une chose appelée esprit engendre la confusion et la souffrance des êtres vivant dans le cycle des existences. Nous entrevoyons que la vie de chaque être ressemble fort à un rêve. Lorsque, endormis, nous rêvons, nous habitons un monde qui nous semble cohérent ; mais au réveil, nous comprenons que ce n’était qu’un rêve. Les rêves sont des fabrications éphémères de l’esprit : celui-ci les projette et les expérimente comme si elles étaient autre chose que lui-même. Au niveau ultime, tous les états d’existence que nous, ou quelque autre être de l’univers, vivons, viennent de l’esprit et sont expérimentés par l’esprit comme ses propres projections. Le développement de la réalisation de la vacuité de l’esprit nous amène à conclure que c’est le manque d’expérience directe qui perpétue nos souffrances et nous maintient dans la confusion.

Bodhicitta relative

Chaque être vivant, comme nous-mêmes, a l’impression qu’il existe quelque chose là où il n’y a rien, qu’il y a un moi là où il n’y en a pas, qu’il existe une vérité là où il n’y a aucune vérité ultime. A cause de telles conceptions erronées, tous les êtres vivent dans la confusion. C’est la cause fondamentale des souffrances que tous les êtres éprouvent. Si nous commençons à voir les choses de ce point de vue, nous accroissons notre amour et notre compassion envers les autres.

Si l’esprit est, comme on le décrit, intangible, alors il n’est jamais né et ne mourra jamais. Il y a toujours eu l’espace ; il y a toujours eu l’esprit. Il y a aura toujours l’esprit comme il y aura toujours l’espace.

L’espace et l’esprit n’ont pas le comportement de choses qui peuvent être créées à un moment donné et disparaître ultérieurement. La nature de l’esprit implique son éternité.

Mais quel est ce processus d’existences successives, de naissances et de morts, qui se répètent maintes et maintes fois ? C’est un processus d’apparences illusoires qui se présente l’esprit, de telle sorte qu’il semble à celui-ci qu’il y ait naissances et morts. Au niveau ultime, cependant, la nature de l’esprit n’est pas soumise au processus de naissance et de mort. Le corps physique, qui est actuellement le nôtre et à travers lequel l’esprit éprouve le monde, est le résultat de tendances karmiques venues à maturité. Il est appelé « corps de complète maturité karmique », mais il n’en est pas moins irréel, en raison de son impermanence. Le corps physique meurt mais l’esprit ne meurt pas. Il y a une continuité de l’esprit qui va d’un état d’existence à un autre. La naissance dans un corps physique est la maturation d’un karma, qui détermine un organisme physique pour un temps limité. Notre propre esprit, qui habite actuellement cet état humain particulier, a expérimenté antérieurement d’innombrables sortes d’existences corporelles. On ne saurait les compter, même par millions ou centaines de millions, car ce fut un enchaînement d’indénombrables passages d’un état à un autre état. Nous pouvons comprendre ainsi comment chacun des êtres de l’univers a été à un moment donné, en relation directe avec nous. Il y a un nombre infini d’êtres et chaque esprit est passé par un cycle infini de renaissances, les connexions karmiques alors établies ont amené chacun de ces êtres à entrer en contact avec tous les autres. Le Bouddha illustre cela en disant que chacun des êtres de l’univers a été notre parent non seulement une fois, mais de très nombreuses fois. Si nous devions compter de fois qu’un seul être a été notre père ou notre mère, leur nombre serait plus celui des particules de poussière qui constituent la terre entière.

Dans tous ces états d’existence où nous avons été en contact intime avec d’autres êtres, nous avons reçu d’eux les mêmes bienfaits que ceux que nous avons reçus de nos parents en cette vie.

Or, souvent, nombre de ces êtres qui furent nos parents sont dans des états d’existence inférieurs et très douloureux, du fait de leur karma négatif. D’autres, qui furent aussi nos parents, sont dans des états d’existence supérieurs, mais ils préparent leurs souffrances futures en renforçant leurs mauvaises tendances par des actions négatives. Confrontés à un tel spectacle, nous répondons naturellement par l’amour et la compassion envers ces êtres.

L’aspiration universelle au bonheur

(Cette conclusion est tirée d’un enseignement du Vénérable Bokar Rinpotché *)

Tous les êtres, tout comme nous-mêmes, aspirent au bonheur et redoutent la souffrance. Lorsque nous avons profondément compris cela, nous voyons du même coup que ce qui est pour nous source de joie et de bonheur l’est aussi pour autrui. Nous pouvons dès lors décider de donner à l’autre ce bonheur par notre action, par notre parole, ou par notre esprit. Quand bien même ne pourrions-nous pas l’aider effectivement dans l’instant, il nous resterait toujours la possibilité de donner à notre esprit l’orientation juste, en cultivant l’aspiration à nous trouver dans l’avenir dans une situation qui nous permette de le faire. Regardons, de la même manière, l’effet que provoque sur nous une parole blessante qui nous est adressée ou bien une action par laquelle on cherche à nous nuire. La sensibilité des êtres est la même chez tous; là où nous souffrons, les autres souffrent aussi. Nous pouvons donc comprendre la nécessité d’écarter de notre activité, de nos propos et de notre esprit, tout ce qui peut engendrer la souffrance chez autrui. S’il nous est impossible d’abandonner immédiatement certains aspects de notre comportement, au moins pouvons-nous aspirer à leur disparition dans l’avenir.

 

Le texte de Kalou Rinpotché est extrait de « The gem ornament of manifold oral instructions which benefits reach and everyone appropriately », par Kalou Rinpotché, Snow Lion publications. La traduction de cet ouvrage et son édition intégrale sont en préparation aux éditions Prajnâ (Institut Karma-Ling).

 

Le texte de Bokar Rinpotché est extrait de « Profondeur de la sagesse », par Bokar Rinpotché, éditions Claire Lumière, 13510 Eguilles.

 

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