Banyan

Banyan

Le Bouddha, avant d’être Bouddha, pendant de très nombreuses existences cultiva toutes les qualités de la vie spirituelle, à commencer par la plus importante : l’amour pour tous les êtres. Tantôt il prit naissance comme homme, mais aussi tantôt comme singe et tantôt comme chien, tantôt comme cerf et tantôt comme cygne, tantôt comme poisson et tantôt comme buffle. Mais qu’il ait été l’un ou l’autre, son unique souci fut l’amour.

 

A qui sont ces yeux brillants comme des joyaux qui percent l’ombre des forêts ? Ces cornes luisantes comme la lune argentée ? Regardez comme ces sabots de nacre glissent au travers des buissons ! N’avez-vous pas entendu parler du cerf d’or ? On l’appelle « Banyan », le roi des cerfs.

Mais Banyan n’était pas l’unique souverain de la forêt de Bénarès. Il régnait sur cinq cents cerfs, tandis qu’un autre roi, « Branche », régnait sur cinq cents autres.

Le roi de Bénarès avait l’habitude de chasser le cerf chaque jour. Il lui fallait, pour gagner la forêt, traverser de nombreux champs, et le riz, le blé et les jeunes plants cultivés par les paysans étaient piétinés par le roi et les nobles de sa suite. « Pitié », criaient les paysans, mais les cors retentissaient et leurs pauvres voix se perdaient dans les champs.

« Comment changer cela ? pensaient les paysans. Forçons tous les cerfs à entrer dans le parc du roi. Il ne passera plus sur nos champs pour aller chasser ».

Ils semèrent donc de l’herbe et creusèrent des étangs dans les bois du palais, firent venir les hommes de la ville et armés de bâtons et de lances, ils allèrent dans la forêt pour forcer les cerfs à fuir. Ils se placèrent d’abord tout autour pour qu’aucun animal ne puisse s’échapper, puis faisant claquer leurs lances et leurs armes ils dirigèrent les cerfs vers le bois du palais, les firent entrer et refermèrent les grilles derrière eux.

Puis ils allèrent trouver le roi et dirent : « Majesté, nous ne pouvions plus accomplir nos travaux. Quand vous-mêmes et les nobles de votre suite veniez chasser, les chevaux piétinaient les champs. C’est pourquoi nous avons mené les cerfs dans le bois du palais. Nous y avons semé de l’herbe et creusé des étangs pour qu’ils puissent manger et boire. Ainsi vous n’aurez plus besoin de traverser nos champs ».

Le roi n’alla désormais plus chasser au-delà de ses bois. Il regardait chaque jour la harde splendide et remarqua que, parmi les bêtes, se trouvaient deux cerfs d’or. « Ne tuez pas les cerfs d’or », dit-il à ses hommes.

Aussi Banyan et Branche étaient-ils toujours épargnés par les flèches acérées. Mais parmi les autres, il en était un de tué chaque jour pour les festins du roi, tué après avoir été blessé et blessé encore. Certains étaient blessés mille fois avant de tomber sous les flèches des chasseurs.

C’est pourquoi Branche vint un jour trouver Banyan et lui dit :

« Ami de la forêt, sois attentif à mes paroles. Non seulement nos sujets sont tués mais ils sont blessés inutilement. Chaque jour, hélas, un cerf doit mourir, car c’est le désir du roi ; mais pourquoi faut-il que tant soient blessés pour qu’un seul soit attrapé ? Ne serait-il pas plus sage que chaque jour l’un de nos sujets se rende au palais pour être tué ? »

Banyan approuva et ainsi fut-il ordonné. Chaque jour, un cerf se rendait au palais et posait son front blanc et pur sur la pierre du seuil.

Un jour c’était un sujet de Banyan et le suivant un sujet de Branche.

Advint que fut désignée une jeune biche de la harde de Branche, mère d’un tout jeune faon. Dès qu’elle l’apprit, elle courut trouver Branche et lui dit : « Seigneur, mon tour est venu ce jour de me rendre au palais. Mais mon petit est si faible encore et il a tant besoin des soins d’une mère. Ne pourrais-je pas y aller plus tard, quand il aura grandi ? »

« Va, répondit Branche ; un autre ne peut prendre ta place ; va au palais selon l’ordre que tu as reçu ».

Le petit cœur de la biche était serré par le chagrin. Elle courut alors voir Banyan et lui dit : « O roi Banyan, mon tour est venu d’aller au palais, mais j’ai un petit qui a encore besoin de moi. Ne pourrais-je y aller un peu plus tard, quand il sera plus vieux? »

« Retourne auprès de ton petit, lui dit Banyan, je veillerai à ce qu’un autre prenne ta place ». Et, aussi vite qu’un éclair perce les nuages, il traversa les futaies et les buissons et vint poser son front sur le seuil du palais.

« Un cerf d’or ! Prêt à être tué sur la pierre ! Que cela signifie-t-il ? » s’exclama l’homme qui avait la charge de tuer chaque jour un cerf pour le festin du roi. Son couteau tomba sur le sol et, tout ému, il courut chez le roi pour lui expliquer ce qu’il avait vu. Tout comme un enfant se précipite vers le frère qui lui est cher, le roi se précipita vers Banyan.

– « Bel animal », s’exclama-t-il, « pourquoi es-tu venu sur cette pierre des douleurs ? Ne savais-tu pas que j’avais ordonné qu’on ne te tue jamais ? Cerf d’or, dis-moi ce qui t’a conduit ici?

– Seigneur, répondit Banyan, aujourd’hui c’était le tour d’une biche blanche, mère d’un jeune faon. Je suis venu à sa place car son petit est trop faible pour rester seul ».

Des larmes ruisselèrent sur les joues du roi et tombèrent sur le front d’or de Banyan qu’il tenait entre ses mains. S’inclinant vers lui, le roi dit

– « Ta vie, divin animal, et la vie de la biche seront épargnées. Relève-toi et repars courir dans les bois.

– Seigneur, répondit Banyan, nos vies seront épargnées ; mais qu’adviendra-t-il de notre parenté qui parcourt la forêt ?

– Leurs vies seront aussi épargnées, répondit le roi.

– Les cerfs du bois du palais seront épargnés, mais quel sera le sort des autres cerfs de votre royaume, Majesté ?

– Leur vie aussi sera sauve.

– O roi, reprit Banyan, vous épargnerez les cerfs, mais qu’en sera-t-il des autres créatures à quatre pattes ?

– Animal plein de bonté, dit le roi, ils garderont aussi la liberté.

– Ils seront libres, Seigneur, mais qu’adviendra-t-il des oiseaux qui volent dans le ciel?

– Eux aussi seront épargnés.

– Seigneur, vous épargnerez la vie des créatures à quatre pattes et des oiseaux, mais que ferez-vous des poissons qui vivent dans l’eau ?

– Ils auront aussi la vie sauve », dit le roi.

L’amour était entré dans le cœur du roi. Il régna sur son peuple avec bonté et toutes les créatures vivantes de son royaume furent désormais heureuses.

Cette « vie antérieure du Bouddha » (jataka) est extraite du recueil « Contes des vies d’antan », regroupant vingt jatakas, publié par les éditions Claire lumière. Mas de Fabrègues, 13510 Eguilles. Ce texte est reproduit avec l’aimable autorisation de l’éditeur.

 

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