La vie de Mokchokpa, Kyergangpa, Rigongpa et Sangyé Teunpa

Aux origines de la lignée, la quintessence des enseignements shangpa fut transmise de bouche à oreille à un seul disciple. A la septième génération la transmission secrète fut consignée par écrit et largement diffusée. A la suite de Vajradhara, Niguma et Kyoungpo Neljor, se succédèrent quatre détenteurs dont l’histoire est présentée ici en relation avec la transmission de Mahakala, principal protecteur de la lignée Shangpa.

Durant les sept premières générations,

Le successeur de Kyoungpo Neljor est le grand Mokchokpa, dont les accomplissements sont aussi immenses que le soleil flamboyant. Il séjourna douze ans dans une grotte à Mokchok, pratiquant l’ascétisme, sans jamais voir de nourriture pour humains. En ce qui concerne les états élevés qu’il atteignit, il passa sept ou huit ans sur la pratique conjointe des déités des quatre bénédictions. Une nuit, il regarda le mur de sa grotte et vit le protecteur avec sa suite, au milieu d’un feu éclatant, faisant résonner son tambour damaru dans un bruit assourdissant. Mokchokpa reçut l’inspiration de chanter un chant de triomphe et d’accomplir des circumambulations, ce qui plut beaucoup au protecteur. Depuis ce temps, le protecteur agit comme son serviteur sans nécessité de communiquer en termes humains.

cMokchokpa, cependant, perçut toutes apparences comme des illusions, et brûlait d’un amour intense et d’une compassion sans référence pour les six classes d’êtres. En conséquence, il n’eut jamais besoin d’avoir recours aux pouvoirs du protecteur pour subjuguer les ennemis.

L’activité éveillée de Mokchokpa s’étendit, et les aumônes commencèrent à pleuvoir. Une nuit, une grande assemblée de porteurs apportant des offrandes [pour Mokchokpa] fut écrasée par un groupe de villageois. Les moines de Mokchokma, prêts à combattre [les villageois], formèrent une armée. Pendant ce temps, les villageois avaient presque réussi à voler un yak, qui était en fait le yak du protecteur, et tentaient de l’attacher, mais le yak donnait des coups de cornes en tous sens, piétinait le sol de ses sabots et émettait de grands bruits alors que des flammes sortaient de ses cornes en de bruyants craquements. Le saint Mokchokpa chanta la chanson qui commence par « Demander conseil à votre Lama est la mesure de votre compréhension du chemin… ».

Il dit alors aux personnes assemblées : « Mon travail se résume seulement au Dharma. Je ne veux aucune armée ici, et pas de magie noire non plus ». Mokchokpa dit une prière, prit une couverture, chargea son sac avec ses objets rituels, et s’en alla vers les montagnes. Les moines renoncèrent à former une armée, le yak fut restitué, et Mokchokpa reçut la grâce d’une vision de Tara qui lui dit :

« Les flammes de la colère et de l’attachement
Sont étanchées par les rivières de l’amour et de l’affection.
Ceci est bon, yogi, ceci est bon ! »

Plus tard, Kyergangpa se présenta à Mokchokpa, avec qui il avait étudié tous les préceptes généraux, et plus particulièrement le cycle d’enseignements du protecteur qui – était-il prophétisé – lui obéirait comme un serviteur.

Après avoir fondé son centre monastique, Kyergangpa travailla intensément pour le bien des êtres. Pendant ce temps, il étudia de nombreux enseignements profonds – y compris les cycles des enseignements sur le protecteur qui n’étaient pas enseignés par Mokchokpa – de la lignée de grands maîtres tels que Zhangom Chöseng, les dakinis, Atylyavajra et Maitripa. Il réunit en une seule instruction orale les enseignements des deux disciples « fils de cœur » de Khyoungpo.

Kyergangpa était un véritable maître de bodhicitta. Une fois, il partit construire un monastère et dresser des murs tout autour. Cependant, les autochtones semblaient vouloir l’en empêcher. Ils détruisirent les murs à plusieurs reprises et se battirent entre eux jusqu’à ce que les protecteurs interviennent et que des signes de mort imminente se montrent sur deux des instigateurs.

Le disciple « fils de cœur » de Kyergangpa était Rigongpa. Un matin à l’aube, Rigongpa alla voir Lama Kyergangpa et tous deux faisaient des circumambulations lorsque Kyergangpa dit soudain : « Regarde par là ! ». Rigongpa regarda au loin. Sur la pente du Mont Takri il y avait le protecteur, éblouissant de splendeur. A son côté, Kshetrapala offrait deux cœurs humains, rouges et sanguinolents. « Qu’est-ce que c’est ? » demanda Rigongpa au Lama.

« Eh bien », dit Kyergangpa, « ce sont les cœurs de deux hommes qui ont provoqué des dégâts hier près du moulin à eau ». Le jour se levait, et lorsque Rigongpa s’approcha pour voir de plus près, il vit que le moulin était détruit et les deux hommes étaient morts. C’est ainsi qu’il vit son yidam sans méditation.

Plus tard, alors qu’il était à Yöl, il y eut une explosion de tonnerre et Rigongpa fut frappé treize fois par les éclairs. Pourtant il maintint sa réalisation que la nature de la réalité est comme une illusion. Il s’assit au centre d’un feu flamboyant mais ne fut pas blessé par les éclairs. Il saisit les boules de foudre dans ses mains, et les promena sur les plis de ses robes, puis les jeta contre une falaise proche. Depuis, le rocher est marqué d’une traînée brun-rougeâtre. Rigongpa bénéficiait de l’aide du protecteur pour cela. Il dit que pour lui, il n’y avait pas de différence entre ami et ennemi. Mais de nouveaux combats relatifs aux protecteurs persistèrent sans perspective de fin jusqu’à ce que Palden Lhamo Remati crie à Rigongpa : « Construis une statue du protecteur ! Ça résoudra la situation ! ».

À cela Rigongpa répliqua : « Un homme comme moi n’est pas fort dans ce genre de tâche ».

« Quoi ? » s’exclama Remati, « ne peux-tu même pas prendre un peu de boue au moulin ? ».

Rigongpa saisit l’occasion et marchanda : « Je le ferai si tu promets de ne plus tuer aucun humain ou animal ».

Plusieurs jours passèrent. Rigongpa rentrait du moulin avec une poignée d’argile, quand il aperçut un homme dans l’encadrement de la porte qui menait à sa chambre, tenant des objets yogiques. Rigongpa lui montra l’argile et l’homme dit : « Je connais tout de l’argile. Celle-ci est d’excellente qualité ». Pensant que c’était véritablement une connexion très auspicieuse, Rigongpa invita l’homme à entrer. Les jours suivants, tous deux amoncelèrent la matière et, mélangeant les différents pigments de couleurs bigarrées, ils commencèrent à confectionner des figurines d’argile.

Lorsqu’elles furent terminées, Rigongpa et le yogi alignèrent leur travail. Aussitôt qu’elles furent déposées, les statues prirent les couleurs les plus parfaites. Le yogi déclara : « Le temps est venu de les consacrer ». Sachant que l’homme était une émanation du protecteur, Rigongpa répondit : « Vous êtes celui qui doit opérer la consécration ». Et le yogi se dissolut dans les statues, qui devinrent célèbres en tant qu’émanations du protecteur auto-émanées et donc porteuses d’incroyables bénédictions. Les caractéristiques distinctives des statues sont toujours présentes à ce jour. Bien que les bienfaits toujours croissants du protecteur soient généralement plus puissants lorsqu’ils sont gardés secrets, ces statues touchent toute personne qui voit, entend, touche ou pense à elles. Elles sont l’activité d’Avalokiteshvara. Aujourd’hui encore, les gens honorent le lieu où ces statues sont venues à l’existence.

Le gardien du trésor des corps, parole et esprit secrets de Rigongpa était Sangyé Teunpa, protecteur des êtres, dont la grande connaissance des sciences était renommée égale à celle des plus grands lamas du passé. Il détourna son esprit des huit dharmas mondains. Percevant samsara et nirvana comme une illusion, il acquit une réalisation stable dans la compréhension de l’état naturel. Avec un amour et une compassion aussi vastes que l’espace, il contempla les visages d’innombrables yidams et fut servi par les dakinis et les protecteurs du Dharma. Il comptait des milliers de disciples, de Jalandhara et Uddiyana au nord jusqu’à la Chine à l’est. Sangyé Teunpa déversait spontanément ses bienfaits aux autres.

Un jour, dans la résidence de son disciple, Sangyé Teunpa transmit les préceptes essentiels de la lignée de la pratique shangpa comprenant le cycle entier des enseignements sur le protecteur, n’omettant rien. Le disciple reçut aussi les explications sur les instructions de la dakini de sagesse Niguma. Ce cycle d’enseignements sur le protecteur fut connu sous le nom de Système Rigongpa du Protecteur, ou Tradition Tibétaine Inférieure du Protecteur.

Ce texte écrit par par Wangpo Kunga Rabten est Extrait de Nicole Riggs Like an Illusion, lives of Shangpa Kagyu masters, éd. Dharma Cloud, Eugene – Oregon) – Traduit de l’anglais par Isabelle Charbonnier.

Exergues

« Une nuit, il regarda le mur de sa grotte et vit le protecteur avec sa suite, au milieu d’un feu éclatant »

« Après avoir fondé son centre monastique, Kyergangpa travailla intensément pour le bien des êtres »

« Rigongpa fut frappé treize fois par les éclairs. »

« Le gardien du trésor des corps, parole et esprit secrets de Rigongpa était Sangyé Teunpa »

 

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