Les Cinq Dharma d’Or Shangpa

Jamgön Kongtrul Lodreu Tayé

Le grand yogi Khyoungpo Neldjor recueillit beaucoup d’enseignements sublimes auprès de ses nombreux maîtres. Parmi ceux qu’il transmit on distingue cinq groupes de pratiques, chacune provenant d’un de ses lamas racine. Parmi ces transmissions on compte celles de Mahakala, des Cinq Tantras ou des Quatre Déités, mais la plus fameuse et représentative de la lignée shangpa est celle des Cinq Dharma d’Or que Jamgön Kongtrul présenta de façon concise dans son Catalogue du Trésor des Instructions

Khyoungpo Neldjor, un saint érudit qui était doué de cinq réalisations ultimes, reçut pleinement la sagesse essentielle de cent cinquante pandits et accomplis indiens et, de ce fait, acquit la réputation d’être sans égal dans la connaissance d’un nombre incalculable de voies d’accès à l’enseignement. Par conséquent, d’une manière générale, l’on ne saurait donner une estimation unilatérale de l’étendue de son enseignement. Qui plus est, même en référence à la dernière des trois catégories habituelles par lesquelles les étapes de la voie sont classifiées, il y a cinq groupes principaux d’instructions : les enseignements de Niguma, de Sukhasiddhi, de Vajrasanapada, de Maitripa et de Rahula. Et même en ce qui concerne le premier d’entre eux, les enseignements de la Dakini de sagesse Niguma, les Shangpa Kagyu distinguent la version longue, qui contient les quinze préceptes les plus élevés donnés par la Dakini indienne, la version abrégée comprenant les instructions des « trois corps », et la version extrêmement abrégée, qui résume l’ensemble de l’enseignement dans les instructions de la nature immortelle et intrinsèquement libre de l’esprit.

Néanmoins, d’après la célèbre coutume de la lignée unique du sceau adamantin il y a cinq « Dharma d’Or » des Shangpa Kagyu : les racines sont les six yogas essentiels de Niguma, le tronc est Mahamudra, les branches sont les intégrations des phénomènes ordinaires sur la voie, les fleurs sont les deux dakinis khecaris blanche et rouge et le fruit est (la réalisation de) la Non-mort sans confusion.

Ces instructions furent transcrites à partir des Stances Adamantines de Vajradhara et de la Dakini de sagesse. Ainsi, même les sujets de méditation et les formules de prières ne sont pas fabriqués, altérés ni corrompus par les pensées d’un individu ordinaire et, de ce fait, sont semblables à de l’or pur.

Les Six Yogas de Niguma :

Les Stances Adamantines disent, au sujet des Six Yogas :

Mûri par les Quatre Initiations, doué de foi et de persévérance,
Pratiquant les méditations préliminaires sur l’impermanence,
Dégoûté du samsara et de ses tribulations,
Quiconque s’efforce sur cette voie suprême
Atteindra la bouddhéité en six mois, un an, ou dans cette vie.

Ainsi une personne qui a mûri spirituellement en ayant reçu les initiations des Cinq Tantras qui sont enseignés dans L’Océan de Joyaux des Grands Tantras, ou celle du mandala de Sri Cakrasamvara ainsi que les bénédictions transmises de chacun des six Yogas, ayant d’abord bien pratiqué les méditations des préliminaires communs, commencera par se purifier par la pratique de « l’enceinte vide purificatrice de la syllabe « A ».

Ensuite, par la pratique de la « voie des moyens habiles », la chaleur de la béatitude s’embrase d’elle-même.

Par le yoga du corps illusoire, l’attachement et l’aversion se dissolvent d’eux-mêmes.

Par le yoga du rêve, la confusion subtile (qui sous-tend toute confusion) est naturellement dissipée.

Par la claire lumière, l’ignorance est dissipée d’elle-même.

En établissant ces quatre yogas comme la racine de la pratique, les illusions qui s’élèvent dans la confusion propre aux quatre états d’être sont dissipées. Les deux autres, à savoir le transfert de conscience, grâce auquel l’éveil est atteint sans l’avoir réalisé par la méditation (pendant cette vie), et l’état intermédiaire, grâce auquel l’on réalise le Corps de jouissance du bouddha, sont pratiqués comme une séquence méditative supplémentaire pour ceux qui manquent de persévérance et de perspicacité, sur quoi, selon son degré de capacité, supérieure, moyenne ou inférieure, chacun sera libéré dans l’un ou l’autre des trois états intermédiaires.

Mahamudra

Le saint érudit Khyoungpo Neldjor était extrêmement fier des Stances Adamantines qui contiennent les instructions du point essentiel qu’il est impossible de formuler intellectuellement. C’est pourquoi il glissa les rouleaux de parchemin sur lesquels ils étaient inscrits dans une petite châsse népalaise se portant autour du cou. C’est ainsi que ces instructions furent connues sous le nom des Instructions du Mahamudra du Reliquaire.

L’on développe avant tout le calme mental et la vue pénétrante de la nature de la réalité par la pratique préliminaire de la « disposition naturelle (et détendue) de corps, parole et esprit ». Puis, dans la pratique principale, l’invocation de la conscience éveillée primordiale semblable à l’éclat du diamant fait entrevoir un aperçu fugitif qui introduit Mahamudra. Sur ce, par la dissolution naturelle des quatre fautes (qui sinon empêcheraient tout progrès ultérieur) tous les doutes eu égard à la nature de l’esprit elle-même sont résolus.

Dans la pratique finale, le pratiquant accède au trois Corps qui advinrent spontanément et, en s’appuyant sur des moyens extraordinaires pour amplifier la pratique et ôter les obstacles, Mahamudra, qui est le cœur de l’enseignement contenu dans l’ensemble des sutras et des tantras ainsi que l’essence de toutes les instructions de méditation, se révèle pleinement en tant que libération naturelle et spontanée, qui est la réalisation des quatre Corps.

Les trois intégrations :

En intégrant à la voie toutes les apparences, sons et pensées, par la compréhension essentielle qu’ils sont le maître, la déité, et illusoires en réalité, en l’espace de quelques mois ou d’une année l’on accédède à la réalisation de l’union de la clarté et de la vacuité comme étant grande félicité, et le triple Corps se manifeste tout naturellement.

Les deux dakinis khecaris blanche et rouge :

Au moyen de suppliques et de supports de méditation particulièrement sublimes l’on stimule les formes de couleur solaire et lunaire de la Victorieuse et Transcendante Reine Vajra et la chaleur intérieure de l’union de la félicité et de la vacuité, qui vient à la fois de la passion et de la dissolution dans les quatre centres, s’embrase en remontant et en emplissant le corps. Porté par cela, le disciple en arrive à voyager dans l’espace de l’union suprême.

La réalisation de l’esprit comme sans mort et sans confusion :

Le corps participe de la voie de la libération spirituelle par la pratique de trente-deux exercices yogiques spéciaux grâce auxquels on parvient à la Non-mort. Parce que notre propre esprit est primordialement non-né il est donc aussi sans mort et éminemment libre en et par lui-même. Le corps matériel, fruit d’une maturation karmique, est la réunion de matières inanimées, dépourvu de tout fondement permettant d’en établir la naissance ou la mort. En fait, si l’on possède la certitude fondée sur la réalisation que le corps lui-même n’est apparu que comme une simple projection mentale et que l’esprit est dépourvu de naissance et de mort (ni commencement, ni fin), alors la forme corporelle elle-même est scellée dans Mahamudra, la vastitude sans bornes en laquelle il n’y a pas confusion due aux apparences trompeuses, en tant qu’incarnation du divin. Il est enseigné que grâce à seulement quelques-unes de ces instructions le corps d’unité transcendante peut être atteint pendant cette vie et que, par la simple écoute de ceux-ci, l’on peut réaliser l’éveil dans le Corps de jouissance des Vainqueurs pendant l’état intermédiaire.

Il est dit dans les Stances Adamantines :

Ceux qui, en pratique, font l’expérience de cette voie suprême,
Pendant cette vie ou dans l’état intermédiaire, — pas en d’autres moments —
Dans l’indivisibilité parfaite de félicité cum vacuité réalisent le trikaya naturellement
Et s’élancent à voyager en l’espace d’une absolue pureté.

Des doctrines de la Dakini de sagesse Sukhasiddhi, il semble qu’il ne demeure que les très profondes « six doctrines de la voie des moyens habiles » ainsi que les préceptes du Mahamudra de la conscience éveillée primordiale et pure. La Pratique qui réunit Quatre Déités, une instruction du mahasiddha Rahula, et les instructions du Prompt Seigneur de Connaissance Primordiale (Mahakala), une profonde doctrine de Maitripa, perdurent également tous deux aujourd’hui.

Ces doctrines montrent qu’elles ressortissent réellement d’une transmission sans discontinuité de par l’expérience et l’influence spirituelle.

Extrait de Jamgön Kongtrul, La lignée Shangpa. Les Dharmas d’or des Shangpa Kagyu, ed Prajña, 2004.

Définitions

-Quatre états d’être : la veille, le sommeil profond, le rêve et l’absorption méditative.

-Trois états intermédiaires : cette vie comme intermédiaire entre la naissance et la mort, le rêve comme intermédiaire entre les périodes de veille et l’état intermédiaire entre la mort et la renaissance.

khecari : littéralement “voyageur/euse céleste”, synonyme de dakini “dame céleste” dans le contexte de la pratique des khecaris blanc et rouge.

 

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