L’introduction des pratiques de Mahakala au Tibet

Wangpo Kunga Rabten

Khyoungpo Neljor introduisit la pratique de Mahakala au Tibet après l’avoir reçue de Maitripa. Une seconde transmission lui fut conférée par le grand yogi Rahula. Ces épisodes sont relatés dans « La brève histoire et le cycle d’enseignements concernant Mahakala le Protecteur de Sagesse aux Six Bras », écrite par Wangpo Kunga Rabten, dont voici un extrait.

D’une manière générale, nous savons que de nombreux lettrés ont traduit la pratique du protecteur en tibétain. En particulier, Gyicho Daway Özer, qui étudia avec un compagnon de Maitripa, travailla sur la traduction des courts traités de Shawaripa. Sa classification des écrits concernant le protecteur fut connue sous le nom de « Visualisation et récitation en trois parties ». Garö Tsultrim Jungne écrivit une traduction basée sur un texte du sage Shanta Akara. Puis le traducteur Garchözang étudia avec Atulyavajra et traduisit les sadhanas confiés par Saraha et Shawaripa. Les instructions de Khyoungpo confirmaient toutes ces traductions. (…)

Portons brièvement notre attention sur Khyoungpo Neljor. Il naquit à Nyemo Ramang, dans la famille Khyung. Il devint tout d’abord un lettré dans la tradition bön et rassembla plus de sept cents disciples. Puis, il suivit les enseignements dzogchen et rassembla rapidement trois cents disciples. Enfin, il se rendit auprès du maître Nirupa et étudia Chakrasamvara, Yamantaka, et divers enseignements du Mahamudra. A l’âge de cinquante-deux ans, il partit au Népal et passa les cinquante années suivantes entre l’Inde, le Népal et le Tibet. En Inde, il eut cent cinquante professeurs avec lesquels il étudia les sutras, les tantras, la grammaire, la logique et les préceptes oraux, qu’il réalisa tous totalement. Ses lamas humains furent le méritoire Dorje Denpa, Maitripa, Bebe Neljor, et Rahula. Ses deux lamas extraordinaires furent les dakinis de sagesse Niguma et Sukhasiddhi. Ces six lamas représentent son lama racine.

Un jour, en rentrant d’un voyage en Inde, il reçut l’essence du cœur d’innombrables sages, dont les dakinis de sagesse. Il était déjà presque de retour au Tibet lorsqu’il décida de donner au seigneur Maitripa le peu d’or et de provisions qu’il lui restait encore. Se présentant à Maitripa, Khyoungpo le supplia :

« Lama, mon pays – le Tibet – n’est pas un pays riche. Je vous prie d’enseigner une pratique favorisant l’accumulation rapide de richesse ».

Maitripa récita l’histoire du protecteur de sagesse, ajoutant :

« On l’appelle le Grand Noir empli de Compassion. Il est également appelé le Protecteur de l’Arbre qui Exauce les Souhaits. Plus vous lui faites confiance, plus vos souhaits et désirs seront exaucés. Plus vous pensez [à lui], plus les obstacles seront ôtés et les ennemis détruits. Même si vous n’accomplissez pas cette pratique, le simple fait de le prier suffit pour voir son visage et être protégé du mal, de la maladie et des impuretés. Même si vous obtenez seulement les accomplissements communs [de la pratique du protecteur], des résultats extraordinaires en résulteront. Je vais maintenant vous enseigner ce protecteur du Dharma connu sous le nom de Joyau qui Exauce les Souhaits. »

Ayant ouvert la porte avec la transmission d’un profond samadhi, Maitripa enseigna à Khyoungpo les préceptes complets du protecteur. Lorsque cela fut fait, il dit :

« L’engagement général réside dans le fait que les vœux au protecteur ne doivent jamais être rompus. L’engagement particulier requiert que de l’orge moulue soit toujours mêlée aux offrandes de tormas. Offrir du bon encens et d’autres substances naturelles. Pratiquer sans attachement. Ne pas jeter de pierres aux oiseaux noirs ou aux chiens noirs. Très important : générer la foi et la dévotion et maintenir ses vœux. Si vous suivez ce conseil, vous trouverez que votre vie est facile à vivre, quelles qu’en soient les circonstances – solitude des montagnes, ou quoi que ce soit d’autre. Le protecteur répondra à toutes vos demandes. Si vous pratiquez de manière adéquate, vous verrez sans aucun doute le visage du protecteur entouré de sa suite, dans pas plus de trente jours ».

Telle fut la prophétie de Maitripa à Khyoungpo Neljor. Khyoungpo retourna au Tibet, puis revint en Inde pour récompenser la bonté de tous ses lamas indiens en donnant un festin tantrique en leur honneur. Alors que Maitripa ne résidait plus dans les environs à ce moment, Khyoungpo présenta un beau mandala d’or à la puissante femme yogini Gangadhara, de qui il reçut les préceptes de Mahamudra ainsi que des présages très spéciaux au sujet de la pratique du protecteur. A la suite de cela, Khyoungpo retourna au Tibet où il travailla largement pour le bien des êtres ; certains érudits – tels Potawa et Langri Tangwa – suivirent des études avec lui, tant ils étaient convaincus qu’il était un véritable bodhisattva.

Un jour dans une grotte à Penyul, Khyoungpo Neljor se retrouva seul et ayant terminé ses dernières provisions. Il se souvint que Lama Maitripa lui avait dit que les protecteurs lui fourniraient de la nourriture. Il était en réel besoin et sentit que sa vie allait prendre fin. Alors, une nuit, il alla à la porte de sa grotte, criant à s’époumoner :

« Kshetrapala et vous tous ! Maitripa m’a dit que vous m’aideriez ! Eh bien, maintenant, je suis au bout du rouleau et je ne peux pas terminer mon offrande de torma ! ».

Le jour suivant, un grand groupe de citadins vint à lui avec des offrandes de beurre, thé, et vêtements. Puisque de nombreux disciples s’étaient ainsi rassemblés, Khyoungpo leur donna un enseignement. En l’espace d’un mois, les rangs des étudiants s’élargirent jusqu’à ne plus pouvoir tenir tous dans la grotte. Il fut décidé qu’un monastère serait érigé, et le monastère fut nommé Cheka.

Khyoungpo passa du temps dans le monastère de Cheka. Il restait en retraite au début de chaque mois, et pendant la lune décroissante il enseignait le Dharma. Un jour, à l’aube, pendant la partie du mois consacrée à la retraite, il entendit frapper à sa porte. Son serviteur alla voir et vit un yogi qui demanda à rencontrer Lama Khyoungpo. Le yogi faisait les cent pas, mais le serviteur lui dit que le Lama était en retraite et ne voulait voir personne. « Je vous en prie », insista le yogi, « Je suis venu de loin pour le voir. Je suis malade, laissez moi le rencontrer ! ». Aussitôt qu’il fut introduit, il cria : « Vite, appelez un docteur ! ».

Khyoungpo l’examina et déclara : « Vous avez un problème de circulation. Il faut vous faire une saignée ». Mais le yogi répondit : « Une saignée n’ira pas ! Voici comment un yogi traite de tels désordres ! ». Et il lévita à environ quinze pouces dans l’espace, dans un bourdonnement, pendant que le sang coulait des ampoules qu’il avait sur son corps.

Khyoungpo prit un onguent spécial et dit : « Maintenant je vais vous masser ». Mais le yogi dit : « Ha ! Passer une pommade ne suffira pas ! Voici donc comment un yogi traite de tels désordres ! ». Et le voilà qui se mit à léviter dans l’espace comme précédemment, en bourdonnant. De la semence se mit à s’échapper de ses pores puis, dans un bruit vif, y fut ensuite réaspirée. Son corps étincelait d’un éclat brillant. Khyoungpo pensa : « Cet homme connaît vraiment des merveilles ! » et il demanda au yogi où il était né.

Le yogi répondit : « Je viens d’Inde. Je suis parti ce matin à l’aube, et j’ai traversé le ravin tibétain avant le lever du soleil ». Khyoungpo lui demanda son nom. Le yogi répondit : « Je suis Rahula Guptavajra. Gunakara, Ratnakara et Abhiyukta m’ont demandé d’aller au Tibet où je pourrais apporter quelque bienfait à un yogi. Je suis donc venu et maintenant je vous ai rencontré ». Et le yogi Rahula raconta à Khyoungpo toute l’histoire de sa vie.

Rahula resta sept mois à Cheka, enseignant préceptes oraux et instructions spéciales. Il transmit en particulier à Khyoungpo le cycle extensif des enseignements sur le protecteur de sagesse, y compris les instructions que Khyoungpo n’avait pas reçues de Maitripa. Rahula dit qu’il avait cherché des réceptacles susceptibles de recevoir les enseignements sur le protecteur, mais n’en avait trouvé aucun à l’exception de Khyoungpo, puis s’envola dans le ciel et disparut. On ne sait où il alla.

Pendant les vingt années qui suivirent, Khyoungpo resta rigoureusement en l’état de méditation à Penyul et dans le Tibet central. Finalement, poussé par les multiples prophéties des dakinis, il partit pour Shang où il passa les trente années suivantes à travailler intensément pour le bien des êtres. Il fonda cent huit monastères, mais partait souvent faire de longs séjours dans les grottes de montagne.

Khyoungpo généra un jour une armée magique afin d’empêcher la guerre, et ce faisant, convertit au Dharma de grandes quantités de non bouddhistes. De nombreux événements fantastiques se produisirent, hors d’atteinte de la compréhension ordinaire. Par exemple, il resta sept jours dans un vase. Ou encore, pendant son séjour dans l’un de ses monastères, Khyoungpo apparut dans l’espace, assis simultanément sur cent huit trônes, chacune de ses émanations enseignant les Cinq Traités de Maitreya à de nombreuses assemblées.

Extrait de Nicole Riggs Like an Illusion, lives of Shangpa Kagyu masters, éd. Dharma Cloud, Eugene – Oregon) – Traduit de l’anglais par Isabelle Charbonnier.

Exergues

« On l’appelle le Grand Noir empli de Compassion. Il est également appelé le Protecteur de l’Arbre qui Exauce les Souhaits »

« Je viens d’Inde. Je suis parti ce matin à l’aube, et j’ai traversé le ravin tibétain avant le lever du soleil ».
« Pendant les vingt années qui suivirent, Khyoungpo resta rigoureusement en l’état de méditation »

« Il fonda cent huit monastères, mais partait souvent faire de longs séjours dans les grottes de montagne. »

 

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