Le mahasiddha Virupa

Originaire de Tripura, pays du roi d’Orient Devapâla, le maître vivait dans le sud de l’Inde, dans le grand monastère de Somapurî lequel, ne comptant pas moins de mille moines, était un grand centre bouddhiste.

Bien que pleinement ordonné, Virupa reçut l’initiation de Vajravârahî, la Laie Adamantine, dont il récita le mantra pendant douze années consécutives, vingt millions de fois, sans parvenir, même en rêve, au moindre signe d’accomplissement. Découragé, il jeta son chapelet dans les latrines et fit ce qu’il lui plaisait. Mais le soir venu, à l’heure de la pûjâ, il se souvint qu’il n’avait plus de chapelet. Au même instant, une dâkinî apparut, qui lui posa un chapelet dans le creux de la main avec ces mots :

– Fils de bonne famille, ne perds pas courage ! Je vais te bénir et tu pourras pratiquer sans plus jamais succomber aux concepts et autres attributs des choses. (…)

Virûpa reprit donc la pratique pendant douze autres années, et cette fois il parvint à l’accomplissement suprême du Grand Sceau. Son serviteur alla lui acheter de la viande et du vin. Par la suite le maître abattit tous les pigeons du monastère et les croqua jusqu’au dernier. Quand il n’en resta plus un, les autres moines s’inquiétèrent :

– Qui a bien pu manger les bénéficiaires de nos offrandes ?

Chacun, alors, de se récrier :

– Ah non, ce n’est certainement pas moi !

Inspectant les cellules l’une après l’autre, ils se penchèrent à la fenêtre de Virûpa pour découvrir qu’il se repaissait non seulement de pigeons, mais aussi de vin.

On sonna le gong ; on décida d’expulser l’infâme : le voici qui dépose sa robe et son bol à aumônes aux pieds d’une statue, se prosterne et rejoint la grand-porte. Or près du monastère s’étendait un vaste lac. Un moine lui ayant demandé quelle route il comptait prendre, Virûpa répondit :

– C’est vous qui m’avez chassé. Moi, je n’ai pas de destination particulière.

Alors il traversa le lac en marchant sur les feuilles de lotus posées sur l’eau sans que les fleurs s’enfoncent et sans cesser de chanter la louange des bouddhas. Pris de regret les moines de Somapurî se précipitèrent à ses pieds pour lui rendre hommage.

– Mais pourquoi avoir tué les pigeons ?

– Je ne les ai pas tués.

Le serviteur rapporta les fragments d’ailes que, d’un claquement de doigts, le maître transforma en pigeons plus grands et plus beaux qu’auparavant : tous virent les oiseaux s’envoler dans le ciel.

Virûpa renonça alors aux signes de la vie monastique pour adopter la conduite des yogis. Il se rendit au bord du Gange et réclama à boire et à manger à la déesse du fleuve. Elle refusa ; il s’emporta. Fendant littéralement les flots, il passa à sec sur l’autre rive.

Arrivé dans le bourg de Kanasata, il acheta du vin à une marchande qui lui en servit une coupe avec une assiette de riz dont il entreprit de se repaître. Alors, dès cet instant et pendant deux jours et demi, le soleil suspendit sa course dans le ciel, au point que, stupéfait, le roi local envoya chercher par tout le pays celui qui était à l’origine d’un tel prodige. La déesse du soleil lui apparut en rêve pour lui apprendre qu’un yogi l’avait mise en gage chez une marchande de vin. Le roi et son conseil estimèrent la dette : elle se chiffrait en millions. Chaque consommation dûment réglée, Virûpa disparut. (…)

Sept cents ans passèrent, puis le maître partit pour les champs de l’espace.

Extrait de Mahasiddhas : la vie de 84 sages de l’Inde, Padmakara 2003

Exergues :

« Virûpa reprit donc la pratique pendant douze autres années, et cette fois il parvint à l’accomplissement »

« Alors il traversa le lac en marchant sur les feuilles de lotus posées sur l’eau »

 

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