Point 4 (suite 10)

Chapitre 14 – La vertu libératrice de la patience

Plan Résumé
(stance 19)
1) Considération des bienfaits et méfaits,
2) Son essence, 3) sa classification,
4) Les caractéristiques de chaque classe
5) Son développement et 6) sa pureté.
Avec en fin 7) ses fruit ; ces sept points résument
La vertu transcendante de la patience.

I – Considérations des bienfaits et méfaits

Celui qui est généreux et discipliné mais manque de patience, en se mettant en colère, pourrait faire s’épuiser en un instant toutes les vertus développées antérieurement par ses dons, sa discipline et ses autres vertus, comme l’exprime Le Recueil des Bodhisattvas :

Ce qu’on entend par colère anéantit les sources de bienfaits
Acquises pendant cent mille éons.

C’est aussi exprimé dans L’Introduction aux Pratiques de Bodhisattva :

Quelques soient les actes excellents
Que l’on a pu accomplir au cours de milliers d’éons
Par le don et l’offrande aux tathâgatas entre autres,
Ces bienfaits peuvent être détruits par une seule colère.

Quand on n’a pas de patience, la colère qui nous habite est comme une flèche empoisonnée qui nous traverse ; l’esprit est alors tourmenté et on ne peut connaître ni paix ni joie ni bonheur. A la fin on ne peut même plus trouver le sommeil.

Il est dit dans l’Introduction aux Pratiques de Bodhisattva :

Si l’esprit est en proie aux tourments de la colère,
Il ne connaîtra pas la paix.
La joie et le bonheur seront hors d’atteinte ;
Il ne trouvera pas le repos et sera instable.

Et :

En bref, avec la colère, on ne peut rester heureux.
Celle-ci ne nous apportera pas non plus la joie.

De plus, si nous ne sommes pas patient et que la colère nous habite intérieurement, nous nous comporterons agressivement vis-à-vis de l’environnement ; nous rendrons malheureux et indisposerons nos proches, nos amis, nos serviteurs, tout notre entourage. Même si nous leur procurons biens et nourritures, ils ne pourront supporter de rester auprès de nous.

La colère rend proches et amis malheureux
Et même si notre générosité les attire,
Ils ne s’attarderont pas.

Si nous sommes dénués de patience, les démons auront l’opportunité de nous créer des obstacles, comme cela est exprimé dans Le Recueil des Bodhisattvas :

Les démons trouveront l’occasion de faire obstacle
A celui dont l’esprit est habité par la colère. »

Enfin, l’absence de patience ne donnera pas lieu au développement des six perfections qui sont la voie de l’état de bouddha et l’insurpassable éveil ne pourra être obtenu, tel que c’est dit dans Le Résumé des ârya précise :

Comment serait-il possible de s’éveiller
En étant coléreux et en manquant de patience ?

Par contre, si la patience est acquise, celle-ci est la meilleure des sources de bienfaits, comme l’exprime L’Introduction aux Pratiques de Bodhisattva :

Aucun acte n’est plus nuisible que la colère ;
Aucune ascèse n’est comparable à la patience.
C’est pourquoi il faut, par diverses méthodes,
Pratiquer la patience avec persévérance.

Si l’on est doté de patience, on obtient aussi au niveau contingent tous les bonheurs possibles et parfaits.
Il est dit dans l’Introduction aux Pratiques de Bodhisattva :

Celui qui se contient et surmonte son agressivité
Sera heureux tant en cette vie qu’en ses autres existences. »

De plus, avec de la patience, on obtiendra l’insurpassable éveil.
Il est dit dans Le Sutra de la Rencontre du Père et des Fils :

L’agressivité n’est pas la voie du Bouddha.
L’éveil ne naîtra qu’en cultivant toujours l’amour bienveillant.

II – Essence

L’essence de la patience est un sentiment d’aise, dépourvu d’attitudes réactionnelles, défini ainsi dans Les Degrés de Bodhisattva :

Un esprit dégagé des faits matériels,
Animé uniquement par la compassion
Et dépourvu d’attitudes réactionnelles
Est en bref ce qui est connu
Comme l’essence de la patience d’un bodhisattva.

III – Classification

La patience comprend trois types : la patience de ne pas réagir aux agressions, la patience d’accepter volontiers les difficultés et les souffrances et la patience d’aspirer à la compréhension certaine de la réalité.

La première est la capacité à voir la nature de celui qui nous nuit, la seconde est la capacité à voir la nature de la souffrance et la troisième est la capacité à voir sans erreur la nature des phénomènes.

Suivant une perspective complémentaire, les deux premières correspondent à un niveau relatif et la troisième au niveau ultime.

IV – Caractéristiques de chaque classe

1. La patience de ne pas réagir aux agressions

Nous devons l’appliquer quand des obstacles à nos aspirations se présentent et quand nous et nos proches sommes soumis à des événements indésirables tels que l’exacerbation de nos défauts, les insultes, les agressions et les sévices corporels.

Qu’est ce que la patience ?

La patience est l’absence d’agressivité, le fait de ne pas répondre au mal par le mal et au niveau de l’esprit de ne pas se fixer, quoi qu’il arrive.

Ceci fut exprimé par le maître Shântideva :

Quand quelqu’un vous fait du mal :
(1) Considérez qu’il n’est pas maître de lui ;
(2) Considérez que c’est la faute de votre karma ;
(3) Considérez que c’est le défaut d’avoir un corps;
(4) Considérez que c’est la faute de votre état d’esprit ;
(5) Considérez que l’on ne peut dire à qui revient la faute ;
(6) Considérez l’utilité de ceux qui nous nuisent ;
(7) Considérez la grande bonté de ceux-ci ;
(8) Considérez- les comme une inspiration a l’état d’éveil.
(9) Réalisant donc les vastes bienfaits de ces maux, sachez vous montrer patient.

Développons ces différents points :

(1) Considérons que la personne qui nous fait du mal n’est pas maître d’elle :
Celui qui nous nuit sous l’emprise de la colère est comme Devadatta lorsqu’il agressait le Bouddha. Il n’est pas maître de lui, réduit à l’impuissance par l’objet de sa colère, mentalement intolérable.

Puisque ceux qui nous agressent n’ont de ce fait aucun contrôle sur eux-mêmes, il serait déplorable que nous agissions de même en retour.

Il est dit dans l’Introduction aux Pratiques de Bodhisattva :

Tout phénomène est sous l’emprise de facteurs extrinsèques ;
C’est ce pouvoir qui nous rend impuissant.
Si nous comprenons cela,
Nous n’aurons pas d’agressivité envers toutes ces choses
Qui sont semblables à des projections magiques.

 (2) Considérons que si l’on nous fait du mal, c’est notre karma qui est fautif :
Les maux que nous expérimentons aujourd’hui apparaissent car nous avons tout simplement, en des existences antérieures, infligé à d’autres des tourments similaires.

Puisque le fautif n’est autre que notre propre karma négatif, il serait déplorable que nous agissions de même en retour.
Il est dit dans l’Introduction aux Pratiques de Bodhisattva :

J’ai auparavant infligé aux êtres des tourments similaires
À ceux qu’ils me font subir maintenant .
Ces misères qui s’actualisent en sont la juste rétribution. »

 (3) Considérons que c’est le défaut d’avoir un corps qui permet que l’on nous fasse du mal :
Si nous n’avions pas de corps, les personnes qui nous font face ne seraient pas en mesure de nous porter atteinte avec des armes et diverses choses.

Puisque c’est le fait d’avoir un corps qui est responsable de l’apparition de ces maux, il ne serait pas juste que nous agissions de même en retour.

Il est dit dans l’Introduction aux Pratiques de Bodhisattva :

Son arme et mon corps sont tous deux causes de souffrances.
Sont-elles produites par son arme ou par mon corps?
Contre quoi faudrait-il s’irriter ?

 (4) Considérons que si l’on nous fait du mal, c’est la faute de notre état d’esprit :

Si notre esprit n’entretenait pas le concept d’un corps idéal auquel autrui ne doit pas porter atteinte mais qu’il l’appréhendait par contre comme un corps défectueux et douloureux, quand il serait soumis à des tourments, c’est à cette attitude même qu’il devrait s’en prendre.

Il n’est donc pas justifié de nous en prendre à autrui.

Il est dit dans l’Introduction aux Pratiques de Bodhisattva (VI,44) :

Cette enveloppe qui a forme humaine, étant douloureuse,
Quand je me fixe sur ce lieu d’attachement
Je ne supporte pas que l’on y touche.
Contre qui me fâcherais-je des tourments qui en découlent ?

(5) Considérons que nous ne pouvons dire à qui revient la faute de nos malheurs :

Il est dit dans l’Introduction aux Pratiques de Bodhisattva :

Quand l’un dans sa confusion fait du mal,
Si l’autre dans sa confusion se met en colère,
Lequel est alors exempt de faute ?
Et à qui revient la faute ?

Il nous faut donc éviter d’être fautif et avoir de la patience.

(6) Considérons l’utilité de ceux qui nous nuisent :

Nous pouvons pratiquer la patience en s’appuyant sur le mal qui nous est fait. En nous entraînant à celle-ci, nous purifions nos actes négatifs ; les purifiant nous menons à perfection les acquisitions et, par ce perfectionnement, nous nous éveillons.

C’est pour ces raisons que ces maux sont d’une grande utilité et qu’il faut donc nous montrer patient.

Il est dit dans l’Introduction aux Pratiques de Bodhisattva :

En s’appuyant sur ceux-ci, par la patience,
Nombre de nos actes négatifs seront purifiés. »

(7) Considérons la grande bonté de ceux qui nous font du mal :
Nous ne pouvons pas nous dispenser de la perfection de la patience pour réaliser l’éveil et la patience serait impraticable si l’on ne nous faisait pas du mal.

Ceux qui nous font du tort sont ainsi des amis du dharma de grande bonté et nous devons donc supporter patiemment les maux qu’ils nous infligent.

Il est dit dans l’Introduction aux Pratiques de Bodhisattva :

Mes ennemis doivent me réjouir
Car ils sont les assistants de ma conduite vers l’éveil.
Puisqu’ils me font pratiquer
Et donc accomplir le fruit de la patience,
Il est donc approprié que celle-ci s’applique à eux en tout premier,
Car ils sont en fait la cause de la patience.

(8) Considérons-les comme une heureuse incitation à l’état d’éveil :

Il est dit dans l’Introduction aux Pratiques de Bodhisattva :

Ils furent nos amis indéfectibles
Et les artisans de bienfaits sans limites ;
Hormis apporter la satisfaction aux êtres,
Que pourrais-je leur témoigner de plus en retour ?

(9) Réalisons les vastes bienfaits de ces maux :

Il est dit dans l’Introduction aux Pratiques de Bodhisattva :

Ils sont source de nombreuses satisfactions,
Et c’est ainsi que nous irons vers le sublime au-delà.

Dans Les Degrés de Bodhisattva, une méditation pour cultiver la patience en développant cinq prises de conscience est enseignée.
Il est dit :

(1) Développe la perception de ceux qui te font du mal comme chers à ton cœur ;
(2) La perception qu’ils ne sont qu’une succession de simples phénomènes ;
(3) La perception de leur nature transitoire ;
(4) La perception de leurs souffrances ;
(5) La perception qu’ils sont intimement liés à toi.

(1) Percevoir ceux qui nous font du mal comme chers à notre cœur :

Il n’y a aucun des êtres qui actuellement nous font du mal, qui n’aient été en d’autres existences antérieures un père, une mère, un frère, une sœur ou un maître pour nous. Ils nous aidèrent alors de façon inestimable.

Aussi serait-il déplorable que nous leur retournions le type de maux qu’ils nous font subir aujourd’hui. Il faut que nous nous montrions patient envers eux, les percevant comme des êtres chers à notre cœur.

(2) Les percevoir comme une succession de simples phénomènes :

Ceux qui nous nuisent sont les produits de facteurs et leur existence se réduit juste à une perception conceptuelle, ils ne sont que de simples phénomènes. En effet, ceux qui nous insultent, nous portent des coups, exposent nos fautes, nous font des reproches n’existent aucunement en tant qu’entités, personnes, principes vitaux ou ego existant en soi. Par cette réflexion, nous veillerons à être patient.

(3) Percevoir leur nature transitoire :

Les êtres animés ont une nature transitoire et sont assujettis à la mort. Le pire des maux serait de leur ôter la vie. Donc, puisque les êtres meurent naturellement, il n’est point besoin de les tuer. À l’aide de cette réflexion, nous développerons aussi la patience.

(4) Percevoir leurs souffrances :

Tous les êtres sont déjà affligés par les « trois formes de souffrances ». Nous penserons donc : Ne créons pas de souffrances alors qu’ils veulent s’en défaire ! Par la perception de celles-ci, nous nous montrerons patients face aux torts causés.

(5) Percevoir que nous sommes intimement liés à ceux qui nous font du mal :

Quand nous avons fait naître l’esprit d’éveil en nous, nous l’avons fait pour le bien de tous les êtres. Nous nous sommes ainsi complètement liés aux êtres, comme dans le mariage.

Nous penserons donc qu’ayant établi un tel lien d’intimité avec eux, il ne serait pas justifié de leur tenir rigueur pour de petits tourments et développerons ainsi la patience.

2. La patience d’accepter volontiers les difficultés et les souffrances

La patience d’accepter volontiers les difficultés et les souffrances est, l’esprit joyeux et sans regret, d’accepter volontiers toutes les souffrances rencontrées dans la pratique vers l’éveil, présentée ainsi dans Les Degrés de Bodhisattva :

Il est enseigné qu’il faut assumer allègrement
Les huit difficultés telles que le souci de l’habitat…

Concrètement, il s’agit d’accepter avec entrain, sans se laisser abattre, toutes les difficultés, que ce soient celles des efforts requis pour se vêtir et vivre d’aumônes quand on est ordonné (fol 115b) ; celles d’honorer et de faire offrande aux trois joyaux et au maître spirituel ; celles d’écouter les enseignements, de les expliquer, de réciter les textes, de méditer, d’être diligent dans sa pratique en ne dormant pas pendant la première et la dernière partie de la nuit ; et celles qui découlent de l’effort de s’appliquer aux onze activités décrites ci-dessus pour le bien des êtres que ce soient : la lassitude, la fatigue, le chaud, le froid, la faim, la soif, les troubles émotionnels et autres.

Pour prendre un exemple ce serait comme d’accepter allègrement les douleurs d’une saignée curative qui apaiserait les souffrances d’une maladie aiguë.

L’Introduction aux Pratiques de Bodhisattva dit :

C’est au prix de ces souffrances que j’accomplirai l’éveil,
Comme j’accepterais la douleur d’explorer une plaie
Pour en extraire le mal pernicieux qui s’y serait logé.

Celui qui accepte ainsi avec entrain les souffrances de la pratique du dharma mettra en déroute les armées du samsara et vaincra les ennemis que sont les passions. Il sera d’une grande bravoure. La mort emporte de simples ennemis naturellement et, bien que dans le monde celui qui les tue est réputé être un brave, il ne l’est pas ; cela revient à frapper de son arme un cadavre.

L’Introduction aux Pratiques de Bodhisattva dit :

Ayant remarquablement bravé toutes les souffrances
Celui qui vainc les ennemis tels que l’agressivité
Et autres passions, cette victoire en fait un brave ;
Les autres sont de simples exécuteurs de cadavres.

3. La patience d’aspirer à la réalisation certaine de la réalité

Il est dit dans Les Degrés de Bodhisattva :

C’est la patience inspirée par “huit points”,
A commencer par les qualités des trois joyaux. »

Cette patience est encore inspirée par le sens de l’ainsité, la nature de vacuité des deux types d’entités (subjectives et objectives).

V – Développement

La patience se développe par l’expérience première, la compréhension supérieure et la dédicace, telle que ce fut présenté pour la vertu libératrice du don.

VI – Pureté

La pureté de la patience vient de la vacuité omniprésente et de la compassion, tel que ce fut présenté au chapitre sur le don.

VII – Fruits

Les fruits de la patience sont ultimes et temporaires.

(1) Le fruit ultime de la patience est l’obtention de l’insurpassable éveil.
Il est dit dans Les Degrés de Bodhisattva :

Avec une patience vaste et sans limite
Apparaissent les fruits du grand éveil.
Grâce à ceux-ci les bodhisattvas,
Réalisant l’insurpassable et parfait éveil,
Achèveront le véritable état de Bouddha.

(2) En ce qui concerne les fruits temporaires, sans même les désirer, on obtiendra en toutes les existences une forme physique agréable, santé, renom, longévité et l’on accédera au rang de monarque universel.
L’Introduction aux Pratiques de Bodhisattva dit :

Tant que nous serons dans le samsara,
La patience nous octroiera beauté, santé, renom, longévité,
Et les vastes bonheurs d’un monarque universel.

Ainsi s’achève la section consacrée à la vertu libératrice de la patience
quatorzième Chapitre du Joyau Magique,
L’Ornement de la Précieuse Libération.

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