Point 4 (suite 1)
Chapitre 5 – Les méditations sur les maux du samsâra (premier remède à l’attachement aux bonheurs du devenir)
« Qu’importent l’impermanence et la mort ! », se dira-t-on peut être. « Ne sommes-nous pas promis à renaître ? Ainsi je retrouverai les corps et richesses parfaites des dieux ou des hommes. En quoi cela ne me suffirait-il pas ? » Ce type de réflexion exprime l’attachement aux bonheurs du devenir. Pour y remédier, voici comment méditer sur les maux du samsâra.
Plan Résumé
(stance 8)1) Duhkha lié aux facteurs nous composant,
Puis 2) duhkha lié aux changements,
Et 3) duhkha vécu comme douleurs,
Ces trois résument les maux du samsâra.
Pour expliquer ces souffrances au moyen d’un exemple : duhkha omniprésent en les facteurs nous composant est semblable à du riz qui n’est pas encore mûr ; duhkha des changements est comme une soupe de riz mélangée à du poison ; et duhkha des douleurs est semblable à du riz recouvert de moisissures.
Maintenant, si l’on explique en quoi consistent essentiellement ces trois formes de souffrance : duhkha omniprésent est une sensation d’indifférence, duhkha des changements est une sensation de plaisir et duhkha des douleurs est une sensation de douleur.
Si on les explique par leurs caractéristiques, en voici le développement.
I – Duhkha omniprésent en les facteurs nous composant
C’est l’affliction inhérente au fait de nous fixer sur les agrégats qui nous constituent. Elle n’est pas ressentie par les personnes ordinaires, tel un mal mineur lors d’une violente maladie. Par contre, elle est perçue par les êtres nobles tels ceux « entrés dans le courant », comme se révèlent les petits malaises secondaires lorsque l’on est presque guéri d’une grave maladie.
Suivant une autre image : un cheveu dans la paume de la main ne crée ni désagrément ni peine ; mais qu’il vienne dans l’œil et il procurera malaise et gêne. De même, les personnes ordinaires portent en eux la souffrance de ce qui est composé mais ils ne la perçoivent pas comme douloureuse alors qu’elle est, pour les nobles, une grande souffrance.
Il est dit dans Le Commentaire de l’Abhidharma :
Douloureux et désagréable est le cheveu
Qui de la paume de la main vient dans l’œil.
Les personnes ordinaires sont comme la paume de la main :
Ils n’ont pas conscience du cheveu
De la souffrance de ce qui est composé.
Les personnes nobles sont comme l’œil :
Ils perçoivent le fait d’être composé comme une souffrance.
II – Duhkha des changements
Elle est appelée ainsi car tous les bonheurs du samsâra se transforment et deviennent finalement souffrance.
Il est dit dans Le Sûtra du Blanc Lotus de Compassion :
Le royaume des dieux est source de souffrance ;
Le royaume des hommes est source de souffrance.
Ainsi, même l’obtention des jouissances du monarque universel devient finalement souffrance, ce qui est exprimé dans La Lettre à un Ami :
Même après avoir été monarque universel,
Nous redevenons esclaves dans les cycles du samsâra.
En outre, même si l’on obtient le corps et les plaisirs sensoriels d’Indra, puissant parmi les dieux, finalement adviennent la mort, la transmigration et la chute :
Même après avoir été Indra, si digne de vénération,
Le pouvoir du karma nous fait retomber sur cette terre.
Et ce n’est pas tout ; même si nous étions comme Brahmâ, le roi des dieux, ou un autre dénué d’attachements passionnels et ayant obtenu les bonheurs de l’équanimité des états d’absorption, finalement nous chuterions de cet état :
Même après avoir joui de la félicité
Sans attachement de l’état de Brahmâ,
De nouveau, nous devons subir la perpétuelle souffrance
D’être le combustible du brasier de l’enfer des pires tourments.
III – Duhkha des douleurs
Il s’agit des douleurs fortes et tangibles qui s’ajoutent à la saisie des agrégats, qui est en elle-même souffrance. On en distingue deux sortes : les douleurs des destinées heureuses et celle des destinées malheureuses.
1. Les existences douloureuses
Les états d’existence malheureux sont les états infernaux, d’esprits avides et animaux.
La présentation de chacun comprendra quatre aspects : sa subdivision, sa localisation, les souffrances qui y sont éprouvées et sa durée.
1.1. Les enfers
A) LEURS SUBDIVISIONS
Les états infernaux regroupent seize états infernaux, huit chauds et huit froids auxquels s’ajoutent les états infernaux occasionnels et les états infernaux périphériques, ce qui fait dix-huit.
B) PRÉSENTATION DÉTAILLÉE
• Les enfers chauds.
– Leur localisation
Les enfers chauds sont situés juste au-dessous de notre monde, Dzambouling, car nombreux sont ceux qui y vont à partir de celui-ci. Au plus bas se trouve l’enfer des pires tourments puis, l’un au dessus de l’autre, l’enfer extrêmement brûlant, l’enfer brûlant, celui des hurlements, celui des grands hurlements, celui des écrasements, celui des lignes noires et celui des réanimations.
Le Trésor de l’Abhidharma précise :
A vingt-mille « lieues » sous ce monde
Il y a l’enfer des pires tourments
Et au-dessus, les sept autres états infernaux.
– Leurs souffrances spécifiques
Les souffrances éprouvées dans ces états infernaux sont évoquées par leur nom :
– Dans l’enfer des réanimations, les êtres sont liés entre eux, ils se piquent et se déchirent jusqu’a en mourir ; alors un vent froid s’élève et les réanime, et ceci dure jusqu’à épuisement du temps qu’ils ont à y passer.
– Dans l’enfer des lignes noires, des scies et des haches incandescentes les coupent et les pourfendent à tous les endroits où ils sont marqués d’une ligne noire :
Certains sont déchirés par des scies,
D’autres par des haches au tranchant insupportable.
– Dans l’enfer des écrasements, [les êtres] sont comprimés et écrasés entre des montagnes et des presses en fer. Dans le premier cas, des montagnes semblables à des têtes de bélier venues de deux directions opposées les écrasent. Puis elles se séparent et un vent frais s’élevant, ils reprennent corps comme auparavant, avant d’être de nouveau écrasés, et ainsi de suite.
Cela est exprimé dans La Lettre aux Etudiants :
Ils sont pris entre deux effroyables cornes de bélier,
Immenses comme des montagnes, qui les écrasent
Et réduisent tout leur corps en poussière.
D’autres sont écrasés dans des pressoirs en fer d’où coulent quatre flots de leur sang.
Les uns sont pressés comme du sésame ;
Les autres sont réduits en poussière comme de la poudre fine.
– Dans l’enfer des hurlements, ceux qui y vivent sont brûlés et hurlent de douleur.
– Dans l’enfer des grands hurlements, ils hurlent encore plus fort.
– Dans l’enfer brûlant, ils sont torturés par le feu et d’autres tourments. Leurs entrailles sont consumées par du métal en fusion versé dans leur bouche et ils sont empalés depuis l’anus jusqu’au sommet du crâne sur des lances pleines d’épines.
– Dans l’enfer extrêmement brûlant, ils subissent des tortures particulières : après avoir été consumés par du métal en fusion jusqu’à ne plus avoir de peau, les neuf orifices de leur corps crachent des flammes et ils sont empalés sur des tridents de la plante des pieds aux épaules et de l’anus au sommet du crâne :
Certains copulent dans des sécrétions faites de métal incandescent ;
D’autres sont empalés sur des pieux de fer brûlants pleins d’épines
– Dans l’enfer des pires tourments, les êtres sont enfermés dans des maisons de fer incandescent larges et hautes de vingt milles lieues ; dans celles-ci, ils sont plongés dans d’immenses chaudrons où le cuivre et le bronze liquides qu’on y a versé bouillonnent, chauffés par quatre terribles brasiers.
Certains sont plongés tête première dans de vastes marmites de fer
Et cuits comme une soupe de riz.
On l’appelle l’enfer des pires tourments car la souffrance y est sans répit.
– Leur durée
– Combien de temps peuvent durer ces [tourments] ?
Pour les six premiers états infernaux, celui des réanimations et les suivants, il est enseigné :
Une journée de chacun de ces états infernaux correspond respectivement
au temps de vie des niveaux successifs de dieux du monde des désirs.
– Une journée dans l’état infernal des réanimations dure autant que la vie dans le « Monde des Quatre Grands Rois » et l’on peut y vivre cinq cents années de douze mois comptant chacun trente jours. Exprimé en années humaines, cela fait mille six cent vingt milliards d’années.
– Une journée dans l’enfer des lignes noires dure autant que la vie des dieux du « Ciel des trente trois » et où l’on peut y vivre mille ans. Exprimé en années humaines, cela fait deux mille quatre vingt dix milliards d’années.
– Une journée dans l’enfer des écrasements dure autant que la vie dans le « Monde des Dieux Dépourvu de luttes » et l’on peut y vivre deux mille années. Exprimé en années humaines, cela fait cent mille six cents quatre vingt milliards d’années.
– Une journée dans l’enfer des hurlements dure autant que la vie dans le « Monde des Dieux Bienheureux », et l’on peut y vivre quatre mille ans. Exprimé en années humaines, cela fait huit cent quatre vingt dix milliards quarante deux mille années.
– Une journée dans l’enfer des grands hurlements dure autant que la vie dans le « Monde Jouissance de ses Projections » et l’on peut y vivre huit mille années. Exprimé en années humaines, cela fait trois cent cinq mille cinq cent vingt milliards sept cent millions d’années.
– Une journée dans l’enfer brulant dure autant qu’une vie dans le « Monde Jouissance des projections d’autrui » et l’on peut y vivre seize mille ans. Exprimé en années humaines, cela fait cinq-cents trillions cent-quatre-vingt millions cent-soixante milliards d’années.
– La durée de vie dans l’enfer extrêmement brûlant peut être de la moitié d’un kalpa intermédiaire.
– Dans l’enfer des pires tourments, elle peut être d’un kalpa intermédiaire.
L’espérance de vie dans l’enfer brûlant
Est la moitié de celle de l’enfer sans répit,
Où elle est d’un kalpa intermédiaire.
• Les enfers périphériques.
– Leur localisation
Ils sont situés aux quatre points cardinaux du groupe des huit enfers susdits.
– Leurs souffrances spécifiques
– Le premier est le fossé de charbons ardents dans lesquels on s’enfonce jusqu’aux genoux. Ceux qui y cherchent une demeure ont leur peau, leur chair et leur sang détruits dès qu’ils posent le pied et leur jambe se reconstitue dès qu’il le relève. C’est le premier tourment additionnel.
– A côté, il y a les sordides marais de cadavres en putréfaction dans lesquels vivent des vers blancs à la tête noire pourvue de mandibules acérées, qui rongent les êtres jusqu’aux os. C’est le deuxième tourment additionnel.
– A proximité, est la grande route jonchée de lames de rasoir, encadrée d’une forêt aux feuilles comme des poignards, emplis des molosses tigrés, d’arbres aux feuilles métalliques et de corbeaux aux becs en fer qui assaillent ceux qui y vivent.
– Près de là se trouve « Sans Passage », un fleuve empli de cendres brûlantes. Sur les berges, des personnages brandissant des armes refoulent vers le fleuve ceux qui y cuisent. C’est le quatrième tourment additionnel.
En plus des huit enfers, il y en a seize supplémentaires.
Dans chacune des quatre directions, il y a :
Les charbons ardents, les marais de cadavres en putréfaction,
Les chemins de lames de rasoir et le fleuve.
– Ces gardiens à l’allure de personnes, cet entourage de geôliers infernaux : corbeaux au bec de fer, etc., sont-ils des êtres ou ne le sont-ils pas ?
– L’école des Vâibhâshika affirme qu’ils le sont. L’école des Sâutrântika affirme qu’ils ne le sont pas. Celle des Yogâcâra ainsi que les descendants de Marpa et de Milarépa affirment que ce sont des apparences de l’esprit même des vivants sous l’emprise de la négativité d’actions antérieures.
En accord avec ce dernier point de vue il est dit, dans L’Entrée dans la Pratique de Bodhisattva :
Qui a confectionné les armes des êtres infernaux ?
Qui a fait leur sol en fer brûlant ?
D’où proviennent ces fournaises ?
Le Bouddha a enseigné que tout cela
Est du à la négativité de l’esprit.
• Les enfers froids.
Ce sont : l’enfer des cloques, l’enfer des cloques purulentes, l’enfer des claquements de dents, l’enfer « Atchou », l’enfer « Kyihu », celui des crevasses semblables à un petit lotus, celui des crevasses semblables à un lotus, et celui des crevasses semblables à un grand lotus :
Il y a aussi huit enfers froids : celui des cloques et les autres.
– Leur localisation
– Où sont-ils situés ?
– Ils se trouvent sous notre monde, directement face aux grands enfers [chauds].
– Leurs souffrances spécifiques
Elles sont généralement décrites dans leur appellation :
– Dans les deux premiers, les êtres sont tourmentés par un froid insoutenable qui fait apparaître sur leur corps des cloques ou des cloques purulentes ; le nom de ces enfers leur est donné du fait de ces altérations physiques.
– Les trois suivants tiennent leurs noms des cris [poussés par ceux qui y vivent] lorsqu’ils sont agressés par le froid intolérable.
– Les trois derniers reçoivent aussi leurs noms des altérations physiques : lorsque la peau devient violacée et se fendille en cinq ou six endroits, c’est la crevasse comme une petite fleur ; lorsqu’elle vire du violet au rouge et se déchire en dix fissures ou plus, c’est la crevasse comme un lotus ; lorsqu’elle devient très rouge et se craquelle en cent fissures ou plus, c’est la crevasse comme un grand lotus.
– Leur durée
– Combien de temps cela dure-t-il ?
– Le Bienheureux a illustré cela en disant :
Bikshu, par exemple, si quelqu’un emplissait à ras bord quatre-vingt charges de sésame du Magadhâ et que l’on en ôtait une graine tous les cent ans ; Bikshu, aussi vite arriverait-on à épuiser complètement ces quatre-vingt charges de sésame du Magadhâ, je ne dirais pas que ce temps atteint la durée de vie des êtres nés dans [l’enfer] des cloques. Bikshu, la vie dans l’enfer des cloques purulentes est vingt fois plus longue et, Bikshu, cela va jusqu’à la vie dans [l’enfer] des crevasses comme un grand lotus qui et vingt fois comme celle de l’enfer des crevasses comme un lotus.
Le maître Vasubandhu a exposé cela brièvement :
La durée de vie [dans l’enfer] des cloques
Est égale au temps nécessaire pour vider un grenier de sésame
En ôtant une graine tous les cent ans.
Dans les autres, elle est [successivement] multipliée par vingt.
Ce qui signifie que s’il faut un grenier pour l’enfer des cloques, il en faut vingt pour celui des cloques purulentes, quatre-cents pour « les claquements de dents », huit mille pour « Atchou », cent soixante-mille pour « Kyihu », soixante quatre millions pour « les crevasses comme un lotus », et un milliard deux-cents-quatre-vingt millions pour « les crevasses semblables à un grand lotus ».
• Les enfers occasionnels.
– Leurs souffrances spécifiques
Ils sont produits par un karma individuel ou celui de deux ou plusieurs personnes et leurs aspects particuliers sont nombreux.
– Leur localisation
Leurs localisations sont incertaines : un fleuve, une montagne, un endroit désert, etc. Certains demeurent sous la terre, d’autres dans des contrées humaines ; c’est le cas de ceux que vit le vénérable Maugdalyâyana et de ceux que vit le vénérable Sangharakshita en des lieux désolés.
– Leur durée
La durée de leur vie est aussi incertaine.
Ceci termine l’explication des souffrances des êtres dans les états infernaux.
1.2. Le monde des esprits avides
a) Leurs subdivisions
Il y a Yama, roi des esprits avides et ceux qui dépendent de lui.
b) Leur localisation
– Où vivent-ils ?
– Yama, le roi, vit à cinq cents « lieues » sous notre monde, tandis que les esprits en dépendant vivent en des lieux indéterminés, des déserts ou d’autres.
Ces esprits peuvent être regroupés en trois types : ceux aux voiles extérieurs liés à la nourriture et à la boisson, ceux aux voiles intérieurs et ceux aux voiles liés à la nourriture et à la boisson elle-même.
c) Leurs souffrances spécifiques
– Quelles sont les souffrances éprouvées dans ces états ?
– Certains ont des grands pouvoirs et expérimentent une splendeur semblable à celle des dieux.
■ Ceux qui ont des voiles extérieurs voient leur nourriture comme pus et sang ou ne peuvent pas l’ingérer car d’autres les en empêchent.
■ Ceux qui ont des voiles intérieurs, bien que rien ne leur fasse obstacle, ne peuvent pas non plus manger ni boire.
Ils sont décrits ainsi :
Certains ont une bouche semblable au chas d’une aiguille
Et un estomac de la taille d’une montagne ;
La faim les tourmente et ils sont incapables de trouver
Même le moindre reste d’une nourriture vile et inférieure.
■ Ceux qui ont des voiles liés aux nourritures et au manque sont de deux types : ceux à la guirlande de flammèches et ceux qui mangent des excréments.
Les premiers sont brûlés par la nourriture et la boisson, les autres ingurgitent excréments et urine, ou coupent leur chair et la mangent, tels ceux que shrona observa dans un lieu désolé.
d) Leur durée
– Quelle est la durée de vie de ces esprits avides ?
– Un de leurs jours équivaut à un mois des êtres humains, et en comptant selon leurs mois et leurs années, ils peuvent vivre cinq cents ans.
Pour les esprits avides, un jour égale un de nos mois
Et ils vivent cinq cents de leurs années.
1.3. Les mondes animaux
a) Leurs subdivisions
[On classe] les animaux en quatre : les myriapodes, les quadrupèdes, les bipèdes et les apodes.
b) Leur localisation
– Où demeurent-ils ?
Leur milieu est l’eau, les plaines et les forêts, mais ils vivent principalement dans le grand océan.
c) Leurs souffrances spécifiques
– Quelles souffrances éprouvent-ils ?
– Ils souffrent de l’asservissement, d’être tués et de s’entre-dévorer.
■ La première de ces souffrances concerne les animaux assujettis à l’homme :
Impuissants, ils sont asservis à la force des bras,
A coups de pieds ou de triques et attachés à des anneaux.
■ La deuxième de ces souffrances concerne le gibier des montagnes et d’ailleurs.
Certains sont tués pour leurs perles, leur fourrure,
Leurs os, leur sang, leur chair ou leur peau.
■ La troisième de ces souffrances concerne les animaux sauvages, la plupart vivant dans le grand océan.
Ils prennent pour nourriture tous ceux qui tombent dans leur gueule.
d) Leur durée
Combien de temps les animaux peuvent-ils vivre ?
Cette durée est variable, mais la longévité maximale est d’un kalpa intermédiaire.
Ainsi se termine l’explication des souffrances des états d’existence infortunés.
2. Les existences heureuses
On distingue les souffrances des hommes, celles des dieux jaloux et les souffrances divines, ce qui fait trois.
2.1. Le monde humain
On distingue huit sortes de souffrances dans la condition humaine, décrites dans Le Sûtra de l’Entrée dans la Matrice :
Ainsi, la naissance est souffrance, la vieillesse est souffrance,
La maladie l’est aussi et la mort également.
Etre séparé de ceux qui nous sont chers est douloureux,
Rencontrer ceux qui nous déplaisent l’est aussi,
Ne pas obtenir ce que l’on désire est souffrance,
Et la difficulté à garder ce que l’on a est aussi souffrance.
a) La naissance
Elle est le point de départ des autres [souffrances].
Les enseignements répertorient quatre types de naissances, mais la plus répandue est celle par une matrice, que nous allons considérer ici.
Le moment de pénétrer dans la matrice depuis le bardo du devenir est déjà douloureux. Tous les êtres du bardo ont des facultés de projections miraculeuses, ils peuvent se déplacer dans l’espace et voir de loin leur lieu de naissance, comme avec l’œil divin. Par le pouvoir de leur karma, quatre sortes d’apparences déroutantes s’élèvent dans leur champ d’expériences, semblables à un vent violent, une forte chute de pluie, un espace obscur ou le son effrayant du brouhaha d’une foule.
Suivant la qualité de ce karma, dix types de projections imparfaites leur apparaissent alors : ils croient entrer dans un palais, grimper dans les étages d’une maison, monter sur un trône, entrer dans une hutte en herbe ou dans une maison de feuilles, se glisser entre les herbes, pénétrer dans une forêt, entrer dans le trou d’un mur ou se glisser dans de la paille. Dès que l’une de ces impressions s’est imposée, ils voient de loin leurs [futurs] parents copuler, et se dirigent vers eux.
Ceux qui ont développé de nombreux bienfaits et qui vont prendre une naissance élevée voient un palais, les étages d’une maison, ou d’autres [scènes analogues], et accourent vers celles-ci. Ceux dont le développement de bienfaits est moyen et qui vont prendre une naissance moyenne voient un habitat en herbe ou d’autres [images similaires], et accourent vers celles-ci. Ceux qui n’ont pas développé de bienfaits et qui vont prendre une naissance infortunée voient le trou d’un mur ou d’autres [images semblables], et ils accourent vers celles-ci.
Arrivés en ces lieux, s’ils renaissent hommes, se développent en eux du désir pour la mère et de l’aversion pour le père ; alors que s’ils renaissent femmes, se développent en eux du désir pour le père et de l’aversion pour la mère. Alors, sous l’effet du désir et de l’aversion, se mêlent la conscience du bardo et les substances impures du père et de la mère.
Il est enseigné qu’à partir de ce moment là, la présence dans la matrice dure trente-huit semaines. Selon certains, cela peut durer huit mois, neuf mois, et même jusqu’à dix mois. Ce temps peut même être incertain et la présence dans la matrice peut durer pendant soixante mois.
Pendant la première semaine de la gestation, l’embryon est comme cuit et rôti dans du cuivre chaud ; il éprouve d’intolérables souffrances tant au niveau du corps que de la conscience. Il est alors appelé « globuleux » et ressemble à de l’eau de riz ou à la pellicule crémeuse du yaourt.
Pendant la deuxième semaine de la gestation, le souffle « du plein contact » se manifeste et touche la matrice : les quatre principes élémentaires de l’embryon apparaissent de façon évidente. Il est alors appelé « oblong » et ressemble à du yaourt épais ou à de l’huile figée.
Pendant la troisième semaine dans le ventre de la mère, apparaît le souffle « qui active » ; il entre en contact avec la matrice et les quatre éléments de l’embryon apparaissent de façon manifeste. Il est alors appelé « petit bout de chair » et il a la forme d’une cuillère métallique ou d’une sorte de fourmi.
Il continue à évoluer et, à la septième semaine dans le ventre de la mère, se manifeste le souffle « qui fait tourner » ; il entre en contact avec la matrice et fait apparaître les quatre membres de l’embryon. Il souffre alors comme si une brute l’écartelait et qu’une autre forte personne lui écrasait les membres avec un bâton.
Son évolution se poursuit et à la onzième semaine de la gestation se manifeste le souffle « qui fait apparaître les orifices » ; il entre en contact avec la matrice et produit les neuf orifices corporels. L’être souffre comme si on introduisait un doigt dans une plaie ouverte.
D’autre part, si l’alimentation de la mère est irrégulière, ou si elle absorbe quelque chose de froid, il souffre comme s’il était jeté nu dans des glaçons. De même, si elle mange trop chaud, trop amer, etc., c’est pour lui source de souffrances. Si elle mange trop, il souffre comme s’il était écrasé entre des rochers. Si elle mange trop peu, il souffre comme s’il était balloté et suspendu dans les airs. Si elle se déplace brutalement, saute ou tombe, il souffre comme s’il dégringolait le flanc d’une montagne. Si elle a beaucoup de rapports sexuels, il souffre comme s’il était flagellé par des épines métalliques.
À la trente-septième semaine, son esprit perçoit la matrice comme malpropre, malodorante, obscure, semblable à une prison. Il y est très malheureux et lui vient l’idée d’en sortir.
À la trente-huitième semaine, s’élève dans la matrice le souffle qui unit à la fleur. Ce souffle change la position de l’embryon qui se retourne vers la porte de la naissance. Il souffre alors comme s’il enfourchait des rouages métalliques.
Ainsi, pendant tout ce temps, cuit et rôti dans la chaleur de la matrice comme dans une marmite chaude, l’embryon est entré en contact puis a subi la stimulation de vingt-huit souffles différents. Il a grandi et s’est développé à partir du sang et des principes nutritifs de la mère, est passé du stade globuleux à celui d’un corps entièrement constitué.
Il est dit dans Le Sûtra de l’Entrée dans la Matrice :
Du globule primitif naît une bulle de chair ;
Celle-ci se développe, devient consistante
Et prend un aspect solide.
Puis, tête et membres se développent,
Le squelette se forme et le corps se constitue.
Tout cela vient de causes karmiques.
Ensuite, le vent qui fait regarder en bas apparaît. Il tourne la tête [de l’enfant] vers le bas et celui-ci sort les bras repliés. Il souffre comme s’il était tiré au travers d’un filet métallique.
Il arrive que certains soient mort-nés ou que d’autres meurent à la naissance avec la mère.
Après la naissance, au moment où on le pose sur le sol, il souffre comme s’il était jeté dans un trou plein d’épines. [Quand on l’essuie,] il souffre comme s’il était écorché vif ou frotté sur l’angle d’un mur.
Pendant toute cette période [de gestation], il souffre plus ou moins de ce genre de maux, il est plus ou moins confiné, dans une obscurité plus ou moins profonde, dans un [espace] plus ou moins malsain.
Aujourd’hui, quelle que soit notre avidité, qui serait capable de passer trois jours dans un trou immonde fermé par un couvercle, même avec la promesse qu’on nous donne trois pièces d’or après ? La douleur dans la matrice est encore bien pire.
Elle est décrite dans La Lettre aux Etudiants :
Bloqué nu dans des impuretés aux relents intolérables,
Confiné dans l’épaisse obscurité de la matrice,
Comme plongé dans un état infernal, le corps tout crispé :
Nous devons réfléchir sur ces grandes souffrances.
Quel est celui, persuadé de cela, qui aurait l’idée d’entrer encore une fois dans une matrice ?
b) La vieillesse
Ses peines sont aussi innombrables mais elles peuvent être résumées en dix, liés à dix dégradations : du corps, des cheveux, de la peau, du teint, de la force, du prestige, des capacités, de la santé, de la disposition d’esprit et finalement de l’entrée dans la sénilité, les occasions de la vie étant passées.
• Le corps change : notre corps, jadis droit, stable et solide change ; il devient voûté, chancelant et a besoin de l’appui d’une canne pour se déplacer.
• Les cheveux changent : notre chevelure d’antan, d’un noir profond semblable à celui des abeilles, se transforme ; elle blanchit et notre crâne se dégarnit.
• La peau s’altère : notre peau passée, fine et douce comme les légères cotonnades de Varanasi ou les soieries de Chine, change ; elle devient épaisse, rude et froncée, un amoncellement de rides semblable à des bracelets de cuivre empilés.
• Le teint change : notre ancienne carnation éclatante et radieuse, pareille à une fleur de lotus à peine éclose, devient d’un gris verdâtre comme une fleur fanée.
• Les forces se modifient : la force et l’entrain du passé se dégradent. Les forces physiques sont brisées et il devient impossible de faire quelque effort. La puissance de l’esprit faiblit et l’enthousiasme manque pour faire quoi que ce soit. Les facultés des sens diminuent ; les objets sont perçus avec difficulté ou sont pris pour d’autres choses.
• Le prestige se transforme : les autres, qui naguère nous louaient et vantaient nos mérites, même lorsqu’ils sont plus mauvais que nous, nous traitent avec condescendance. Sans raison, les hommes ne nous portent plus dans leur cœur, nous ne sommes plus apprécié. Les petits enfants nous font des farces et nos descendants nous discréditent de plus en plus.
• Les capacités changent : notre ancienne disposition à jouir des biens et des nourritures s’épuise. Le corps ne ressent plus la chaleur, la bouche ne goûte plus la saveur ; de plus, nous avons envie de manger ce qu’il n’y a pas et trouver quelqu’un qui nous le cherche et nous l’apporte devient très difficile.
• La santé se détériore : nous sommes atteints par toutes sortes de maladies amenées par la sénilité, celle-ci étant la plus grande de toutes.
• La disposition d’esprit change : on oublie ce que l’on vient de dire ou de faire, on se reprend et se trompe.
• Les occasions de la vie étant passées, on entre dans la sénilité : notre respiration se fait haletante et fait entendre des sons rauques. Tout ce qui nous constitue s’épuisant, nous sommes proche de la mort.
Il est dit dans Le Grand Jeu des Nobles :
La vieillesse fait d’un physique agréable une forme déplaisante ;
La vieillesse dérobe notre radieux éclat et diminue nos forces ;
La vieillesse vole nos bonheurs et augmente nos souffrances ;
La vieillesse nous fait mourir et ravit même notre lucidité.
c) La maladie
Les souffrances de la maladie sont aussi sans limites. En résumant, on en distingue sept : celles d’être atteint de violentes douleurs, de subir des examens éprouvants, d’être dépendant de médicaments forts, d’être gêné pour boire et pour manger ce que l’on voudrait, d’être sous la garde du médecin, d’épuiser nos biens matériels et d’avoir peur de mourir.
Il est aussi dit dans Le Grand Jeu des Nobles :
Les douleurs de centaines de maladies,
Et celle d’être sous leur emprise affligent les malades,
Semblables à des esprits avides à forme humaine.
d) La mort
Les souffrances de la mort aussi sont innombrables.
Dans Le Sûtra des Conseils au Roi, elles sont ainsi décrites :
Ô grand roi,
Ainsi serez-vous frappé par le bâton du maître de la mort ;
Vous serez alors sans provisions, sans refuge, sans protecteur et sans ami ; tourmenté par la maladie, la bouche sèche, méconnaissable, les membres tremblants, incapable d’agir, le corps maculé de bave, de morve, d’urine et de vomi, laissant échapper des sons rauques, abandonné par les médecins, vous dormirez une dernière fois dans votre lit et vous sombrerez dans le courant du samsâra, terrifié par les émissaires de Yama.
Les mouvements de votre respiration s’arrêteront et, bouche et narines béantes, vous quitterez ce monde pour un autre.
Vous serez plongé dans les ténèbres et tomberez dans le grand abîme, emporté par le grand océan, mené par le vent du karma,
Vous irez en un lieu sans terre ferme, vos biens seront partagés sans que vous ne puissiez rien y faire.
Vous aurez beau appeler : « Au secours ! Mon père, ma mère, mes enfants ! », à ce moment-là ô grand roi, vous n’aurez d’autre refuge, de protecteur ou d’ami que le Dharma.
e) La séparation de ceux qui nous sont chers
La mort des personnes chers, comme notre père, notre mère ou d’autres, nous plongent dans des tourments infinies, accompagnés de pleurs et de lamentations.
f) La rencontre ceux qui nous déplaisent
La rencontre d’ennemis haineux nous harcelant, s’accompagne des nombreuses souffrances des conflits, des querelles, des coups et des combats.
g) La frustration vis-à-vis de ce que l’on n’a pas
h) L’incapacité à garder ce que l’on a
Ces deux dernières souffrances humaines sont faciles à comprendre.
2.2.Le monde des dieux jaloux
Les dieux jaloux partagent les mêmes souffrances que les dieux et souffrent en outre d’orgueil, de jalousie et de disputes.
Parce que les dieux jaloux haïssent la splendeur des dieux,
Leur souffrance mentale est considérable.
2.3.Le monde des dieux
Les dieux du monde du désir eux-mêmes souffrent, dans leurs conflits avec les dieux jaloux, de mécontentement, d’humiliation, d’être massacrés, vaincus, tués ou exilés ; en outre, ils éprouvent les douleurs de la mort, de la transmigration et de la chute.
À la mort d’un enfant divin, cinq signes apparaissent :
Ses habits se salissent, ses guirlandes de fleurs se fanent,
Ses aisselles transpirent, son corps exhale une mauvaise odeur
Et il n’est plus à l’aise sur son siège.
Les dieux des mondes de la forme pure et du sans forme n’éprouvent pas ces toutes ces souffrances mais soumis à la mort et à la transmigration et sans pouvoir sur leur lieu de naissance, ils éprouvent la douleur de renaître en des conditions infortunées. Même ces états d’existence fortunés et élevés arrivent ainsi à leur terme, et c’est la chute en des états douloureux.
Considérons la nature de ses souffrances intenses, comprenons que le samsâra est semblable à une maison en flammes.
Dans Le Sûtra de l’Entrée dans la Matrice :
Hélas, cette immensité du devenir de l’existence cyclique est un four, une fournaise, un brasier, un immense brasier, et il n’est pas le moindre petit être qui n’y soit soumis.
Quel est le feu de ce brasier ? C’est le feu du désir, de la haine, de l’aveuglement, de la naissance, de la vieillesse et de la mort ;
C’est le feu des peines, des lamentations, des malheurs et des conflits ; il nous brûle et nous consume perpétuellement et personne n’y échappe !
Connaître ainsi les défauts du samsâra détourne notre esprit des bonheurs du devenir.
Ceci est exprimé dans Le Sûtra de la Rencontre du Père et du Fils :
Si l’on voit les défauts du samsâra, apparaît vraiment la lassitude.
Redouter la prison des trois mondes fait y renoncer avec zèle.
Le Maître Nagarjuna enseigna en ces termes :
Tel est le samsâra : il n’y est pas de bonne naissance,
Que ce soit chez les dieux, les hommes,
Dans les états infernaux, comme esprit avide ou comme animal.
Saches que toutes ces naissances recèlent maints tourments.
Ainsi s’achève la section consacrée aux méditations sur les maux du samsâra, Cinquième Chapitre du Joyau Magique, Ornement de la Précieuse Libération. |