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L’émergence de la conscience – les douze facteurs interdépendants
On a vu jusqu’ici un certain nombre d’éléments structurels, qui constituent la personne, les constituants, les différentes consciences et champs cognitifs.
Maintenant on entre dans ce qu’on appelle des arcanes dynamiques dont le principal concerne les douze facteurs interdépendants. On examinera aussi le double développement.
Pour l’émergence de la conscience, on suivra le Pratītyasamutpāda རྟེན་འབྲེལ་བཅུ་གཉིས་
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- རྟེན་འབྲེལ་བཅུ་གཉིས་ les douze facteurs interdépendants sont utiles pour comprendre le dynamisme de la conscience. Ils sont susceptibles de différents niveaux d’interprétation, ce qui fait leur richesse et aussi leur difficulté.
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མ་རིག་པ་ l’ignorance
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Il n’y a pas རིག་པ་, il n’y a pas d’éveil.
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- མ་རིག་པ་ sk. avidyā : l’ignorance
L’« ignorance », l’absence de gnose, de réalisation, est la racine du cycle des états de la conscience.
Il est pertinent de parler des états multiples de la conscience.
Qu’est-ce que le samsara, འཁོར་བ་ ? C’est l’ensemble des états multiples de la conscience. On envisage l’action de l’ignorance en deux étapes (cf ci-dessous le développement sur les deux ignorances). Il se produit une sorte de coagulation c’est-à-dire de réification. Le terme « coagulation » est intéressant parce que c’est à la fois un terme imagé et un terme alchimique. Dans le Dharma, il y a une approche analogue à la notion de l’alchimie spirituelle occidentale avec la formule connue « Solve et coagula » » dissous et coagule » soit solution, dissolution et coagulation. C’est le processus inverse de ce qu’on connaît dans le Dharma comme la dissolution des voiles qui révèle les qualités éveillées qui se manifestent (coagula) au fur et à mesure que les voiles se dissolvent (solve).
Quand on coagule, on donne forme à ce qui échappe aux noms et aux formes mais il faut ensuite savoir dissoudre pour ne pas rester dans la fixation, dans l’attachement. ( Cf Kyerim et Dzorim).
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ལྷན་གཅིག་སྐྱེས་པའི་མ་རིག་པ་ l’ignorance innée
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- ལྷན་གཅིག་སྐྱེས་པའི་མ་རིག་པ་ l’ignorance innée, l’ignorance avec laquelle on naît, l’ignorance qui est celle de la dualité et de son pôle d’individualité.
- ལྷན་གཅིག་ est un synonyme de ཉམས་དུག་ ensemble
- སྐྱེས་པ་ né
- ལྷན་གཅིག་སྐྱེས་པའི་མ་རིག་པ་ l’ignorance innée, l’ignorance avec laquelle on naît, l’ignorance qui est celle de la dualité et de son pôle d’individualité.
Extrait des Souhaits de Samantabhadra :
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ལྷན་ཅིག་ སྐྱེས་པའི་
མ་རིག་པ་
inné, co-né naissance non intelligence
La non intelligence en laquelle nous naissons
- <tdstyle= »border: 1px solid black; text-align: center; »>est
ཤེས་པ་
དྲན་མེད་
ཡེངས་པ་
ཡིན་
cognition inconscience sans lucidité
errance est
Est la cognition qui erre sans lucidité
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ཀུན་བརྟགས་མ་རིག་པ་ l’ignorance de la conception
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- ཀུན་བརྟགས་མ་རིག་པ་ l’ignorance de la conception, qui impute tout, qui désigne, de la conceptualisation, qui labelle et étiquette toute chose.
Extrait des Souhaits de Samantabhadra :
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ཀུན་ཏུ་
བཏགས་པའི་
མ་རིག་པ་
Toute chose étiqueter imputer
concevoir
non intelligence
La non intelligence qui conçoit toute chose
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བདག་
གཞན་
གཉིས་
སུ་
འཛིན་པ་
ཡིན་
moi autre dualité lat. saisie est
Est la saisie dualiste du moi et de l’autre
Les ignorances innée et conceptuelle, de la conception sont la base et le fondement de tous les vivants comme dit Samantabhadra.
Extrait des Souhaits de Samantabhadra :
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ལྷན་ཅིག་
ཀུན་བཏགས་
མ་རིག་
གཉིས་
Inné, co-né conception de toute chose inintelligences deux
Ces inintelligences, innée et conceptuelle
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སེམས་ཅན་
ཀུན་
གྱི་
འཁྲུལ་
གཞི་
ཡིན་
Vivants tous de illusion la base sont
Sont la base de l’illusion de tous les vivants
Question : Est-ce que dans la première ignorance qui est sans lucidité, il y a une conception du « moi-je », une identité, ou est-ce plutôt dans la deuxième ?
Réponse DR : C’est implicitement dans la première où il n’y a pas de « moi-je » ; on est dans le brouillard, dans l’indéterminé, dans une sorte d’inconscience où il y a déjà le « on », forme indéterminée et subtile certes, mais qui est déjà une forme de moi indéterminé qui va se préciser dans la polarisation sujet-objet de la conception. On naît et on est dans la conception concepteur-/conçu sujet-objet.
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འདུ་བྱེད་ les tendances formatrices
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- འདུ་བྱེད་ sk. saṃskāra, les tendances formatrices est un synonyme de Karma.
- འདུ་ rassembler
- བྱེད་ faire
- འདུ་བྱེད་ ce qui assemble ou ce qui forme, ce qui formule, formate
- འདུ་བྱེད་ sk. saṃskāra, les tendances formatrices est un synonyme de Karma.
Ce sont les tendances formatrices, les « informations », ce qui met en forme, qui amène le troisième facteur རྣམ་ཤེས་
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རྣམ་ཤེས་ la conscience sujet/objet
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- རྣམ་ཤེས་ sk. vijñāna: la conscience sujet-objet.
Ici se présente une difficulté du Samutpāda : la conscience apparaît au début du cycle des douze facteurs et elle apparaît ultérieurement dans sa constitution pleine au niveau du onzième facteur. Au début, il s’agit de l’émergence de la dualité, de la simple polarité sujet-objet puis le sujet et l’objet se développent et se posent comme le nom et la forme. Le nom est le sujet et la forme l’objet. Tout le cycle des douze facteurs expose l’émergence d’un état de conscience pleinement constitué.
La conscience dont il s’agit au début c’est donc l’émergence de la dualité, la conscience sujet-objet རྣམ་ཤེས་
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མིང་གཟུགས་ le nom ou sujet et la forme ou objets
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མིང་གཟུགས་ sk. , le nom ou sujet, et la forme ou objets, susceptibles de plusieurs interprétations.
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Ce sont les catégories de l’entendement, le nom et la forme.
Quand on interprète le terrain, on met des formes et des noms. D’abord, on circonscrit les espaces signifiants, des formes signifiantes, et on les désigne avec des noms.
Une autre interprétation dans le cadre du Pratītyasamutpāda est que མིང་ est le sujet et que གཟུགས་ sont les objets.
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མིང་ le nom ou le sujet
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གཟུགས་ la forme ou les objets
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སྐྱེ་མཆེད་དྲུག་ les six domaines sensoriels
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- སྐྱེ་མཆེད་དྲུག་ sk. ṣaḍāyatana les six domaines sensoriels
Ce sont les domaines dans lesquels les expériences sensorielles correspondant aux six sens, naissent et se développent.
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- སྐྱེ་ naître
- མཆེད་ se développer
- དྲུག་ six
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Dans ces six domaines sensoriels, il va y avoir un contact རེག་པ་.
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རེག་པ་ le contact
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- རེག་པ་ sk. sparśa, le contact, qui signifie toucher, contact entre l’objet et le sujet, observé/observateur.
De ce contact naît une sensation, une expérience ཚོར་བ་
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ཚོར་བ་ la sensation
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- ཚོར་བ་ sk. vedanā, la sensation, une expérience
De cette expérience inhérente à la sensation s’ensuit une soif སྲེད་པ་
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སྲེད་པ་ la soif
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- སྲེད་པ་ sk. tṛṣṇā, la soif, au sens d’une pulsion, d’une appétence, qui peut être attraction, répulsion, indifférence.
L’attraction, répulsion, indifférence va amener la saisie ལེན་པ་
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ལེན་པ་ la saisie
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- ལེན་པ་ sk. upādāna, la saisie. ལེན་པ་ est un terme proche de འཛིན་པ་
C’est la saisie d’un objet, saisie dans l’attraction, la répulsion ou l’indifférence.
C’est ici qu’on représente dans le schéma des douze facteurs interdépendants, les ciseaux, qui signifient que c’est au niveau de la saisie qu’on peut couper le cycle, le suspendre, avec justement la suspension de la saisie, c’est-à-dire la dessaisie འཛིན་མེད་
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སྲིད་པ་ le devenir
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- སྲིད་པ་ sk. bhāva, le devenir
Lorsque l’on saisit, l’impulsion, l’énergie de la saisie, est une cause qui entraîne des conséquences, un devenir : c’est le karma.
La conséquence va être de vivre dans un certain état induit par la saisie, la naissance སྐྱེ་བ་ d’un état, d’un état de conscience particulier.
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སྐྱེ་བ་ la naissance
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- སྐྱེ་བ་ sk. jāti, un état de conscience maintenant parfaitement constitué, moi et mon monde
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རྒ་ཤི་ la vieillesse et la mort
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- རྒ་ཤི་ sk. jarāmaraṇa, la vieillesse et la mort, qui sont la dégradation de l’état de conscience, dégradation de la conscience jusqu’à sa disparition dans la mort et le bardo du moment de la mort. Toute cause a une conséquence mais il y a aussi un épuisement qui se termine avec la mort.
- རྒ་ la vieillesse
- ཤི་ la mort
- རྒ་ཤི་ sk. jarāmaraṇa, la vieillesse et la mort, qui sont la dégradation de l’état de conscience, dégradation de la conscience jusqu’à sa disparition dans la mort et le bardo du moment de la mort. Toute cause a une conséquence mais il y a aussi un épuisement qui se termine avec la mort.
Question : La mort ne s’écrit-elle pas aussi འཆི་ ?
Réponse DR : Oui འཆི་ comme dans འཆི་ཀའི་བར་དོ་, qui est plus le moment de la mort.
Voilà une façon de présenter l’émergence de la conscience avec ses différents facteurs, dans une présentation qui est symbolique et très profonde.
On utilise les représentations des douze facteurs pour présenter le samsara dans des villages tibétains à des agriculteurs illettrés.
Donc cela peut parler de façon analogique et symbolique et il y a aussi toute une vision philosophique très profonde qui y est associée.
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