Qui meurt, qui naît ?

De l’illusion à l’immortalité

Lama Denis Teundroup

Introduction

Qui suis-je, que suis-je, qu’est mon esprit ? La réponse est dans l’expérience silencieuse

L’interrogation fondamentale est : qui suis-je ? Que suis-je ? Qu’est mon esprit ?

La réponse véritable est au-delà des mots, dans l’expérience silencieuse en laquelle les concepts de la pensée discursive se sont tus et les représentations de l’esprit dualiste dissoutes. Elle est le dévoilement d’une vérité indicible et pourtant suggérée par de nombreux noms : non-ego, non-dualité, vacuité, nature de bouddha, Claire lumière.

Cette réponse est une expérience libératrice ; elle nous délivre de l’illusion de notre existence individuelle, de notre moi, et par là même, elle nous libère des morts et des naissances, car qui meurt et qui naît, si ce n’est moi ?

Attendant que l’expérience immédiate, la réalisation de la vision pénétrante (Lhagtong) nous apporte la révélation ineffable, interrogeons-nous encore : qui meurt, qui naît, qui transmigre et qui renaît ?

Le dharma nous apprend que c’est Namché, la conscience quelquefois aussi appelée (par les traducteurs) « principe conscient ». Il nous apprend aussi que cette conscience (Namché) est ce que je suis ! Qu’est donc ce Namché ? Qu’est-ce que la conscience ? Que suis-je ?

L’illusion de la conscience

La conscience (Namché, Vijnana) est toujours connaissance en mode dualiste sujet-objet

Remarquons tout d’abord que ce terme tibétain Namché, (écrit : rnam shes) « conscience » signifie étymologiquement « connaissance en mode dualiste ». C’est là un point très important que nous allons maintenant développer. La conscience (tib. : Namché, sk. : Vijnana) est toujours une connaissance en mode dualiste, c’est-à-dire la connaissance qu’un sujet a d’un objet, le sujet et l’objet étant les deux termes de sa dualité.

Cette conscience est donc toujours une « conscience de », une conscience de quelque chose expérimentée comme autre. Elle est la connaissance que le moi-ego, c’est-à-dire nous-même en tant qu’observateur ou sujet, a des choses, des objets et des événements qu’il expérimente comme autres.

La conscience est un processus dynamique produisant l’expérience illusoire du moi-ego

Le point essentiel que nous allons esquisser est que le moi-ego et cette conscience (certains même diraient l’âme), ne sont pas fondamentalement quelque chose : des entités autonomes, solides et statiques, comme notre expérience habituelle aurait tendance à nous les faire expérimenter. Bien plutôt, la conscience est un processus dynamique qui, dans son fonctionnement, donne naissance à une expérience de moi-ego. Les caractéristiques d’intégrité et d’autonomie qui lui sont attribuées ne reposent sur rien et sont le résultat d’une illusion.

Aperçus de la nature de la conscience

Le moi-ego subsiste dans sa relation avec toute forme d’altérité, intérieure ou extérieure

Pour mieux comprendre cela, nous allons nous interroger sur le mode de fonctionnement de la conscience. Notons d’abord que, dans toutes les circonstances de son existence, le moi-ego entretient toujours une relation avec une forme d’altérité, que ce soit avec une altérité qu’on pourrait dire « intérieure » telle qu’éprouvant « mon corps, mes sensations, mes pensées », ou avec une altérité « extérieure » telle que dans l’expérience du monde (dit) extérieur. Dans tous ces cas, comme nous allons le voir, le moi-ego subsiste dans sa relation à cette altérité. Il est en fait un des éléments de l’ensemble dynamique et interdépendant du processus de conscience.

La boucle de la fonction cognitive de la triade indissociable sujet-objet-acte

Cet ensemble de la conscience est une fonction cognitive constituée par le moi-ego avec ses objets et la relation qui existe entre les deux. Notons que si ces éléments : sujet, objet et acte de la connaissance dualiste, constituent ensemble cette fonction de connaissance, c’est elle, à son tour, qui, dans son opérativité, engendre les éléments qui la constituent. Les éléments constituent la fonction et la fonction engendre ses éléments. L’ensemble et les éléments sont indissociables. Une conséquence en sera que les objets ou choses qui sont expérimentés par le moi comme lui étant extérieurs ne sont pas non plus des entités autonomes, mais résultent, eux aussi, du fonctionnement interdépendant des mêmes éléments de cette fonction cognitive.

Cette fonction cognitive est prise de conscience, saisie dualiste posant le moi et l’autre

Plus précisément, cette fonction cognitive est l’appréhension de l’objet par le sujet, au moyen de concepts ou de représentations. Comme nous venons de le dire, elle engendre le moi-ego, le sujet et son objet. Les deux termes de cette relation se déterminent en concomitance, l’un par rapport à l’autre. L’existence de l’un détermine celle de l’autre. Ils existent en détermination réciproque et sont donc interdépendants.

Autrement dit, le moi-ego existe dans l’appréhension qu’il a de ses objets, et, réciproquement, ses objets existent dans l’appréhension qu’en a le moi-ego.

Ou en résumé : « La saisie pose le moi et l’autre ». Cette saisie (ou appréhension) constitutrice du moi comme de l’autre, du sujet comme de ses objets est ce que le dharma appelle la saisie dualiste, et celle-ci n’est autre que la fonction de prise de conscience, la connaissance en mode dualiste.

J’existe dans la connaissance dualiste, je suis la conscience dualiste

La triade constituée par le moi-ego, l’acte de connaissance qu’est cette saisie dualiste et son objet étant indissociables, on peut dire : « J’existe dans la connaissance dualiste », et même : « Je suis la connaissance dualiste ».

Ce n’est qu’illusoirement que l’on peut séparer ou isoler un des éléments de cette triade et le considérer comme s’il existait lui-même indépendamment de la structure qui le constitue.

Ainsi, en fait, le sujet (ou la conscience du moi-ego) est corrélatif de l’objet, l’objet est corrélatif du sujet, et ils sont leur corrélation. Fondamentalement, il n’est que l’opérativité de cette fonction cognitive de corrélation qui opère en elle-même !

L’interdépendance corrélative de la triade est appelée le vide d’existence propre, non-moi

Cette interdépendance corrélative est ce qu’on appelle le vide d’existence propre. C’est dans cette perspective que l’expérience du sujet, des objets ou de la conscience comme entités existantes en soi, ou séparément, est purement illusoire.

Ces quelques considérations devraient suffire pour écarter la notion monolithique de la conscience, de Namché ou du moi-ego. C’est précisément ce que le Bouddha enseigna comme le non-moi (tib. : damé ; sk. : anatman).

Remarquons, pour conclure ces considérations, que cette notion d’interdépendance du sujet, de l’objet et de l’acte de connaissance a des correspondances psychologiques et philosophiques, mais que, dans la perspective du dharma, elle va beaucoup plus loin, car elle implique une indissociabilité essentielle, une co-existence entre le sujet, l’objet et l’acte ou leur relation. L’un n’existe pas sans les deux autres, et l’existence de l’un implique nécessairement celle des deux autres.

Comprendre cette fonction cognitive – de Namché à Yéché – est la base de tout le dharma

Cette triade sujet, objet et acte constitue donc ce qu’on pourrait appeler la « fonction de conscience ». Sa compréhension est la base de toute la psychologie, de toute la métaphysique du dharma. Toutes ses pratiques proposent, au-delà de toute théorie, la réalisation immédiate, l’unification ou l’intégration de ces trois éléments, c’est-à-dire le passage de Namché, la conscience ou connaissance dualiste, à Yéché, la connaissance directe a-relationnelle, non dualiste.

Le karma créateur de la dualité et de toutes choses

Le karma est l’élément actif de la « fonction de conscience », il en détermine les modalités

Nous venons d’évoquer l’indissociabilité de la triade sujet-objet-acte qui constitue la « fonction de conscience ».

Nous allons maintenant préciser l’élément actif de cette fonction : le karma.

Karma signifie littéralement « action » ou « acte ».

C’est l’acte qui détermine le sujet comme l’objet, l’action ou la fonction de relation qui conditionne l’esprit dans l’expérience dualiste du je et de ses objets. Les modalités de la saisie dualiste sont déterminées par le karma : il est l’impulsion qui fait saisir de telle ou telle façon, et qui ainsi engendre telle ou telle expérience du sujet et de l’objet. De même, cette saisie laisse une empreinte qui, ultérieurement, stimulera de nouveau la conscience.

Le karma anime la conscience, détermine notre être propre et la totalité de ses objets

Le karma anime ainsi la conscience, il détermine le moi-ego, notre être propre, comme la totalité de ses objets.

Tous nos états de conscience, tout ce que nous sommes et tout ce que nous éprouvons, notre type d’être et notre monde sont déterminés par le karma.

Ainsi, globalement, le karma recouvre les notions d’action, de réaction et d’enchaînement de l’une à l’autre, les trois étant d’ailleurs là aussi interdépendants. Le karma est la dynamique de la relation qui se déploie entre le sujet et l’objet, dans sa totalité, de l’un à l’autre, en aller et en retour. Dans une perspective globale et synchrone, il détermine simultanément la nature de l’objet et du sujet. Dans une perspective linéaire et cyclique, c’est un acte qui vient d’une cause et qui induit une conséquence qui, à son tour, sera une cause. Il est alors une séquence causale de réactions en chaîne qui se perpétue en cycle infini.

Le dynamisme karmique a pour substrat la conscience fondamentale, l’alaya-Vijnana

Ce dynamisme karmique a pour substrat ce que le bouddhisme appelle la conscience fondamentale (sk. : alaya-Vijnana, tib. : kunchi Namché, écrit : kun gzhik rnam shes). Elle est le réceptacle et le réservoir des facteurs karmiques ainsi que leur source et leur origine. De futurs facteurs karmiques peuvent y subsister longuement sous forme d’empreintes qui sont une potentialité qui ne s’actualise qu’après une période de latence plus ou moins longue, lorsque les circonstances s’y prêtent. Tout ce processus : l’acte, l’empreinte qu’il pose dans la conscience, la persistance de cette virtualité et enfin son actualisation en un résultat, toute cette séquence est ce qu’on appelle l’enchaînement des causes et des conséquences karmiques, le karma.

La succession des causes et conséquences du karma constitue les six mondes du samsara

En bref, les différents états de la conscience existent sur la base du karma qui conditionne l’esprit dans la dualité et qui anime l’ensemble de ses illusions.

La succession des causes et des conséquences du karma constitue l’existence cyclique, le samsara. On y distingue six principaux états d’existence ou de conscience, six mondes qui sont sommairement toutes les possibilités en lesquelles la conscience peut transmigrer.

L’illustration du rêve

L’illusion dualiste de la conscience peut être comprise par l’exemple du rêve

La structure de la conscience, son illusion par le pouvoir du karma, ses transmigrations de naissances en morts peuvent être mieux comprises avec l’aide d’un exemple, celui du rêve. En préliminaire, comprenons bien que l’illustration que nous allons utiliser est une analogie, c’est-à-dire que les modalités de la conscience onirique, de la conscience de l’état de veille et de la conscience du bardo sont comparables dans leur structure, ce sont des illusions conditionnées par le karma.

Comprenons bien aussi que l’état de rêve, de veille ou du bardo sont sur des plans d’existence différents et ont chacun des particularités spécifiques.

L’analogie porte donc sur l’illusion dualiste de la conscience, et plus particulièrement sur l’illusion du sujet en rapport avec ses projections qu’il perçoit comme des entités lui étant extérieures. Entrons maintenant dans notre exemple et examinons-le en reprenant les différentes perspectives que nous avons évoquées.

L’illusion

Le rêveur ignore la nature de ses propres productions.

L’esprit du rêveur produit toutes les expériences oniriques, ce qui est bien évident pour un observateur extérieur, mais ne l’est pas du tout pour le rêveur lui-même, du moins aussi longtemps qu’il rêve, car il ne reconnaît son rêve comme tel que lorsqu’il se réveille.

Bien qu’il soit le créateur de tout son monde onirique, le rêveur n’a pas la notion de son origine, il ne le vit pas comme sa propre production.

C’est un premier aspect général de son illusion.

La dualité

La dichotomie de l’esprit rêvant est analogue à celle de l’état de veille et du bardo

Plus particulièrement durant le rêve, l’esprit producteur de toutes les manifestations se scinde en deux. En effet, les scènes du monde onirique sont perçues à partir d’un point d’observation où se situe l’observateur, le témoin. Il y a ainsi l’observateur et l’observé, le sujet et l’objet.

Ces expériences de sujet et d’objets oniriques sont produites par l’esprit, fondamentalement un, qui s’est pourtant dans cet état divisé en deux pôles, l’un percevant l’autre.

Cette dichotomie de l’esprit onirique peut, par transposition, nous aider à comprendre la constitution de la dualité dans la conscience de l’état de veille et du bardo, et son illusion dualiste qui, comme nous l’avons dit, est analogue dans ces différents états.

L’identification

Généralement, le rêveur s’identifie à son corps onirique.

L’illusion du rêve va encore plus loin. Mettons-nous, si vous voulez bien, à la place du rêveur ; c’est une place qui nous est familière, ce qui va nous aider.

Ce rêveur s’identifie au pôle sujet-observateur des productions oniriques de son esprit. Souvent, même, il développe une sorte de production secondaire qui donne une forme et une identité à ce sujet. C’est son corps onirique semblable à celui qui lui est coutumier à l’état de veille ou différent de celui-ci.

Lorsque nous rêvons, nous expérimentons ce corps et cette identité oniriques comme étant « moi ». Nous nous y identifions généralement complètement.

Le karma

Le rêve est induit et conditionné par les imprégnations inconscientes (samskara).

Maintenant que nous avons schématisé l’illusion du rêve, il est important de comprendre la fonction du karma dans cette illusion. Nous l’avons déjà évoqué comme étant élément inducteur et conditionnant de la conscience dualiste. Son fonctionnement devrait nous apparaître plus spécifiquement dans l’exemple du rêve.

Il est facilement compréhensible que le rêve et son contenu sont induits par les empreintes latentes en notre esprit. Le rêve est une production de notre inconscient, comme disent les psychologues. Il est induit et conditionné par les imprégnations (samskara) subconscientes qui subsistent dans la conscience fondamentale (l’alaya-Vijnana).

L’action de ses imprégnations est précisément celle du karma. Les samskara sont l’aspect actif du karma qui apparaît bien ainsi comme l’élément créateur et déterminant du contenu onirique.

Il est clair aussi que ces empreintes, ces imprégnations, ont leur origine dans des évènements de notre passé proche ou lointain. La situation présente offre à ces empreintes le contexte qui rend possible leur actualisation, elle a ainsi simplement un rôle révélateur ou activateur.

Ensuite, la façon dont nous réagissons à leurs manifestations va, à son tour, laisser de nouvelles empreintes susceptibles de devenir de nouvelles inductions. Empreinte, induction, réaction, nouvelle empreinte, nouvelle induction, etc., le cycle karmique poursuit sa séquence.

Il y a ainsi une succession d’instants de conscience ou une succession de rêves, chacun induit et conditionné par un facteur karmique. Chaque instant de conscience est la résultante de différentes composantes karmiques dont les interactions et les compositions se perpétuent en longues séries.

Chacun de ces états de conscience, ou de ces instants de rêve, est comme une petite vie, conditionnée par le karma, avec un début et une fin, une naissance et une mort.

Le karma conditionne la conscience à la fois dans son mode et dans tous ses contenus

Il est communément admis, dans une perspective psychologique, que les facteurs subconscients, qui sont en fait des empreintes karmiques, déterminent les contenus oniriques. Mais, dans la perspective du dharma, le karma détermine non seulement le monde onirique et les modalités de son sujet, mais aussi la scission de la conscience qui est le théâtre du rêve. Le karma conditionne ainsi la conscience à la fois dans son mode dualiste et dans tous les contenus de ses expériences.

Ainsi, d’instant en instant, de rêve en rêve, de vie en vie, la conscience transmigre d’état de conscience en état de conscience parmi les différentes modalités que sont les six mondes, avec toute leur variété.

La souffrance

L’exemple du cauchemar suggère la souffrance de la conscience aliénée.

Pour terminer avec cet exemple du rêve, disons quelques mots pour suggérer comment l’illusion de la conscience, son aliénation, peuvent être douloureux. D’abord, l’aliénation de la conscience est son ignorance de la nature de ses propres productions.

Comme nous l’avons dit, dans cette ignorance, elle prend ses propres productions, ses propres projections, pour des choses autres qu’elle-même, et elle leur attribue une réalité indépendante qu’elles n’ont pas. De plus, la conscience s’identifie électivement à certaines de ses productions.

Nous venons de voir que, dans le rêve, le sujet, le moi-ego, s’identifie à un corps onirique et qu’il vit le reste de la situation comme une réalité autonome lui étant extérieure. C’est ainsi que dans un cauchemar, par exemple, le moi du rêveur pourrai se sentir menacé par des ennemis qui voudraient le détruire. La situation sera source de terreur et de grandes souffrances. Mais sa souffrance vient de l’identification de sa conscience au corps onirique et de la réification de ses projections.

C’est en s’identifiant à son corps onirique que la conscience vit douloureusement cette situation paradoxale dans laquelle sa propre projection, l’ennemi auquel elle attribue une réalité extérieure, menace l’existence qu’elle attribue à son corps onirique.

Que pourrait craindre le rêveur qui réaliserait qu’un ennemi projeté par sa conscience se propose de tuer une autre de ses projections : son corps onirique ? Qui pourrait croire qu’une illusion de son esprit puisse détruire une autre illusion de son esprit ? Cette réalisation de l’illusion de la situation la viderait de son caractère traumatique ; elle cesserait d’être cauchemardesque et douloureuse.

La mort de l’ego

La mort de l’ego – fin de Namché, ou réalisation – est la naissance à la vie éternelle, Yéché

Ces considérations sur la conscience et le rêve sont au cœur de notre sujet. En effet, la mort est ma fin ; la fin de moi c’est la fin du moi-ego, la perte de son identité. La compréhension du caractère illusoire du moi-ego, de notre conscience dualiste (Namché), nous fait aussi réaliser le caractère illusoire de la mort de cette individualité moi-ego. Si nous réalisions que l’existence du moi-ego est illusoire, notre mort, qui en est la fin, ne serait plus que la fin d’une illusion !

La mort est traumatique dans la mesure où nous refusons d’y perdre notre identité, dans la mesure où nous croyons exister et ne voulons pas disparaître. En outre, plus nous croirons exister et serons fixés sur notre existence, plus nous mourrons et souffrirons, alors qu’inversement, moins nous y serons fixés, moins nous mourrons et souffrirons. À la limite, celui qui a réalisé qu’il n’existe pas vraiment et qui n’est nullement fixé sur ce qui n’est qu’une illusion, ne mourra et ne souffrira aucunement.

Ceux qui, dans la réalisation spirituelle, meurent à eux-mêmes, meurent à leur ego, ne connaîtront plus la mort (ce qui ne veut pourtant pas dire que leur corps ne disparaîtra pas !). Ils sont immortels, ils naissent à la vie éternelle. Cette mort spirituelle est la mort de la conscience dualiste (Namché), elle est aussi la naissance à la connaissance non dualiste (Yéché).

Yéché et Namché : notre double nature, pure et impure, non dualiste et dualiste

Notre esprit humain participe constamment d’une double nature, pure et impure, réelle et illusoire, non dualiste et dualiste. Cette nature correspond à :

– Celle de Yéché qui est notre réalité profonde. C’est le Pur esprit, la nature de bouddha, au-delà de la mort et de la naissance, sans origine et sans fin. Son expérience est le nirvana. Yéché, dans la tradition tantrique, correspond à l’expérience de la Claire lumière, la luminosité fondamentale de l’esprit.

– Ignorant habituellement la nature de Yéché, cette réalité profonde, nous vivons dans celle de Namché : réalité de surface constituée par les illusions qui recouvrent notre véritable nature. Cette réalité de surface, ou réalité d’apparence, est la succession des états de conscience dualistes qui constituent le samsara. Tout le cheminement spirituel peut se résumer en la transformation ou la transmutation de Namché en Yéché, de la conscience dualiste égotique en l’intelligence primordiale non dualiste.

Le passage de Namché à Yéché est un processus de dépolarisation de la conscience

Dans ce passage de Namché à Yéché, c’est la conscience dualiste qui se déstructure, qui se dissout ; en fait, on pourrait dire qu’elle se dépolarise. En physique, le phénomène électromagnétique peut donner une image de ce processus : lorsqu’on aimante un barreau d’acier, on fait apparaître à ses extrémités un pôle « nord » et un pôle « sud ». Ces deux pôles apparaissent conjointement : l’un ne peut exister sans l’autre. Si, par une opération inverse, on désaimante le barreau, les masses magnétiques des deux pôles diminuent simultanément ; de même, elles ne peuvent qu’augmenter simultanément.

Le processus de dissolution progressive de la conscience et de ses constituants objectifs

Nous avons vu déjà que la conscience est une structure bipolaire sujet-objet, polarisée, dirons-nous, par le karma, et que ces deux pôles sujet-objet n’existent qu’en corrélation, croissent et décroissent simultanément. Plus la polarisation est forte plus le sujet existe et, corrélativement, plus l’objet existe aussi. Inversement, moins la polarisation karmique est forte, moins le sujet existe et, corrélativement, moins l’objet existe.

C’est, à la limite, en l’absence de toute polarisation karmique qu’il n’y aura plus ni sujet ni objet, ce qui est précisément la fin du samsara et l’avènement de Yéché. Cette dépolarisation est décrite dans les enseignements du bardo en terme de dissolution progressive des constituants objectifs de notre monde dualiste et de sa conscience.

C’est ainsi que le bardo du moment de la mort envisage plusieurs phases de dissolution, respectivement des éléments terre, eau, feu, et air, puis de la conscience en la vacuité non dualiste.

Le bardo du moment de la mort (tchika bardo)

L’existence – naissance et mort – dans la perspective cyclique et perpétuelle des bardo

Nous allons maintenant considérer cette mort de l’ego, mort de l’illusion dualiste telle qu’elle est décrite dans le bardo du moment de la mort, le tchika bardo.

Disons d’abord quelques mots pour expliquer la notion de bardo.

Le dharma considère l’existence, naissance et mort, non pas selon une perspective linéaire dans laquelle la vie commence par la naissance et finit à la mort, mais selon une perspective cyclique dans laquelle la mort est nécessaire à la naissance qui la contient en elle-même comme son devenir inéluctable. Dans cette perspective, morts et naissances alternent, constituant le cycle des existences ou l’existence cyclique, le samsara.

Les instants de conscience élémentaires sont le premier niveau d’alternance cyclique

Cette alternance cyclique peut s’appliquer à tous les niveaux de nos expériences ordinaires, à commencer par la succession de nos instants de conscience. La continuité de notre moi-ego est une série d’instants de conscience élémentaires qui, dans une succession rapide, donne l’illusion d’une existence continue à laquelle nous nous identifions. Ce déroulement d’instants de conscience pourrait être comparé aux images d’un film qui, dans leur défilement rapide, produisent l’apparence d’une continuité. Fondamentalement, le passage d’un instant de conscience au suivant est, au niveau élémentaire, le passage d’une existence à la suivante, d’une vie à une autre vie. Ce sont des alternances d’expérience de Namché suivie d’une dissolution en Yéché et d’une réapparition de Namché.

Ces alternances, ce processus de transition sont, au sens large, la notion de bardo. Bar signifie « entre » et do signifie « deux ». Un bardo est donc un « entre-deux », une transition entre deux états. Notre existence est un mouvement constant, une transition perpétuelle. Nous venons de quelque part et nous nous acheminons vers un ailleurs ; nous sommes toujours entre deux, en devenir.

La résorption, du grossier au subtil, des éléments objectifs et de la conscience subjective

Nous avons évoqué précédemment le moment de la mort comme la dissolution des différents principes : terre, eau, feu, air, qui sont les éléments constitutifs des apparences phénoménales et de la solidité de notre monde objectif, puis la dissolution de la conscience individuelle. Les résorptions des éléments objectifs et de la conscience subjective ne sont pas envisagées de façons concomitantes, ce qui correspondrait à des dépolarisations simultanées (une telle séquence synchrone est quelquefois décrite dans les textes traditionnels, mais ce n’est pas la plus fréquente), mais plutôt selon une progression des éléments les plus grossiers vers les plus subtils.

Correspondance entre phases de résorption des éléments et expériences du tchika bardo

C’est ainsi que, d’abord, l’élément terre se dissout dans l’élément eau, puis l’eau dans le feu et le feu dans l’air. À chacune de ces phases correspondent différentes expériences que l’on appelle les expériences du bardo du moment de la mort : impression d’être pesant, de perdre pied, d’être englouti, d’être emporté, impressions de grondements, etc. Ce sont certaines de ces expériences qui ont été récemment mises en rapport avec les expériences d’imminence de la mort (E.M.I.). De telles expériences ont été recensées et analysées dans différents travaux américains et français.

Expériences des trois lumières et dissolution de la conscience individuelle en la vacuité

Ensuite, viennent successivement les expériences des « trois lumières »; ce sont les étapes dites de « la luminosité » (tib. : nangoua, écrit : snang ba), de « l’expansion » (tib. : tchépa, écrit : mched pa) et de « l’obtention » (tib. : tobpa, écrit : thob pa). Elles correspondent à la dissolution de la conscience individuelle en la vacuité.

Nangoua est l’expérience d’une luminosité blanche comparable à celle du clair de lune

Le nom de cette première phase, nangoua, signifie clarté ou luminosité, ou encore apparence.

Elle est caractérisée par une apparence claire qu’on appelle la « vision blanche » (karlam) ou « blancheur », c’est l’expérience d’une luminosité blanche comparable à celle du clair de lune.

Tchépa est l’expansion de l’expérience de clarté, une vision comme la lumière du soleil

Le nom de la deuxième étape, tché-pa, signifie expansion ou intensification : l’expérience de dissolution se poursuit et la luminosité s’intensifie avec l’accroissement de l’expérience de clarté. Elle est décrite comme une vision, rougeoyante ou dorée, que l’on appelle marlam, comme la lumière du soleil !

Thobpa, fin de la dissolution, est d’abord comme un moment d’obscurité, d’inconscience

Ensuite vient thob-pa, qui signifie littéralement obtention. C’est l’étape finale de la dissolution : une expérience au-delà des luminosités lunaire et solaire. Durant celle-ci, l’énergie de l’esprit, son souffle, le prana, ne demeure plus que dans le cœur. L’expérience de Namché, de la conscience dualiste et de ses projections, s’interrompt. Cette interruption est d’abord comme un moment d’obscurité, une sorte de black-out. Tout se passe comme si, à un certain moment, on préférait s’évanouir plutôt que de reconnaître Yéché, la Claire lumière fondamentale. Cet évanouissement constituera, pour une personne ordinaire, le point final du processus de résorption et du bardo du moment de la mort.

Si thobpa est reconnue comme luminosité fondamentale, Claire lumière, c’est la libération

Pour un yogi, ou une yogini, entraînés, cet état d’inconscience ne dure pas. Plutôt que cette phase d’obscurité, ils font l’expérience de la Claire lumière ; l’obscurité se fond dans ce qu’on appelle la « luminosité fondamentale » (tib. : Chi eussel, écrit : gzhi ‘od gsal). C’est l’expérience de Yéché, de la luminosité ou de la lucidité non dualiste de l’esprit d’un Bouddha. Un yogi, ou une yogini, peu entraîné peut faire l’expérience fugitive de cette Claire lumière, puis la perdre, si l’on peut dire. Seuls ceux qui en ont déjà eu de leur vivant une réalisation stable peuvent s’y unir et obtenir la délivrance finale. Dans ce cas, l’expérience de luminosité que le yogi a faite dans sa vie, que l’on appelle la Claire lumière-fille ou la Claire lumière de méditation, se fond ou s’immerge dans la Claire lumière-mère : la Claire lumière fondamentale.

Celle-ci, pleinement reconnue et réalisée, le cercle des conditionnements de la conscience est brisé, le cycle est dénoué : c’est la fin du samsara. Dans ce cas, celui d’un être qui a la réalisation pleine et totale, qui est arrivé à l’épuisement des tendances karmiques, cette dissolution est l’extinction finale de l’individualité, le nirvana.

Ce processus de dissolution s’appelle en tibétain Lhènkyé kyi nang-oua soum, « les trois luminosités (de l’intelligence primordiale) innée ». Leur manifestation est naturelle, inhérente à la structure même de la conscience et, en ce sens, universel.

Sinon la conscience renaît par coagulation, processus symétrique de celui de dissolution

Dans tous les autres cas, ceux des yogis, ou des yoginis, peu entraînés ou des personnes ordinaires, l’expérience de la Claire lumière est passagère, extrêmement fugitive ou pratiquement imperceptible.

Après la phase d’inconscience qui s’y substitue et qui dure le temps du tcheunyid bardo, le bardo de la nature fondamentale, il y a un renouveau de la conscience. C’est alors que se manifeste, symétrique par rapport au processus de dissolution, un processus de solidification ou de coagulation qui est décrit suivant trois étapes qui portent le même nom que celles du processus de dissolution : nang, tché, thob, et qui sont leur répétition en sens inverse. Ce sont les « trois apparences constitutives de la fixation dualiste de l’ego » (dan dzinn gui nangoua soum). Elles correspondent à une reprise de conscience et à l’entrée dans le sipa-bardo.

Le bardo du devenir achemine la conscience vers le kyéchi bardo ou grande renaissance

Il y a encore, au sein de celui-ci, une succession de petites morts et de petites naissances, de pertes de conscience et de renouveaux de celle-ci, qui achemine la conscience vers une grande renaissance qui correspond à l’entrée dans le bardo de la naissance à la mort, le kyéchi bardo.

Morts et naissances : le cycle des vies

A différents niveaux, il y a ce va-et-vient constant entre Namché et Yéché

Le passage de Namché à Yéché puis de nouveau à Namché, la composition puis la décomposition de la conscience se répète constamment. Nous mourons et naissons constamment. Il y a sans cesse une alternance : dissolution puis coagulation, coagulation puis dissolution, succession incessante de moments de conscience dualiste et d’intelligence fondamentale. Cette alternance cyclique se poursuit et se répète de vies en vies, de morts en morts, de bardo en bardo, de transitions en transitions. Il y a ce va-et-vient constant entre Namché et Yéché, entre les illusions du samsara et la Claire lumière.

Il y a transmigration tant que n’est pas réalisée l’ultime vacuité, la mort spirituelle, Yéché

Namché, la conscience dualiste apparaît à l’existence et disparaît sans cesse à différents niveaux : avec chaque pensée, à chaque instant de conscience, dans l’endormissement, dans l’évanouissement, dans l’orgasme, au moment de la mort, et aussi au niveau le plus profond, le seul qui soit définitif, car il correspond à l’épuisement de tous les facteurs karmiques inducteurs de ces états de conscience: dans la mort spirituelle qui est la fin de l’ego et de la dualité, dans la réalisation de l’ultime vacuité. Aussi longtemps que nous ne l’avons pas réalisée, nous mourons et naissons, transmigrons constamment.

L’immortalité

L’immortalité est l’inexistence de la mort dans le Pur esprit, la non-dualité

Il résulte de ce que nous avons dit précédemment que l’immortalité n’est pas celle d’une âme ou d’un ego. Pourtant, la réalisation spirituelle ultime est l’accession à l’immortalité.

Cette réalisation spirituelle ultime est, comme nous l’avons dit, la mort de l’ego et de la dualité, proposition qui a pour corolaire qu’au-delà de l’ego et de la conscience dualiste, la mort n’existe plus. L’immortalité est cette inexistence de la mort dans le Pur esprit.

L’immortalité n’est pas la perpétuation d’une individualité, mais le passage hors du temps

L’immortalité n’est nullement la perpétuation d’une individualité, elle est le passage au-delà du temps, hors du temps. Temps et espace sont les deux références fondamentales de la conscience dualiste, elle se situe toujours par rapport à eux. L’existence temporelle est, en fait, caractéristique de la conscience dualiste. Le temps commence avec la dualité, avec la ronde du samsara. Cette ronde est une « valse à trois temps » : passé, présent et futur. Hors du samsara est un quatrième temps qui n’est pas un temps qui s’ajouterait aux trois précédents.

Ce non-temps est l’atemporalité, l’intemporalité, le temps de l’équanimité, éternel présent

Ce n’est d’ailleurs plus vraiment un temps, mais plutôt un non-temps. Ce quatrième temps est l’atemporalité, ou l’intemporalité. Ce temps s’appelle en tibétain nyam nyi gui tu (écrit : mnyam nyid kyi dus), le temps de l’équanimité ; c’est aussi l’éternel présent. L’éternité n’est aucunement la perpétuité, une durée infinie, mais bien plutôt la sortie hors du temps et de la durée. Cette transcendance du temps et la sortie des repères dualistes, expérience de la non-dualité (Yéché) sont concomitants.

La réalisation de Yéché est illustrée par l’arbre Changpa-kagyu de la réalisation

Ainsi, la réalisation de Yéché est la vie éternelle, l’immortalité.

Pour illustrer ceci, voici un court texte qui fut composé au quinzième siècle par Thang-Tong Gyèlpo, un mahasiddha de la lignée Changpa-kagyu. Les pratiquants le connaissent bien car il est aussi l’auteur du texte de la méditation de Tchenrézi que nous utilisons tous les soirs. Ce texte est un chant, un chant spontané de réalisation, ce qu’on appelle dans la littérature bouddhique un doha. Il traite de l’immortalité sans illusion (Tchi mé tchou mé), c’est un enseignement particulier de cette lignée Changpa-kagyu. Celle-ci présente un ensemble d’enseignements dont la complémentarité est illustrée par l’image d’un arbre : l’arbre de la réalisation. Il a six racines qui sont les six doctrines de Nigouma, six types d’exercices yogiques ; son tronc est la pratique du mahamudra, ses trois branches sont trois types de pratiques pour intégrer l’expérience du mahamudra ou de la non-dualité dans le quotidien. Il a deux fleurs, deux types de dakinı, blanche et rouge, deux formes spéciales de méditation, et un fruit, la réalisation de l’immortalité sans illusion dans les Trois corps du bouddha. Cette triade immaculée que nous avons évoquée précédemment, l’unification du sujet, de l’objet et de l’acte, correspond au niveau pur aux Trois corps du bouddha, qui sont comme les trois facettes de la non-dualité.

Voici donc ce chant-Vajra dit « De l’immortalité spontanément libre », de Thang Tong Gyelpo.

Le doha « De l’immensité spontanément libre », chant du Mahamudra

La mort est une apparence, car le corps et l’esprit sont spontanément libres et immortels

Avec le corps, la parole et l’esprit,
J’adresse ma prière au vénérable Lama Bouddha.
La mort est une apparence, un concept,
Elle n’a pas d’existence en elle-même
En l’ultime état naturel de l’esprit.
Le corps et l’esprit sur lesquels la mort est conceptualisée
Sont spontanément libres et immortels,
C’est le Mahamudra.
Le corps (seul) est un cadavre inanimé qui ne saurait mourir.

La mort de l’esprit est comme la mort d’un rêve, le Pur-esprit est le corps de la divinité…

Quant aux habitudes mentales (qui le constituent comme individu),
Leur mort est comme la mort d’un rêve.
Le Pur-esprit irradiant en lui-même est le corps de la divinité,
Une luminosité vide, l’absence de toute fixation,
Tout comme l’expérience de la lune dans l’eau.

… dont l’essence est vacuité en laquelle toute apparence est le jeu d’une lucidité …

Son mode d’être essentiel est vacuité,
Liberté vis-à-vis de toutes les catégories du mental ;
Il n’y est ni maladie, ni mort, ni samsara, ni nirvana.
Ceux-ci ne sont que les manifestations illusoires
De notre esprit individuel.
(Sache que) les apparences qu’il manifeste sont (fondamentalement)
Celles d’une lucidité qui n’a pas de fin.

… infinie, incréée, immortelle : l’intelligence fondamentale, la merveille des merveilles !

Infinie et incréée, elle se confond avec l’immensité de la vacuité
Sans origine, sans fin et sans localisation spatiale,
Elle est immortelle,
C’est l’intelligence fondamentale (Yéché).
La merveille des merveilles !

Méditer en l’état naturel et l’intégrer jusqu’à la réalisation des trois Corps du Bouddha

Demeure en l’état en lequel il n’est de fixation sur aucune expérience.
Médite en l’intégrant à toute activité.
Pour celui qui s’y sera entraîné longuement,
La mort se dissoudra dans le Corps absolu du Bouddha.
Il réalisera dans l’état de bardo son Corps d’expérience éveillée,
Et par son Corps d’émanation, il guidera les êtres.
Que ceux qui ont la bonne fortune de pouvoir le faire pratiquent ainsi !

Questions-Réponses

De vie en vie il y a continuité de conscience, processus illusoire qui ne cesse qu’avec Yéché

  • Question : Dans votre conférence se pose le problème de l’âme. Quelle est l’évolution de l’âme et son rapport avec la notion de transmigration, dans le bouddhisme ?

– Lama Denis Teundroup :

Dans le bouddhisme, on ne parle pas d’âme. Il y a Namché, « la conscience ». Namché est l’élément qui transmigre de naissance en naissance et qui garde donc une certaine individualité, ou plutôt qui donne l’apparence d’une certaine individualité. Cependant, l’existence de cette conscience individuelle est relative et demeure, au niveau ultime, illusoire. Cette conscience n’a pas d’existence inhérente et autonome, elle n’a pas un caractère monolithique et n’a jamais d’existence éternelle.

Il y a de vie en vie continuité de conscience, mais c’est la continuité d’un processus illusoire, qui se perpétue aussi longtemps que tourne le cycle des conditionnements du samsara. Au moment de l’éveil, l’illusion de la conscience individuelle cesse de se perpétuer. Tous les facteurs qui la constituaient se libèrent, les différents maillons qui formaient la chaîne de ses conditionnements se désagrègent et, par delà cette conscience individuelle, se révèle l’expérience de Yéché, la Claire lumière supra-individuelle et non dualiste. C’est l’expérience du Pur esprit, la délivrance.

Chercher l’origine première et de la fin dernière des choses ne fait pas obtenir l’éveil

  • Aux yeux du bouddhiste, d’où vient le monde et où va le monde ?

– Les écoles bouddhistes ont donné différentes réponses à cette question. La première, qui est la plus simple, est de dire que c’est un faux problème. C’est une des questions que le Bouddha a tenues à l’écart, car, a-t-il dit, se préoccuper de l’origine première et de la fin dernière des choses n’est pas ce qui fait obtenir l’éveil et la libération ; les philosophes et métaphysiciens préoccupés de ce genre de considérations risquent fort de mourir avant d’avoir trouvé la réponse et, à plus forte raison, l’éveil, ce qui est d’autant plus regrettable que cet éveil est en vérité la seule réponse fondamentale à ces questions.

Il y eut, bien sûr, d’autres réponses, tant au niveau relatif qu’au niveau ultime.

Au niveau relatif, le samsara peut être dit sans origine et sans fin

Au niveau relatif, le samsara, le monde conditionné, peut être dit sans origine et sans fin, il fonctionne selon des cycles qui s’engendrent indéfiniment. Le problème de l’origine de tels cycles est lui aussi un faux problème, illustré traditionnellement par cette question :

– Qui est venu en premier, la poule ou l’œuf ?

ou, transposé dans notre contexte bouddhiste :

– Qu’est-ce qui est apparu en premier, le karma ou ses productions ?

En fait, l’ignorance : l’absence de connaissance de la vérité ultime, expose aux conditionnements karmiques qui induisent des états de conscience. Ces différents états d’existence induisent à leur tour de nouveaux conditionnements karmiques et le cycle se perpétue, aussi longtemps que l’éveil ne vient pas le rompre.

Au niveau ultime, il y a une origine et une fin du monde conditionné en la Claire lumière

Au niveau ultime maintenant, on peut dire qu’il y a une origine et une fin du monde conditionné ou du samsara en la Claire lumière qui demeure dans ce qu’on a appelé le « temps de l’équanimité », l’éternel présent ou le présent intemporel. C’est le mode d’être des éveillés. Cette Claire lumière est à la source des choses et ce en quoi se dissout leur manifestation. Elle est l’origine première et la fin dernière du monde manifesté dont nous faisons l’expérience. Cette origine et cette fin sont intemporelles, éternelles.

Le bodhisattva éveillé renonce au nirvana pour guider les êtres hors du samsara

  • Si l’on obtient la réalisation absolue, a-t-on, après la mort, la possibilité de mieux aider les êtres ?

-C’est un point très important. Dans le bouddhisme Mahayana, l’éveil est la sortie des existences conditionnées, mais un être éveillé ne reste pas dans un état de quiétude, fût-il béatifique : il accomplit l’idéal du bodhisattva, il réalise alors le vœu de bodhisattva qu’il avait pris en tant que pratiquant.

Celui qui prend ce vœu de bodhisattva souhaite ne pas entrer dans l’état de nirvana aussi longtemps qu’il restera des êtres qui souffrent, en proie aux illusions et aux souffrances du monde conditionné. Il accomplira donc le bien de tous ces êtres en les guidant vers l’au-delà de leurs illusions et de leurs souffrances.

Un être éveillé a la capacité d’œuvrer pour le bien des êtres au travers d’émanations

Un être qui arrive à cette réalisation est libéré des illusions, des conditionnements qui nous enchaînent actuellement. Dans l’éveil, il réalise toutes les qualités du Pur-esprit, les qualités de Bouddha. Elles lui confèrent la capacité d’œuvrer pour le bien des êtres d’une façon qui n’a aucune commune mesure avec ce que nous pouvons faire dans notre état ordinaire. Un être éveillé a la capacité d’œuvrer au travers de ce qu’on appelle des émanations : son activité peut manifester en n’importe quel lieu ou circonstance l’émanation adéquate qui répondra aux besoins des êtres de cet état d’existence à ce moment donné.

Ces êtres éveillés sont des bodhisattvas au niveau le plus profond, ils reviennent, ou restent, dans le monde manifesté sans être conditionnés par ses limitations. Leur manifestation se poursuit perpétuellement aussi longtemps qu’il y a des êtres qui souffrent.

Ces œuvres perpétuelles sont l’œuvre la plus parfaite des bodhisattvas accomplis

De telles œuvres perpétuelles ne sont aucunement une limitation pour ceux qui vivent dans l’éternité. Elles sont même au contraire l’œuvre la plus parfaite en laquelle ils réunissent l’éternel et le temporel. Tout en étant pleinement et parfaitement éveillés, au-delà des délimitations de toute manifestation, ces bodhisattvas œuvrent ainsi au niveau manifesté, accomplissant le grand idéal du Mahayana.

Orienter les prières vers les bouddhas, éveillés, grands saints, en tant qu’aspects de l’éveil

  • Nous avons l’habitude d’invoquer les morts et de leur demander de nous aider. Cela a-t-il une utilité#233; ?

-L’invocation de morts, c’est du spiritisme ?

  • Non, pas dans ce sens-là, mais dans le sens de la prière ?

-Un bouddhiste ne priera en aucune façon un mort ordinaire pour la bonne raison que ce mort n’a pas la capacité d’aider, étant lui-même encore prisonnier du cycle des existences. Les prières sont donc orientées vers le Bouddha, les êtres éveillés, et les grands saints.

Un grand saint qui a atteint l’éveil est un bouddha qui perpétue une activité éveillée en tant que bodhisattva. Il est possible et fréquent d’adresser des prières à de tels saints, mais ils sont alors un aspect de l’éveil, un Corps d’émanation, un nirmanakaya du Bouddha. Tous ces saints, bodhisattva-nirmanakaya, participent à la nature de bouddha et au dharmakaya, le Corps essentiel, sans forme, de l’éveil. C’est par l’entremise de l’apparence que fut leur forme physique, et du souvenir que nous en avons, que nous dirigeons nos prières vers eux, et, au travers d’eux, nous pouvons nous ouvrir à l’influence spirituelle de ce Corps informel qui est l’essence de l’état de bouddha.

Adresser des prières aux éveillés tout en sachant qu’on s’adresse au Corps essentiel

Si un saint est connu pour sa vie exemplaire et si celle-ci est particulièrement parlante pour nous, nous pourrons développer une sympathie profonde envers lui. Si nous ressentons une telle affinité avec un être éveillé, que ce soit Milarépa, Marpa, Gampopa ou Gourou Rinpoché, par exemple, il est juste et il est bon de lui adresser nos prières, tout en sachant bien qu’on ne s’adresse pas à une personne individuelle, mais à la vérité ultime.

Pouvoir approcher la mort lucidement et sereinement est très important

  • Que pensez-vous de l’euthanasie ?

-C’est un problème difficile et complexe. L’euthanasie peut être active ou passive.

Il est certain que le premier des actes négatifs du corps est de tuer, ou plus précisément de prendre la vie. Le problème est de savoir ce qu’est une intervention qui prend la vie ou une absence d’intervention qui l’amène à son terme. C’est un problème extrêmement délicat, particulièrement aujourd’hui où les techniques modernes peuvent maintenir la vie de façon tout à fait artificielle. D’une façon générale, nous considérons comme très important de pouvoir approcher la mort le plus sereinement possible. En effet, lorsqu’on s’est préparé à la mort, la discipline spirituelle que l’on a acquise de son vivant est mieux utilisée dans la lucidité.

L’euthanasie passive est d’éviter l’acharnement thérapeutique rendant la mort invivable

Donc, lorsque l’échéance est inéluctable, mieux vaudrait y faire face lucidement que s’acharner à la différer artificiellement en compromettant la possibilité d’une mort lucide. Pour ceux qui y sont prêts, on encouragera donc ce qui favorise une telle mort lucide, et on découragera ce qui serait susceptible d’y faire obstacle. Éviter l’acharnement thérapeutique qui rend la mort invivable n’est pas, d’un point de vue bouddhiste, un problème. Si c’est ce que l’on entend aussi par euthanasie passive, ce n’est pas non plus un problème. Car n’est-ce pas alors tout simplement accepter la réalité de l’échéance inéluctable et aussi choisir de la vivre le mieux possible ?

L’euthanasie active est, karmiquement, une forme de suicide ou une façon de tuer

L’euthanasie active me semble fort différente. En effet, les souffrances de la maladie ou de l’agonie sont le résultat de notre karma ; si l’on y met fin soi-même, c’est une forme de suicide, et si on le fait pour quelqu’un d’autre, c’est une façon de tuer. Ces actes qui prennent la vie créent de nouveau du karma négatif, source de nouvelles souffrances. Ce ne sont donc aucunement des moyens d’éviter de la souffrance. On rejettera donc aussi bien le suicide que toutes les façons de tuer.

Domaine frontière, l’euthanasie implique respect de la vie, vraie compassion, non-violence

Mais, bien évidemment, c’est un domaine frontière où l’évaluation pratique des critères et des cas particuliers est fort difficile.

Un bouddhiste pourrait, je crois, être guidé par le respect de la vie, une véritable compassion et une attitude fondamentale de non-agressivité.

Le suicide n’est jamais un moyen d’échapper à la souffrance, mais un acte qui l’amplifie

  • Qu’en est-il plus particulièrement du suicide d’un point de vue bouddhiste ?

– Se suicider, c’est tenter de mettre un terme à des souffrances intolérables. Ces souffrances ont leur origine dans notre karma personnel, dans les tendances négatives dont l’esprit du candidat au suicide est imprégné et qui font que cette personne est dans une situation douloureuse, d’une intensité telle qu’elle voudrait y échapper par la mort. Mais le suicide n’est jamais un moyen d’échapper à la souffrance ; bien au contraire, c’est un acte qui l’amplifie.

En effet, par delà la mort, il y a une continuité d’expériences dans le bardo puis dans une renaissance. On ne peut pas échapper au karma qui est dans l’esprit qui transmigre. Ce n’est pas en éliminant la vie du corps qu’on peut y échapper. De plus, celui qui se suicide rajoute, au karma négatif qui l’a amené à cet extrême de souffrance, le karma négatif du suicide qui est une forme de meurtre.

Le suicide, forme extrême d’auto-agressivité, est karmiquement le pire des actes

Le suicide est la forme extrême de l’auto agressivité. Les conséquences karmiques de cet acte précipitent la personne qui le commet dans une souffrance encore bien plus grande et intense que celle à laquelle elle voudrait échapper ! Ce n’est évidemment pas une solution, c’est même la pire des choses que l’on puisse faire.

Il est toujours possible de dissiper les causes karmiques de la souffrance, même extrême

Par contre, même dans la souffrance la plus extrême, il y a toujours la possibilité d’une solution. Il est toujours possible de dissiper et d’éliminer les causes karmiques de la souffrance. Par la pratique du dharma, il est possible de comprendre les causes véritables de cette souffrance, de commencer à travailler dessus et finalement de s’en libérer.

Les morts subites, accidentelles sont néfastes, pouvant surprendre en n’importe quel état

  • Je crois savoir que dans le bouddhisme, il arrive que l’on prie pour ne pas avoir une mort subite, pourquoi cela ?

– Dans le bouddhisme, on prie, on fait le souhait de ne pas avoir une mort subite, pour pouvoir mourir lucidement en appliquant la préparation que l’on a développée dans la pratique.

Si l’on meurt de façon subite, on peut être pris dans n’importe quel état de conscience, ou dans n’importe quelle passion. Or, l’attitude d’esprit que l’on a au moment de la mort est déterminante pour l’évolution post mortem et pour la renaissance. D’un certain point de vue, on considère même que c’est la dernière pensée avant la mort qui détermine l’évolution ultérieure. De ce fait, il est très important de mourir dans un état d’esprit positif, libre de passions, d’attachements, et d’éviter les morts accidentelles qui pourraient nous surprendre en n’importe quel état.

Le soutien au mourant : une présence ouverte, solide, une attitude honnête, bienveillante

  • Que faire pour aider quelqu’un qui meurt ou qui vient de mourir ?

– Auprès d’un mourant, une présence ouverte et solide, une attitude honnête, bienveillante et franche, sont pour lui un point d’appui et un soutien très important. C’est l’attitude générale et fondamentale à avoir avec un mourant.

Autrement, votre aide dépend beaucoup de votre qualification et de celle du mourant. Si c’est quelqu’un qui a une pratique spirituelle ou, mieux encore, si c’est un frère du dharma, on peut lui remémorer sa pratique, le guider, l’aider directement.

On peut toujours aider tout mourant par des prières ou récitations de mantra

Il y a différentes pratiques qui peuvent aider au moment de la mort, particulièrement la méditation de Tchènrézi. La pratique de powa, pratique du transfert de la conscience, est aussi l’une de celles-ci. C’est une pratique que l’on peut faire soi-même au moment de la mort lorsqu’on s’y est entraîné de son vivant. Dans certains cas, la pratique peut être faite par quelqu’un d’autre.

Mais même si le mourant est quelqu’un qui n’a aucune pratique spirituelle, on peut toujours l’aider par des prières ou la récitation de mantra.

Un mantra récité à l’oreille d’un mourant ou même à l’oreille de quelqu’un qui vient de mourir établit une connexion spirituelle positive qui sera un élément favorable pour son évolution posthume, même si celui qui y est exposé est déjà cliniquement mort.

Le mantra de Tchènrézi, Bouddha de la compassion, est le meilleur et le plus simple

  • Quel mantra ?

– Aum mani pémé houng, est le meilleur et le plus simple. C’est le mantra de Tchenrézi, le Bouddha de la compassion. Un mantra n’est pas une formule magique, il a d’autant plus d’énergie et de pouvoir qu’il est animé par la compassion et par l’esprit de celui qui le récite. Il aura aussi d’autant plus de force qu’il sera récité par quelqu’un qui a une véritable réalisation spirituelle. Néanmoins, même au niveau le plus extérieur, réciter de tels mantra est utile. Les bouddhistes le font même pour des insectes ou d’autres animaux qui viennent de mourir.

On peut aider aussi par des prières, celles que l’on connaît, le mantra pouvant être considéré d’ailleurs comme la forme la plus simple de la prière. Les prières et les souhaits que l’on fait pour un défunt lui transfèrent une énergie spirituelle positive. On fera souvent, en particulier, la prière de Déouatchène.

La dédicace au défunt de tout ce que l’on peut faire de positif, peut l’aider véritablement

Tout ce que l’on peut faire de positif : offrandes, rituel, actions vertueuses quelles qu’elles soient, peut être dirigé vers le défunt par une dédicace, et peut l’aider véritablement. Cette possibilité de transfert et l’efficacité d’une telle dédicace dépendent de la réceptivité de la personne, de son karma, ainsi que de la force et de la sincérité de la dédicace, c’est-à-dire en grande partie de l’état d’esprit et de la motivation de celui qui fait ces pratiques. La réceptivité dépend, entre autres choses, de la relation spirituelle ou du lien temporel qui a existé et existe entre le défunt et celui ou ceux qui font ces pratiques pour lui.

Ainsi, les personnes proches de celle qui vient de mourir, qui avaient avec elle une connexion spécifique, peuvent l’aider plus particulièrement.

Importance de la qualité des officiants de rites funéraires porteurs d’influence spirituelle

Il y a aussi des rites funéraires, qui sont basés sur une science de l’esprit très élaborée et mettent en œuvre une influence spirituelle qui peut aider le défunt. Ces rites peuvent libérer son esprit des attachements à l’existence qu’il quitte, et l’orienter vers un devenir posthume favorable. Le défunt peut avoir une expérience de ce qui se passe, du rite effectué à son intention. La qualité des officiants est très importante, car un rite funéraire fait de façon négligente, par des officiants distraits ou dont l’esprit est empreint de passions, peut être perçu comme tel par le mort, celui-ci s’en offusquera et développera des réactions d’agressivité qui lui nuiront.

Des rites funéraires comme le Bardo Theudreul, les pratiques du Livre des morts tibétain, se font jusqu’à quarante-neuf jours après le décès, période correspondant à la durée maximale du bardo.

Après cette période, on considère qu’il est difficile de faire quoi que ce soit.

Pour l’évolution du défunt, le plus important est notre attitude d’esprit compassionnée

  • La récitation d’un mantra est une technique bouddhiste. Si la personne qui vient de mourir est athée, a-t-on le droit de réciter un mantra bouddhique ?

– On en a tout à fait le droit, le plus important est une attitude d’esprit positive d’amour et de compassion. Le défunt peut percevoir cette attitude, elle peut éveiller en lui un état d’esprit favorable et le diriger vers une évolution positive, sans parler du pouvoir spirituel inhérent à la récitation du mantra. Si la personne qui vient de mourir perçoit dans le bardo un geste positif qui est fait pour elle, cela éveillera en elle un état d’esprit positif et lui sera utile.

Voir la transmigration comme continuité d’un courant immatériel d’énergie karmique

  • La réincarnation est-elle possible dans des esprits animaux ou inférieurs ?

– Le bouddhisme envisage six états de conscience. La condition animale est un état de conscience particulier, dans lequel la transmigration est possible. Il est caractérisé par l’opacité mentale, la bêtise. Mais il est important de ne pas l’envisager d’une façon matérielle. Vous ne devenez pas une fourmi !

Disons qu’il peut y avoir continuité d’un courant d’énergie karmique qui place l’esprit dans une condition de type animal.

Erreur énorme : manquer de la compréhension des deux ordres de vérité, ultime et relative

  • Quelles sont les relations du bien, du mal, du karma et de la vacuité ?

– C’est une question très importante. Une erreur énorme, quand on envisage la vacuité, est de se dire : « Puisque tout est vide et que bien et mal ne sont aussi que des concepts, peu importe ce qui est fait ». Il y a là un manque de compréhension des deux ordres de vérité, la vérité ultime et la vérité relative. La vérité ultime est au-delà de toute polarité, fût-ce celle des notions de bien et de mal, certes. Mais, aujourd’hui, nous sommes dans la vérité relative, dans la dualité, nous existons et, aussi longtemps qu’il en sera ainsi, nous serons soumis à la loi de causalité karmique, à ses conditionnements. Dans cette perspective, il y a des actes positifs et des actes négatifs, des actes adroits ou maladroits, des actes sains ou malsains.

Le positif peut être défini de différentes façons, mais, fondamentalement, est positif ce qui va dans le sens de l’éveil, dans le sens du déconditionnement et du dépassement des aliénations de l’ego et des passions.

Le négatif, à l’inverse, est ce qui nous renforce dans notre individualité, notre moi, et qui renforce les passions, attractions, aversions …

Le positif conduit à la santé et, au bonheur ultime de l’éveil, le négatif amène des états d’existence malsains et douloureux. C’est la loi du karma.

Prudence en ce qui concerne les souvenirs de vies antérieures !

  • Comment doit-on considérer les souvenirs de vies antérieures ?

– En ce qui concerne les souvenirs de vies antérieures que prétendent avoir les êtres ordinaires, le bouddhisme demeure très réservé. Les cas sont loin d’être rares. Il n’est pas possible de distinguer ce qui peut être authentique dans ces réminiscences, de la pure affabulation ou hallucination.

Ce qui importe, c’est ce que nous faisons de notre existence actuelle

Dans le doute, mieux vaut traiter ce genre de phénomènes comme des projections illusoires, ce qui évite de délirer et de se fixer sur ces expériences avec tous les problèmes qui en découlent. D’ailleurs, ce ne sont pas tant nos existences antérieures qui importent, mais ce que nous faisons de celle que nous avons actuellement.

Nous avons une part de liberté plus ou moins grande en fonction de notre karma

  • Quelle est la place laissée à la liberté ; reste-t-il une liberté à l’homme, étant donné qu’il est conditionné par le karma ?

– La situation dans laquelle nous sommes présentement est la résultante des facteurs karmiques venant de nos actes antérieurs. La façon dont nous agissons aujourd’hui va déterminer à son tour notre évolution ultérieure, mais, dans le moment présent, il y a une part de liberté, plus ou moins grande en fonction du poids de notre karma.

Confondre karma avec fatalisme et déterminisme est une incompréhension complète

On a toujours une certaine liberté dans l’instant présent. On confond très souvent le karma avec une sorte de fatalisme, de déterminisme, ce qui est une incompréhension complète. Nous sommes conditionnés, bien sûr, mais surtout nous avons, dans le moment présent, une part de liberté : nous avons la liberté de choisir et ce choix est déterminant pour l’avenir. Un exemple qui, je crois, illustre bien cela est celui du jeu d’échecs : vous êtes au milieu d’une partie, la situation de l’échiquier au moment présent est le résultat des coups antérieurs, des actes, du karma. Le coup que vous allez jouer va déterminer l’évolution ultérieure de la partie, mais vous avez, dans l’instant présent, une certaine liberté de choix. Si vous utilisez cette liberté adroitement, l’issue de la partie sera favorable, et inversement. Donc, le présent est conditionné par le passé, mais il y a une liberté dans le présent et l’usage de celle-ci détermine à son tour le futur.

D’une vie à une autre, ce qui se perpétue et se transmet n’est ni le même ni autre

  • Qu’est-ce qui se transmet d’une vie à une autre ?

– Il y a une sorte de flot, de courant karmique et de conscience qui se perpétue et se transmet d’une vie à une autre gardant une certaine individualité tout en n’étant ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre.

Il y a continuité de l’illusion de la conscience tant qu’il n’y a pas la réalisation spirituelle

La transmigration est fondamentalement celle d’une illusion, celle de la conscience individuelle qui se perpétue en de longues séries dans les récurrences du cycle des existences, le samsara.

Il y a en fait continuité de l’illusion de la conscience aussi longtemps que cette illusion n’est pas dissoute par la réalisation spirituelle, par l’éveil.

 

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