Le premier enseignement du Bouddha

Le premier enseignement du Bouddha

Kyabdjé Kalou Rinpoché

L’enseignement sur les quatre nobles vérités

Il y a deux mille cinq cents ans, après avoir atteint l’illumination à Bodhgaya, en Inde, le Bouddha souhaita apporter à tous les êtres sensibles les enseignements que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de dharma du Bouddha, afin de les conduire à la libération. Mais il comprit que même s’il leur présentait ces enseignements si profonds, ils n’en tireraient que peu de profit, car peu d’êtres écouteraient et accepteraient ce qu’il leur dirait. En fait, s’apercevant que les gens n’étaient pas aptes à recevoir le nectar des enseignements du dharma, le Bouddha choisit tout d’abord de ne rien enseigner et alla dans la forêt pour se recueillir et méditer en solitaire. Pendant trois semaines, il demeura absorbé dans l’expérience de l’éveil et ne donna aucun enseignement. C’est alors que deux des plus grands dieux du royaume du samsara, Indra et Brahma, vinrent à lui. Indra lui offrit une grande conque blanche et Brahma, une roue en or à mille rayons. Ces présents symbolisaient la mise en mouvement de la roue du dharma et représentaient une requête sincère au Bouddha afin qu’il voulût bien dispenser les enseignements pour le bien de tous les êtres. En réponse, le Bouddha, quittant la forêt, se rendit en un lieu appelé le Parc des Gazelles, à Sarnath, près de Bénarès en Inde, où il donna son premier enseignement formel : l’enseignement sur les quatre nobles vérités.

Un examen approfondi

La première moitié de cet enseignement est consacrée à notre condition dans le monde, et la seconde à la possibilité de transcender le samsara et d’atteindre le nirvana. Le Bouddha se livra tout d’abord à un examen approfondi de ce que nous percevons dans le monde, et il identifia l’ignorance comme étant à l’origine de cette perception, la confusion émotionnelle et la souffrance en étant les résultats. Il établit ainsi la première vérité, ou vérité de la souffrance, et la seconde vérité, ou vérité de l’origine de la souffrance. Puis il examina les deux vérités suivantes, la vérité de l’éveil proprement dit et celle de la voie. Comme l’éveil met fin à toute souffrance, la troisième vérité est appelée vérité de la cessation. La quatrième vérité, ou vérité de la voie, concerne le chemin que nous devons suivre jusqu’à l’éveil.

Les deux premières vérités : la souffrance et l’origine de la souffrance

L’ignorance fondamentale

Les deux premières des quatre nobles vérités traitent de la nature et de la cause du samsara. La cause fondamentale qui crée le monde est l’ignorance qui affecte l’esprit de tous les êtres. L’ignorance et ses conséquences peuvent être analysées comme formant les douze liens d’origine interdépendante qui constituent la base de toute description de notre expérience du monde. La succession de ces liens (nidana) dans le cycle de notre expérience est la suivante : l’ignorance fondamentale mène aux formations karmiques. Ces dernières s’expriment dans la conscience dualiste qui, à son tour, engendre l’identification et le morcellement initial de la conscience en les différents champs sensoriels. Par ces champs sensoriels s’effectue le contact avec le monde des phénomènes ; de ce contact surgissent la sensation et la soif, le désir insatiable d’expériences, né des sensations et précédant la saisie. Sur la base de tout cela, l’esprit nourrit le devenir ou volonté d’exister, qui produit l’incarnation physique. Une fois incarné dans un corps physique, l’esprit fait l’expérience des différents stades de l’existence humaine : la naissance, le vieillissement et la mort. Á la mort, l’esprit est à nouveau plongé dans l’ignorance fondamentale et le cycle est achevé.

La vacuité de l’esprit 

Il faut noter ici que le Bouddha n’a pas décrit ce cycle des existences comme quelque chose qu’il aurait créé ; il n’a nullement prétendu être le créateur de l’univers, pas plus qu’il n’a accepté l’idée d’un dieu qui aurait pu fabriquer l’univers. L’univers est une projection de l’esprit.

Dans les enseignements du mahayana et du vajrayana, l’esprit est décrit comme étant vide par essence, mais comme manifestant une clarté naturelle et une qualité de non-obstruction. Cette conception ne figure pourtant que dans le mahayana et dans le vajrayana. Dans les enseignements du hinayana, le Bouddha ne l’a pas abordée d’emblée, mais il a opté pour une approche de moindre difficulté. Il a simplement déclaré que l’esprit était vide et ne possédait rien qui permît de le définir, aucune caractéristique limitative telle que la couleur, la forme, la taille ou la localisation. Quant à l’ignorance, au niveau du hinayana, elle a été décrite comme étant l’incapacité de réaliser la vacuité de l’esprit. Á partir de cette ignorance se développe tout le cycle des phénomènes que l’on appelle samsara ou cycle des existences conditionnées.

Les cinq agrégats

Ayant pris naissance dans notre condition humaine actuelle, il y a cinq skandha : l’existence physique plus les quatre états purement mentaux qui sont la sensation, la perception, les formations mentales et la pleine conscience discursive, capable de déterminer que ceci est une forme, ceci est un son, etc. et d’émettre des jugements de valeur : ceci est bon, ceci est mauvais, etc.

La souffrance qui pénètre tout ce qui est composé

Le terme skandha signifie littéralement « tas » ou « pile » et, au sens figuré, ce mot suggère que tant que nous avons une existence physique et donc ces cinq agrégats, nous sommes soumis à toutes sortes de problèmes. Sur la base que constitue notre existence physique viennent se greffer toutes sortes de souffrances : la maladie, la douleur, le vieillissement, la mort, le bonheur suivi du malheur. Ce potentiel fondamental, propriété intrinsèque de tout ce qui est composé, est appelé en tibétain « la souffrance qui pénètre tout ce qui est composé ». C’est la forme la plus subtile de la souffrance parce qu’elle existe dans tout ce qui vit. Elle peut ne pas être perçue directement comme souffrance, ni comme quelque chose de tangible ou de menaçant, mais elle est néanmoins indissociable des cinq skandha de l’existence individuelle.

La différence entre une personne noble et une personne ordinaire

Il est dit dans les textes traditionnels que ce qui fait la différence entre une personne noble et une personne ordinaire, c’est que la première perçoit ce mode subtil de souffrance alors que la seconde ne le perçoit pas. Pour illustrer cela, on prend l’exemple suivant : si l’on place un cheveu sur la paume de la main, on ne le sent pas, mais si on l’a dans l’oeil, cela fait mal et on s’en aperçoit tout de suite. La personne ordinaire qui ne sent pas le mode existentiel de la souffrance est comme la paume de la main par rapport au cheveu : elle ne sent rien alors que la personne noble est très consciente, comme l’oeil.

La souffrance du changement

Á la souffrance pénétrant tout ce qui est composé, il faut ajouter « la souffrance du changement ». Quand une personne en pleine santé tombe malade, ce changement, cette perte de quelque chose de bon et d’agréable comme la santé, est le mode de souffrance appelé souffrance du changement.

La souffrance de la souffrance

Lorsqu’on subit la douleur, la souffrance et la frustration, ou plusieurs formes de souffrance ajoutées l’une à l’autre, comme la mort après une grave maladie, on parle d’un troisième type de souffrance, « la souffrance proprement dite ou souffrance de la souffrance ».

L’ignorance, origine de la souffrance

La première vérité est appelée la vérité de la souffrance et la seconde vérité est la vérité de l’origine de la souffrance. L’origine à laquelle il est fait allusion est l’ignorance qui donne naissance aux douze liens de l’origine interdépendante. La conséquence de ce cycle est la souffrance. Le processus du samsara est souvent illustré par un arbre dont les racines représentent l’ignorance et dont les fruits sont la souffrance.

La souffrance dans les différents états d’existence

Trois mondes ; trois formes de souffrance ; six classes d’êtres

Dans la tradition bouddhique, l’univers peut être également abordé sous un autre angle, celui des trois mondes : le monde du désir, le monde de la forme et le monde du sans forme. Le monde du désir s’étend depuis l’enfer le plus bas jusqu’au domaine des dieux, et il englobe les six classes d’êtres : les êtres des enfers, les esprits avides, les animaux, les humains, les asuras et les dieux. Par delà le monde du désir, on trouve les dieux des dix-sept niveaux du monde de la forme et, encore au-delà, les dieux des quatre niveaux du monde sans forme. Mais, quel que soit le degré de subtilité ou de grossièreté du niveau d’expérience qui les caractérise, les trois mondes font partie du samsara dans lequel aucun être n’échappe à aucune de ces trois formes de souffrance.

La souffrance, caractéristique fondamentale de toute vie

En fait la souffrance est la caractéristique fondamentale de toute vie, dans n’importe lequel des six mondes samsariques. Dans les domaines infernaux, par exemple, les êtes subissent les tourments de la chaleur ou du froid intenses.

Dans la classe d’existence des esprits avides, les causes de la souffrance sont la faim, la soif et les tourments provenant des éléments.

Dans le monde animal, la stupidité et l’ignorance conduisent à un comportement aveugle et assujetti aux instincts, chaque espèce devenant une proie pour une autre espèce.

Les conditions et les souffrances propres à ces trois mondes inférieurs nous sont, pour leur majeure partie, invisibles. Elles sont décrites dans les enseignements du Bouddha, mais nous n’en avons aucune preuve directe et vécue, sauf en ce qui concerne ce que nous pouvons observer, pour une petite partie, dans le monde animal ; si nous examinons les animaux de l’océan, les animaux domestiques ou les animaux sauvages, nous pouvons voir quelle sorte de corps ils habitent et quel type de mental ils possèdent.

La douleur et les souffrances de la naissance et de la mort

Le Bouddha a déclaré que si nous avions vraiment conscience de la souffrance, si nous n’étions pas si ignorants, si nous pouvions seulement comprendre quelle douleur et quelle souffrance un fœtus expérimente dans le ventre de sa mère, nous mettrions tout en œuvre dans cette vie pour atteindre l’éveil et n’avoir plus jamais à connaître de telles épreuves. (…) Nous avons tous expérimenté les diverses souffrances du processus de la naissance décrites par le Bouddha, mais nous n’en avons pas le souvenir. Cependant, la plupart d’entre nous, en particulier les médecins et tous ceux qui ont un contact avec la médecine, sont conscients de la souffrance qui accompagne la croissance et la vie en général. Nous avons tous connu la maladie et les différents problèmes physiques et mentaux, et nous n’ignorons pas l’aboutissement final : la douleur et les souffrances de la mort.

(…)

La jalousie, cause de leur souffrance.

La classe d’êtres située au dessus de la nôtre dans le samsara, celle des asuras, avoisine celle des dieux en splendeur, richesse et plaisir. Mais la jalousie des asuras est si grande qu’ils sont perpétuellement en lutte, se battant et se querellant sans cesse entre eux ainsi qu’avec les dieux pour tenter de leur dérober leurs richesses. Luttes et querelles sont les traits dominants de cette classe d’existence qui est sous l’emprise d’une souffrance et d’une douleur constantes.

L’impermanence, cause de souffrance

La dernière des six classes du monde du désir est celle des dieux. D’un point de vue relatif, c’est aussi la plus élevée, puisqu’on y trouve le plus haut niveau de bonheur et de contentement, ainsi qu’un degré de prospérité et de plaisirs sensuels qu’on ne peut s’imaginer. Le sentiment de bonheur et de contentement le plus intense que puisse connaître un être humain n’égale même pas le centième de la félicité physique et mentale dont jouit un dieu. Néanmoins, cet état relatif de félicité et de confort est impermanent. Quand la cause qui l’a produit, c’est à dire la somme des actes méritoires qui sont à l’origine de la renaissance dans cette classe, est épuisée, les dieux retombent dans un état d’existence inférieur.

(…)

Pourquoi tant parler de la souffrance ?

Aller au-delà de l’existence samsarique

Tels sont donc les enseignements du Bouddha présentés comme les deux premières des quatre nobles vérités : la vérité de la souffrance que nous expérimentons dans le cycle des existences conditionnées et celle de l’origine de cette souffrance. Le Bouddha a abordé très fréquemment ces deux sujets de façon très détaillée et il est important pour nous de bien les assimiler afin de mesurer les limitations de notre condition actuelle. Nous devons bien comprendre la situation dans laquelle nous nous trouvons et savoir qu’étant donnée la nature de la relation de cause à effet, ou relation karmique, nous ne pouvons nous attendre à rien d’autre qu’à la souffrance. Il nous faut comprendre que nous sommes pris dans les filets des différents facteurs de cause et d’effet, qui nous conduisent indéfiniment d’un état de souffrance à un autre. Ayant perçu les limitations inhérentes à cette situation, nous pouvons alors commencer à envisager de nous y soustraire ; nous pouvons commencer à chercher les moyens d’aller au-delà de l’existence samsarique et de son cortège de souffrances, de limitations et de frustrations.

Une tendance à laisser les choses aller à la dérive

Tant que nous n’aurons pas examiné ces questions, notre approche fondamentale de l’existence restera naïve. Tant que nous sommes heureux et que tout va bien, nous nous disons :

« Oh, tout va très bien, pourquoi tant parler de la souffrance ? C’est agréable d’être dans le samsara. »

Cette attitude entraîne une tendance à laisser les choses aller à la dérive. Mais dès que survient un événement fâcheux, dès l’instant où surgit une douleur, une souffrance ou un ennui quelconque, nous sommes totalement déroutés et nous nous disons :

« Oh, je suis en train de mourir, oh, je suis malade ! Oh, tout s’écroule ! Oh que tout va mal. »

Nous faisons alors une tentative aussi vaine que maladroite pour apporter un remède à notre situation, mais nous n’avons recours à rien de ce qui nous permettrait d’éluder notre souffrance.

Comprendre la situation

Nous sommes prisonniers du samsara. Tant que les choses vont bien, nous ignorons notre situation : quand surgissent les difficultés, nous sommes impuissants à les résoudre. Mais une fois que nous avons compris la situation, nous commençons à chercher un moyen d’agir vis-à-vis de la souffrance et de la frustration que nous rencontrons inévitablement. Les techniques et méthodes du dharma du Bouddha apportent les moyens de parvenir à ce développement positif.

Seul l’esprit crée et perçoit l’univers

Au niveau ultime, les causes du samsara sont produites par l’esprit, qui en éprouve en retour les conséquences. Seul l’esprit crée l’univers et seul l’esprit perçoit l’univers. Pourtant, en dernière analyse, l’esprit est vide et n’a pas d’existence propre. Le fait de comprendre que l’esprit qui produit le samsara et le perçoit n’a pas fondamentalement de réalité en lui-même peut être une grande source de soulagement. Si l’esprit n’est pas fondamentalement réel, les situations dont il fait l’expérience ne le sont pas non plus.

Laisser l’esprit tel quel

En découvrant la vacuité de l’esprit et en laissant l’esprit demeurer dans cet état de vacuité, on peut trouver un grand soulagement et une grande détente, au milieu de l’agitation, du trouble, de la confusion et de la souffrance du monde.

Soumis au processus du karma

En outre, quand nous avons la parfaite compréhension et l’expérience de la vacuité de l’esprit, nous transcendons la causalité. Étant au-delà des causes et des effets des tendances karmiques, nous sommes Bouddha. Mais, jusqu’à ce que nous atteignions ce stade, cela ne va pas nous aider de nous dire simplement : « cela est vacuité ». Nous sommes encore entièrement soumis au processus implacable du karma.

Éternalisme et nihilisme

C’est pourquoi il nous faut comprendre non seulement le concept de la vacuité ultime de toute expérience, mais aussi la validité relative des causes et des effets karmiques. Par cette approche, nous pouvons atteindre l’éveil. Mais, si nous tombons dans l’un ou l’autre extrême, soit que nous croyions naïvement en l’existence ultime de toute chose (l’erreur des éternalistes), soit que nous niions l’existence de toute chose (l’erreur des nihilistes), nous ne pouvons atteindre l’éveil.

Les troisième et quatrième nobles vérités : la vérité de la cessation et la vérité du sentier

Causes et résultats dans la perspective du nirvana

Après avoir décrit la vérité de la souffrance et celle de son origine, le Bouddha examina les aspects des causes et des résultats dans la perspective du nirvana. La cause, dans ce cas, est l’objet de la quatrième noble vérité, appelée vérité du sentier ; quant au résultat, c’est la réalisation de l’état d’éveil, la vérité de la cessation, la troisième noble vérité. L’éveil, est vu ici selon le point de vue du hinayana comme étant la cessation des émotions qui sèment la confusion et la perturbation dans l’esprit, et donc comme la cessation des souffrances qu’elles engendrent.

Le commencement du sentier

La connaissance primordiale, source de l’éveil

Tout comme les deux premières nobles vérités décrivent le samsara comme découlant de l’ignorance ou de la non-connaissance, l’expérience de l’éveil découle de la connaissance, par opposition à l’ignorance. Mais un tel niveau de conscience n’est pas facile à expérimenter. Il faut accomplir des efforts dans ce but, et c’est ce qui constitue la pratique du dharma. Elle consiste tout d’abord à adopter un mode de vie vertueux et habile, rejetant les actions néfastes à nous-mêmes et aux autres et pratiquant les actions bénéfiques et positives. Ensuite, animés par le désir d’établir une connexion avec les Trois joyaux – le Bouddha, le dharma (son enseignement) et le sangha (la communauté des pratiquants du dharma) – nous devons prendre refuge et continuer à prendre refuge, mus par la confiance, par la dévotion et par notre expérience grandissante du chemin. Tous ces aspects de la pratique du dharma contribuent à notre réalisation de la connaissance primordiale, source de l’éveil. Le germe de l’éveil, de potentiel de la bouddhéité que l’on nomme Tathagatagarbha est présent à l’état latent en chacun de nous, bien que, dans notre état actuel, nous ne puissions pas le percevoir directement.

Analogie entre l’état de veille et de sommeil

On peut voir une analogie approximative avec notre situation dans le processus du sommeil. Quand nous nous endormons, nous traversons une période initiale d’inconscience totale, le sommeil profond, dénué de rêves et de toute activité consciente. Cet état correspond au facteur causal qu’est l’ignorance fondamentale. Pendant la nuit, il se produit pourtant, à certains intervalles, un réveil de l’activité consciente qui crée les multiples sortes d’illusions que nous appelons « rêves ». Ce peuvent être des cauchemars, parfois très effrayants, qui correspondent à la souffrance produite par l’ignorance dans le samsara. L’état de rêve, comme l’état de veille du samsara, s’accompagne d’une activité mentale qui surgit de l’inconscient. Le matin, avant le véritable réveil, le corps se met à bouger et la conscience commence à s’approcher de l’état de veille. Pour les besoins de notre analogie, nous pouvons dire que cette période correspond dans notre esprit à la naissance des tendances vertueuses comme la confiance, la compassion, l’énergie et la persévérance dans la pratique du dharma. Ensuite vient le véritable réveil quand nous nous étirons dans notre lit, que nous nous levons et entreprenons nos activités de la journée. Dans notre analogie, ceci correspond à la réalisation de l’éveil : nous sommes complètement réveillés. Nous ne sommes plus dans l’état de rêve, qui est notre condition actuelle, ni à moitié réveillés par la pratique du dharma qui nous insuffle des qualités et les développe en nous. Nous sommes complètement réveillés, à même de nous lever et d’agir.

La cause qui nous conduit vers le but

Une partie du processus fondamental qui détourne notre esprit du samsara et l’oriente vers l’éveil consiste à comprendre ce qu’est véritablement le samsara. Comprenant la souffrance et reconnaissant les limitations de notre situation actuelle, nous commençons à chercher une issue. Cette orientation initiale de l’esprit est le fondement de la voie, le facteur causal conduisant à l’éveil. Notre aptitude à suivre la voie en entreprenant réellement la pratique du dharma a une double base.

Tout d’abord, ayant cultivé des tendances vertueuses et rejeté les tendances pernicieuses, nous avons établi une connexion avec le dharma, connexion qui porte ses fruits dans cette vie. Nous ne sommes pas seulement des humains, nous sommes des humains en contact avec les enseignements du dharma. Ayant acquis un degré de certitude et de conviction quant à la validité de ces enseignements, nous sommes amenés à les pratiquer. Notre pratique proprement dite consiste d’abord à prendre refuge en les Trois joyaux, puis à renouveler cet acte quotidiennement, à développer bodhicitta qui est la disposition d’esprit orientée vers la libération de tous les êtres sans l’exception même d’un seul.

Enfin, nous devons apprendre à maîtriser différentes techniques de méditation. Tout cela constitue la cause qui nous conduit vers le but, l’éveil.

(…)

Vues des voies hinayana et mahayana

Un total abandon de tout attachement aux biens matériels

La différence entre ces vues réside dans l’étendue de l’interprétation donnée à ces différentes notions. Par exemple, dans l’approche du hinayana, la générosité implique de renoncer à tous ses biens et, dans l’idéal, de prendre des vœux de moine ou de moniale, de mener une vie extrêmement frugale avec pour toute possession des robes de moine et un bol de mendiant pour se procurer le strict nécessaire pour la journée, rien de plus. En bref, l’idéal de la générosité, dans le hinayana, implique le total abandon de tout attachement aux biens matériels, et la recherche de la plus grande simplicité dans la conduite de la vie. Selon le point de vue du mahayana, cet idéal va jusqu’au partage continuel de tous les biens que l’on reçoit et même notre corps est considéré comme digne d’être une offrande. D’une façon ou d’une autre, tout ce qui apparaît est toujours offert au dharma ou dédié pour le bien des autres êtres.

Éviter les actions négatives et vouer notre existence au bonheur d’autrui

La conception hinayana de l’éthique reflète le sens commun. Elle consiste à mener une vie correcte en évitant les actions négatives et nuisibles. Cette vue de l’éthique se rencontre également dans le mahayana, mais elle est grandement élargie. L’éthique, dans le mahayana, inclut la nécessité de développer en nous des qualités et des tendances vertueuses et de vouer notre existence au bonheur des autres êtres.

Développer le potentiel positif de l’esprit

Hinayana et mahayana ont des vues communes en ce qui concerne la voie vers l’éveil, mais ce que l’on dit ici de l’éveil en lui-même appartient particulièrement au mahayana et au vajrayana. Selon le hinayana, le but est la cessation des facteurs négatifs ; ce n’est qu’au niveau du mahayana et du vajrayana que l’on parle de développer le potentiel positif de l’esprit.

Le principe de la « cessation » dans le hinayana

On peut se faire une idée plus claire de la différence entre ces deux visions de l’éveil en examinant les termes utilisés pour les décrire dans chacun des systèmes. Le but, dans le hinayana, est d’atteindre l’état d’arhat. La traduction tibétaine de ce mot signifie « celui qui a vaincu l’ennemi ». Ici, l’ennemi c’est les émotions et l’ignorance qui nous tiennent prisonniers du samsara. L’objectif est donc de dominer et d’éliminer ces facteurs. C’est là qu’intervient le principe de la « cessation », autre terme employé pour décrire l’éveil dans le hinayana. La cessation implique l’arrêt des émotions perturbatrices et des pensées dualistes telles que les fixations sur le matériel et l’immatériel, la réalité et la non-réalité, ainsi que la libération de tous ces carcans conceptuels qui limitent la conscience.

Quand on parvient à la cessation, toutes ces perturbations ont pris fin et l’esprit est simplement absorbé dans l’expérience de la vacuité, sans instabilité ni distraction. Tel est l’idéal du hinayana, et il mène sans aucun doute au complet éveil. Cependant, il s’écoule un temps très long avant d’aboutir à cette réalisation et, durant cette période presque interminable, il n’y a pratiquement aucune possibilité de venir en aide à autrui.

C’est la raison pour laquelle le hinayana est appelé « petit véhicule », parce que son champ est relativement restreint. La cessation représente cependant au moins un degré de libération du samsara, car l’individu qui la réalise n’a plus besoin de se réincarner : il a transcendé la puissance du karma qui provoque la renaissance dans le cycle des existences.

Pourquoi étudier les quatre nobles vérités

La confiance, l’énergie et la motivation aident beaucoup à leur compréhension

Voici quelle est l’intérêt de comprendre notre situation à la fois du point de vue du samsara et de celui du nirvana : comprendre les causes et les effets du samsara nous incitera à rechercher une alternative. Une fois que nous aurons pris conscience des limitations de notre situation, nous aurons la possibilité de chercher une issue. Et si nous voyons les aspects de la voie en fonction de leurs causes et de leurs effets, notre motivation ne sera plus simplement alimentée par le désir du rejet du samsara, mais aussi par la recherche de l’éveil. En outre, reconnaître les immenses qualités des bouddhas et des bodhisattvas nous remplira de confiance, de respect et d’admiration envers ce que nous pouvons atteindre. La confiance, l’énergie et la motivation aident beaucoup au développement de la compréhension des quatre nobles vérités.

La précieuse existence nous offre deux possibilités

Ayant obtenu la précieuse existence humaine avec les possibilités et la liberté dont elle s’accompagne et ayant rencontré les enseignements du dharma, nous sommes en quelque sorte semblables à un balancier en équilibre. D’un côté nous avons la possibilité de continuer à errer dans l’ignorance et dans le cycle des existences et, de l’autre, celle d’aller au-delà du samsara et d’atteindre l’éveil. Les deux possibilités proviennent de l’esprit que nous possédons et percevons tous. C’est cet esprit que nous possédons déjà, qui est vacuité par essence et rayonnant par nature, qui peut réaliser et qui réalise les différents degrés de la réalisation du bodhisattva et c’est ce même esprit qui peut atteindre le parfait éveil.

Nous remercions les éditions Kunchab pour leur aimable autorisation de reproduction dans Dharma de ces extraits de « Le dharma », de Kayabdjé Kalou Rinpotché © Editions Kunchab

 

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