Représentations tibétaines
Dongge Luosantselie
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- Les supports du corps du bouddha (kouten)
- Statues en métal fondu, en or, argent ou bronze.
- Statues en terre.
- Statues en bois sculpté.
- Statues en pierre.
- Représentations bouddhiques peintes sur satin.
- Représentations réalisées selon la méthode par application.
- Fresques.
- Représentations bouddhiques sur toile.
- Gouaches.
- Figurines en beurre sculpté.
- Les supports de la parole du bouddha (soungten)
- Les supports du sens de l’éveil (tcheuten)
- Conclusion
- Les supports du corps du bouddha (kouten)
Les Tibétains classifient traditionnellement leurs œuvres d’art bouddhique en : koutèn (supports du corps), soungtèn (supports de la parole), et tcheutèn (supports du sens) — et il est vrai que tous les tcheutèn, en raison de leur forme, constituent de véritables symboles. En termes concrets, koutèn se réfère aux images bouddhiques, soungtèn aux textes sacrés. Le peuple révère profondément les monastères tibétains précisément parce qu’ils renferment et protègent ces trois aspects, parmi lesquels l’image bouddhique représente la réalisation artistique la plus accomplie.
Les supports du corps du bouddha (kouten)
Sur la base des matériaux utilisés, on peut distinguer dix différentes classes d’images bouddhiques.
Statues en métal fondu, en or, argent ou bronze.
Les statues bouddhiques les plus connues sont coulées dans un alliage spécial d’or, d’argent, de bronze et d’étain. Les dimensions varient des monumentales aux minuscules de la taille d’un doigt, avec toutes les tailles intermédiaires. Particulièrement connues sont les statues de Sakyamuni qui se trouvent dans le complexe de temples de Tsuk lhakhang comportant 13613 taël d’or pur (1 taël = 1,5 onces, c’est-à-dire 42,528 grammes) : les trois statues de Padmasambhava, de Tsongkhapa et du cinquième Dalaï-Lama conservées dans la grande salle du palais Potala, contenant chacune 1246 taël d’or pur, et celle de Maitreya, haute de cinq étages qui se trouve au monastère de Tashilhunpo.
Statues en terre.
Il s’agit de la variante d’image bouddhique la plus répandue, en l’absence de laquelle aucun monastère tibétain qui pourrait être considéré complet. Au fil de la longue histoire du bouddhisme local, les techniques d’autres pays ont été graduellement assimilées et intégrées en un module stylistique purement tibétain. Au début du onzième siècle, le pouvoir de différentes sectes bouddhiques et le foisonnement subséquent de monastères et temples encouragea une énorme demande d’œuvres plastiques de ce type. Les monastères Narthang, Sakya, Reting, Dakla Gampo, Zhalu et Sangphyu se distinguent par les collections de statues et d’images de toutes sortes qui s’y trouvent, parmi lesquelles abondent les bouddhas en majesté ou réalistes, empreints de dignité, parfois avec une expression sévère. Cette période marqua l’apogée de ce genre, et les Tibétains atteignirent alors des niveaux sans précédent dans l’art du modelage de statues en terre.
Statues en bois sculpté.
Celles de Sakyamuni, rapportées par Songtsen Gampo de la cour des Tang et du Népal, sont parvenues intactes jusqu’à nos jours et constituent les témoignages de certaines des diverses sources dont ce genre est inspiré, atteignant les sommets de la perfection non seulement dans le modelage de formes mais aussi dans la gravure sur bois et la création de matrices d’imprimerie. De célèbres exemples en sont la série de trente-cinq planches réalisées pendant le règne du septième Dalaï-Lama, illustrant les histoires de bodhisattvas absorbés en des pratiques ascétiques pour soulager les souffrances de l’humanité, ou encore les œuvres complètes de Tsongkhapa, conservées dans le monastère de Gandèn. La sculpture des colonnes dérive de cet art de la gravure, et, dans le temple de Tsuklhakhang, certaines colonnes sont nommées d’après les motifs qui les ornent : feuille de thé, urne magique, lion, tête de serpent, et ainsi de suite. Ils sont parmi les plus beaux exemples de cette catégorie et remontent à l’époque du règne de Songtsen Gampo, au septième siècle.
Statues en pierre.
Les statues tibétaines en pierre sont de deux sortes : le bas relief et la gravure. Le premier est pratiqué sur des parois rocheuses de montagnes, il en est ainsi pour les images des saints arhat. Des gravures de différents types sont visibles sur les falaises partout dans le pays. Au Tibet, l’art de la sculpture sur pierre a une histoire plus que millénaire. Les célèbres doring, par exemple la stèle érigée pour célébrer la fondation du monastère Samyé, constituent non seulement des témoignages de la diffusion locale du bouddhisme mais aussi de l’ancienneté de cette technique ; en fait le mot doring (littéralement pierre longue) désigne non seulement des œuvres relativement complexes, mais aussi les menhirs préhistoriques que l’on trouve souvent dans le pays. Même dans les contrées les plus reculées où l’on pourrait croire que l’homme n’a jamais pénétré, on est surpris en découvrant des textes incantatoires de styles les plus variés, dans les écritures les plus différentes, accompagnées de motifs ornementaux très divers, gravées sur un rocher au bord d’un sentier à chèvres ou sur une crête.
Représentations bouddhiques peintes sur satin.
On en trouve des témoignages écrits dès le début du seizième siècle. Vers la moitié du siècle suivant, Gushri Khan fit don au Cinquième Dalaï-Lama d’une image de ce genre, encore conservée dans le palais Potala. Beaucoup de ces ouvrages se trouvent dans des monastères, comme Drépung ou Tashilhunpo ; certains ont la taille d’un immeuble à trois étages.
Représentations réalisées selon la méthode par application.
Il s’agit d’une sorte de collage le plus souvent sur soie ou satin, avec décorations de pierres précieuses, rubans, etc. Une image de ce genre est accrochée au long pilier de la salle du stupa du Cinquième Dalaï-Lama, dans le palais Potala.
Fresques.
La peinture murale est la forme picturale la plus ancienne au Tibet. Dans des documents historiques du passé lointain, on dit que Songtsen Gampo, alors qu’il était absorbé en méditation à Lhassa, vit une peinture sur la paroi rocheuse en face de lui. Le monastère de Chamdo est décoré de fresques dans lesquelles on voit d’anciens tibétains occupés à préparer du charbon, à défricher des terres vierges, construire des ponts sur des rivières et à d’autres activités. Des fresques du huitième siècle qui ornent le monastère Samyé illustrent les cérémonies qui accompagnèrent l’inauguration du complexe, en plus des épisodes des guerres entre les rois de Yarlung et les empereurs Tang de Chine. Parmi les exemplaires les plus remarquables, il faut mentionner les fresques du grand tcheutèn du Palchor, à Gyantsé, déjà cité. Les images réalisées juste après la construction et qui, suivant la tradition, seraient cent mille (en fait, d’après un calcul récent, il y en aurait 27 529) comprennent, comme d’ailleurs il est logique de s’y attendre, un certain nombre de répliques presque stéréotypes d’obscures divinités bouddhiques, de type tantôt paisible, tantôt terrifiant. Mais de très nombreuses peintures, surtout celles des plus grandes dimensions, sont d’une grande qualité artistique.
Il est intéressant de remarquer que, bien que la technique rappelle, en particulier, les modèles indiens, l’influence chinoise est évidente dans de nombreuses chapelles, tout particulièrement dans les paysages d’arrière-plan et dans les portraits des donateurs de fresques.
Représentations bouddhiques sur toile.
C’est le genre de peinture tibétaine le plus connu en Occident, sous le nom de thangka. Cette manière est peut-être d’origine indienne, mais elle est devenue une spécialité tibétaine. On dit qu’à l’intérieur d’une statue du temple de Tsuklha khang se trouve une thangka qui aurait été réalisée avec le sang coulé du nez de Songtsen Gampo atteint d’épistaxis. Nagtso Lotsawa, disciple d’Atisha, peignit un portrait de maître sur une toile de quatorze coudées, qui le représente entouré de ses élèves les plus célèbres ; au bas de la toile on voit une brève illustration de la vie du personnage et au dos on lit dix-huit compositions poétiques de louange.
Gouaches.
Cette technique exige que, sur une planche ou à même le sol, soit d’abord tracée une esquisse, après quoi on procède au broyage de pierres blanches qui sont mélangées à des pigments ; le mélange est introduit dans un petit tube en fer qui ressemble à un stylo. Par de légères secousses, on fait goutter la peinture, traçant ce qu’on appelle les lhoka tcheudjoung, certains de la taille d’une chambre, d’autres ne mesurant pas plus de trente centimètres. Il s’agit d’un genre de peinture qui a pris consistance au Tibet durant le onzième siècle ; des œuvres de ce type sont expressément réalisées pour les quatre festivals qui sont organisés tous les ans afin de promouvoir la prise de conscience de la loi bouddhique. Il s’agit d’une forme artistique unique qui demande à la fois une extraordinaire sensibilité et une parfaite maîtrise des moyens utilisés. Elle comporte le grave inconvénient de l’impossibilité de conservation durable des œuvres.
Figurines en beurre sculpté.
Le beurre est mélangé à des pigments et on modèle cette pâte selon la forme souhaitée, après quoi la petite statue est placée sur une planchette spéciale ou dans une boite en bois. Grâce au climat du Tibet, ces œuvres se conservent pendant des années sans détérioration. Lors des quatre grands festivals annuels et surtout à l’occasion de l’assemblée du dharma (le 15 janvier selon le calendrier lunaire), un grand nombre de ces images sont exposées ainsi que fleurs, oiseaux, animaux terrestres et paysages, tous en beurre coloré. Les sujets sont tirés des écritures bouddhiques ou des œuvres lyriques tibétaines. Ces ouvrages peuvent avoir la hauteur de trois étages ou être minuscules comme une fourmi. Il s’agit d’un art traditionnel typique du Tibet, très populaire. Les artistes apprennent la technique dans de nombreux monastères et dans d’autres écoles, et, de temps à autre, suivent des cours de perfectionnement.
Les formes d’art visuel décrites plus haut sont considérées comme les expressions les plus spectaculaires des trois grands arts bouddhiques.
Les supports de la parole du bouddha (soungten)
Par le mot soungtèn, sont désignés les textes classiques bouddhiques conservés dans les monastères du Tibet et que tout moine se doit de lire et de psalmodier ; mais il s’agit aussi d’un chef d’œuvre bouddhique. Il y en a deux types principaux : le soungtèn manuscrit et celui imprimé au moyen de matrices en bois, les deux étant typiquement tibétains. L’ouvrage ainsi obtenu ne peut jamais être considéré comme un simple livre.
Les premiers soungtèn étaient, bien sûr, manuscrits ; ils apparurent au début du septième siècle en même temps que la langue écrite tibétaine, élaborée par Thonmi Sambhota qui adapta différents alphabets indiens courants à l’époque. Il s’ensuit que l’écriture tibétaine et phonétique n’est pas idéographique comme la chinoise. Elle comporte quarante caractères se terminant tous en « a » ; les autres voyelles sont indiquées par des petits signes écrits au-dessus ou au-dessous des consonnes. Lire et écrire le tibétain est très difficile, parce qu’au fil des siècles la graphie est restée inchangée alors que la prononciation a varié, le plus souvent dans le sens de la simplification. Il s’agit, en partie du moins, d’un problème posé par d’autres langues. Parmi les trésors qui ont survécu aux anciens temples, il faut compter les canons bouddhiques écrits sur feuilles de palmier ; on peut encore en trouver quelques exemplaires dans des monastères, mais il s’agit d’œuvres désormais extrêmement rares. Les textes étaient parfois écrits en sanscrit, d’autres fois en ancien tibétain. Les principaux monastères des différentes écoles conservent les recueils complets des écritures du Kangyour en cent huit volumes, écrits à l’encre d’or et considérés comme des chefs d’œuvre de l’art de la calligraphie. Sont particulièrement célèbres les cinq recueils écrits en or, argent, cuivre, fer et réalisés sur commande du régent Sangyé Gyatso après la mort du cinquième Dalaï-Lama. A l’époque du dixième Dalaï-Lama, le souverain religieux Phoboding encouragea la transcription du Kangyour en lettres d’or liquide et le recueil fut ensuite donné au monastère de Gandèn ; aujourd’hui il est conservé au palais Potala. Au monastère de Tashilhunpo, les cinquième et sixième Panchen Lama encouragèrent la réalisation de deux recueils du canon bouddhique, l’une en or et l’autre en argent. Selon les documents tibétains écrits, vers la fin du treizième siècle, commença l’édition imprimée des soungtèn, réalisée au moyen de matri ces en bois. C’est surtout grâce au développement et à la diffusion des matrices xylographiques mobiles que les écritures du Kangyour et du Tengyour, les deux célèbres soungtèn compilés en tibétain sous la direction de Buton Rinpotché au monastère de Zhalu, nous sont parvenus intacts.
On considère que le sommet de l’art de l’imprimerie a été atteint par les monastères de Narthang et de Tashilhunpo, et par l’imprimerie d’écritures bouddhiques de Lhassa. Il s’agit de centres qui disposent de nombreux écrits, très habiles non seulement en l’usage des matrices mais aussi en l’interprétation des écritures ; chacun de ces centres a son propre style.
Les supports du sens de l’éveil (tcheuten)
Le tcheutèn tibétain, autre forme d’art typiquement bouddhique, existe en divers matériaux : pierre, brique de torchis, bronze, argent ou or.
Les tcheutèn en pierre sont les plus anciens. Les tcheutèn construits en briques de torchis sont extrêmement rares. Celui qui se trouve à proximité du monastère de Zhalu fut bâti sous les auspices de Buton. Les tcheutèn en bronze, célèbres pour la délicatesse de leur exécution, sont souvent plaqués d’or. Les tcheutèn d’or et d’argent, que l’on appelle traditionnellement stupa, servent à conserver les restes des lamas de très grande notoriété.
Conclusion
N’étant pas moi-même architecte et encore moins artiste, je suis parfaitement conscient des limites de mon exposé sur l’art du Tibet ; ce qui me justifie est le fait que je suis tibétain, que j’apprécie la culture locale et, qu’aimant mon pays et ma ville, je me suis toujours intéressé à leur art. Dès que j’ai commencé à étudier les soungtèn dans un monastère, je me suis initié à l’art, du mieux que j’ai pu, dans ses trois aspects. J’ai tenté ici de vous en parler avec simplicité, et j’espère sincèrement que cela vous aura aidé à mieux comprendre et aimer ce que durant des siècles mon pays a su réaliser sur le plan de l’art. J’espère que notre art forgera des liens avec les peuples du monde entier, car il est par essence éternellement jeune, vivant et universel.
Extrait de la revue Paramita, traduit de l’italien par l’Institut Karma Ling et publié avec l’aimable autorisation de l’éditeur italien