L’éveil et les Trois Corps du Bouddha
Kyabdjé Kalou Rinpoché
La bouddhéité n’est pas existante
puisqu’elle a pour caractéristique
l’inexistence de l’individu et des choses ;
elle n’est pas non plus inexistante
puisqu’elle existe en tant qu’ainsité.
Asanga, Mahayanasutralankara
Au début de leur cheminement spirituel, les futurs bouddhas commencent par engendrer bodhicitta, l’esprit d’éveil. Puis, durant trois cycles cosmiques incommensurables, ils pratiquent le développement-dévoilement, cultivant les deux développements, purifiant les voiles qui obscurcissent l’esprit et accomplissant par les différentes perfections une infinité d’actes de bodhisattva. En conduisant ces actes jusqu’à leur stade de perfection transcendante, ils traversent les cinq voies de la réalisation et les dix degrés de bodhisattva. Ainsi deviennent-ils des bouddhas parfaitement accomplis.
Les trois aspects de l’éveil des bouddhas
• Ils sont par nature totalement exempts des différents voiles qui obscurcissent l’esprit : libres des voiles de l’ignorance. de la propension fondamentale, des passions et du karma. Cela est nommé la « grande cessation ».
• Leur connaissance primordiale voit directement, clairement et sans confusion tout objet de connaissance. Cela est nommé la « grande réalisation ».
• Enfin, par une compassion au-delà de tout concept, ils œuvrent spontanément, toujours et partout, pour le bien de tous les êtres. Cela est nommé leur « grand esprit courageux ».
Les qualités de l’esprit, de la parole et du corps des bouddhas
L’esprit des bouddhas est doté de qualités incomparables : il n’y a aucun objet de connaissance du samsara, du nirvana ou du chemin qui mène du premier au second, qu’ils ne connaissent immédiatement ou ne voient directement dans leur connaissance primordiale. Ils perçoivent tout comme posé dans la paume de leur main et connaissent véritablement, distinctement et sans confusion tous les karma passés, présents et futurs, leurs causes et leurs conséquences. Cette connaissance directe et immédiate est lucide et dénuée de tout voile. Elle est nommée I’« omniscience de leur connaissance primordiale ».
Les bouddhas ont un amour immense, sans discrimination, qui pose continuellement son regard sur tous les êtres et les prend en charge avec compassion, quels qu’ils soient et où qu’ils soient, sans aucune partialité ni aucun attachement. Cela est nommé leur « amour compatissant ».
L’activité éveillée des bouddhas se déploie, sans fin et sans interruption, utilisant pour aider les êtres les moyens appropriés à chacun et œuvrant pour leur bien, qu’ils aient une attitude positive ou négative à leur égard. Ainsi, au travers d’aspects variés, cette activité ouvre, de manière temporelle, la porte des trois classes d’êtres supérieurs, et, finalement, celle de la délivrance Elle se manifeste perpétuellement tant que le samsara n’est pas vidé de tous les êtres et elle est nommée leur « activité éveillée qui œuvre ».
Par le pouvoir de l’influence spirituelle de cette activité éveillée, la confiance, la dévotion, l’amour bienveillant et la compassion s’accroissent dans l’esprit des êtres, qui reconnaissent finalement la vacuité de tout phénomène, objet ou sujet. Ils réalisent alors le caractère illusoire de toute chose et la saisie d’une existence intrinsèque cesse. S’appliquant à laisser l’esprit tranquille en samatha et à reconnaître sa vraie nature dans vipasyana, ils traversent, au moyen des six et des dix perfections, les dix degrés de bodhisattva et les cinq voies de la réalisation, atteignant ainsi l’état de bouddha. Ce pouvoir des bouddhas, au travers de leur activité éveillée, de donner refuge aux êtres confrontés à la souffrance du cycle des existences et de les établir en l’état de bouddha, est appelé leur « pouvoir de refuge ».
Outre ces qualités, le corps des bouddhas possède les trente-deux marques majeures et les quatre-vingts signes mineurs d’accomplissement. Leur parole possède soixante qualités caractéristiques ; leur esprit comprend les « dix forces », les « quatre absences de peur », « les dix-huit qualités spécifiques » ; globalement, ils ont dix millions de qualités, qui proviennent de la liberté de leur esprit vis-à-vis de tout voile et de toute saisie conceptuelle, ainsi que du mûrissement de leur karma positif.
Les Trois corps des bouddhas
À l’obtention de l’état de bouddha, l’éveil se produit sur trois plans auxquels on se réfère comme étant les « trois corps » du bouddha. Ce sont : le corps absolu ou dharmakaya, le corps d’expérience parfaite ou sambhogakaya, et le corps d’émanation ou nirmanakaya.
Il y a correspondance entre ces trois plans éveillés et les trois plans de l’existence ordinaire : l’esprit, la parole et le corps. L’esprit éveillé est le dharmakaya, la parole purifiée est le sambhogakaya et le corps pur le nirmanakaya.
D’un autre point de vue, les trois aspects de la nature pure de l’esprit dont nous avons parlé précédemment, vacuité, lucidité et intelligence illimitée, correspondent aussi à ces trois corps du bouddha : l’aspect vide de l’esprit au dharmakaya, l’aspect de lucidité au sambhogakaya et l’aspect d’intelligence illimitée au nirmanakaya.
D’autre part, il y a aussi correspondance entre les cinq principales passions qui gouvernent l’esprit habituel – l’agressivité, l’orgueil, le désir, la jalousie et la stupidité – et, au niveau d’un bouddha, cinq expressions de la sagesse éveillée, « cinq connaissances primordiales » qui sont l’aspect complètement transmuté de ces cinq passions. Elles sont respectivement nommées : « semblable au miroir », de l’« équanimité », du « discernement », « tout accomplissante », et du « domaine de la vacuité ».
Le double développement, de bienfaits et d’intelligence immédiate, engendré par un bodhisattva pratiquant les six perfections, résulte en les Trois corps d’un bouddha. Le dharmakaya est sans forme et plus spécifiquement issu du développement d’intelligence immédiate. Le sambhogakaya et le nirmanakaya sont deux corps avec forme, provenant plus particulièrement du développement de bienfaits. Ces deux derniers émanent conjointement de l’exercice des potentialités du dharmakaya et des souhaits formulés antérieurement par les bouddhas.
Le dharmakaya est obtenu par un bouddha « pour son bien propre » alors que les deux corps formels, le sambhogakaya et le nirmanakaya, se manifestent pour le bien des êtres.
Le dharmakaya se révèle quand le voile « qui recouvre ce qui est à connaître » s’est dissout ; le sambhogakaya, quand le voile des passions n’est plus, et le nirmanakaya quand le voile du karma a été purifié.
Le dharmakaya est l’aspect indéterminé de la nature de bouddha. Il demeure en l’omniprésent palais du domaine infini, le dharmadhatu, embrassant et pénétrant tout, samsara comme nirvana, et transcendant toutes les catégories produites par l’esprit. Il est sans origine et sans fin, sans apparition, destruction ni localisation.
Dans ce domaine infini, au-delà des trois sphères du samsara, le sambhogakaya se manifeste avec une forme aux bodhisattva des dix degrés. Résultant de la conjonction de deux facteurs qui sont l’apparence et les qualités inhérentes au dharmakaya, et le karma positif des bodhisattva qui le perçoivent, il est appelé le « sambhogakaya résultant de la conjonction de deux facteurs qui le constituent chacun par moitié ».
Le nirmanakaya est le corps par lequel un bouddha se manifeste dans le monde habituel. Il peut être perçu par les êtres ordinaires sous trois aspects : en premier lieu, celui des émanations qui, en ce monde, éduquent les êtres dans l’exercice d’une activité traditionnelle ; ce sont les émanations se manifestant dans les arts et métiers. Il y a également les émanations de naissance, qui éduquent les êtres en empruntant des formes variées : humaines pour les hommes, animales pour les animaux, etc. Enfin, les suprêmes émanations œuvrent, tel le Bouddha Sakyamuni, pour le bien des êtres à travers douze actes : quitter le ciel de Tushita, entrer dans une matrice, naître, étudier les sciences et les arts traditionnels, prendre femme, renoncer au monde, pratiquer l’ascétisme, s’asseoir sous l’arbre de la bodhi, maîtriser les armées de Mara, atteindre l’illumination, tourner la roue du dharma et partir en parinirvana.
Extrait de La Voie du Bouddha de Kalou Rinpoché © Ed. Du Seuil.