La perfection de la discipline
Gampopa
Gampopa est à l’origine du plus célèbre des Lamrim (Exposé de la voie graduelle vers l’éveil) de l’école Kagyu : « L’ornement de la libération » dont voici des extraits sur la discipline.
Nous avons fait le choix de conserver la traduction littérale de ce texte traditionnel qui est généralement destiné à être mémorisé.
L’extrait choisi : «la perfection de la discipline» fait partie de la présentation des six paramita, dans les instructions conférées par l’ami spirituel pour développer l’éveil du cœur-esprit (bodhicitta).
1. L’exposé des bienfaits (de la discipline) et des méfaits (de son absence)
Quelqu’un de généreux mais n’ayant pas de discipline, ne pourra obtenir les existences excellentes, parfaitement pures, divines ou humaines.
Il est dit dans L’Introduction à la Voie du Milieu :
« L’être aux jambes de la discipline rompues, chutera dans les états infortunés, même s’il est doté de la richesse de la générosité. »
De plus, sans discipline, on ne peut rencontrer l’enseignement authentique.
Dans Le Shastra de l’Acquisition de la Discipline, il est dit :
« Sans yeux, nous ne verrions pas les formes ; ainsi, sans discipline, nous ne reconnaîtrons pas le dharma. »
On ne peut non plus aller au-delà des trois sphères du monde.
Il est dit dans ce même sûtra :
« Sans jambe, nous ne pourrions pas parcourir un chemin ; de même, sans discipline, nous ne pourrons nous libérer ». …/…
Avec la discipline, on est comme une terre fertile sur laquelle la moisson des qualités positives peut devenir fructueuse.
Dans L’Introduction à la Voie du Milieu, il est dit :
« Quand les qualités positives mûrissent parfaitement dans le champ de la discipline, l’on jouit de leurs fruits sans interruption ».
Grâce à la discipline, de nombreuses formes de l’état d’absorption naîtront.
Il est dit dans Le sûtra de la Flamme Lunaire :
« Une parfaite discipline a pour bénéfice, l’obtention rapide d’un état d’absorption dénué de passions ».
Avec la discipline, tous les souhaits que l’on formulera se réaliseront.
Il est dit dans Le sûtra de la Rencontre du Père et des Fils :
« Quiconque garde une discipline parfaitement pure, verra tous ses souhaits s’accomplir ».
Grâce à la discipline, il est facile de réaliser l’éveil.
Dans ce même sûtra, il est dit :
« Une pure discipline ayant de multiples bienfaits, il ne sera pas difficile d’arriver à actualiser l’éveil ». …/…
2. L’essence de la discipline
La discipline dans son essence se constitue de quatre qualités.
Il est dit dans Les Degrés de Bodhisattva :
« Sachez que l’essence de la discipline, c’est posséder quatre qualités.
Quelles sont-elles ? Ce sont :
– Adopter comme modèle ce qui est excellent chez autrui ;
– Avoir une motivation extrêmement pure ;
– Rétablir la discipline si des transgressions interviennent ;
– Demeurer très attentif en développant le respect afin de ne pas endommager celle-ci ».
Ces quatre qualités se résument à acquérir et à garder. La première est à adopter et les trois dernières à observer.
3 Les catégories de la discipline
Il y en a trois catégories la discipline des vœux ; la discipline de la réunion des qualités positives et la discipline qui œuvre au bien des êtres.
La première stabilise l’esprit ; la seconde fait mûrir les courants de notre être et la troisième amène à pleine maturité les êtres.
4 Les caractéristiques de chaque type
1 – la discipline des vœux
Elle est de deux types : ordinaire et particulière.
la discipline ordinaire :
Elle consiste en les sept types de vœux de libération individuelle.
Il est dit dans Les Degrés de Bodhisattva :
« La discipline des vœux de bodhisattva est l’adoption parfaite d’un des sept types de vœux de libération individuelle d’ordre régulier ou séculier, c’est à dire la discipline de l’ordination majeure pour les hommes (gelong) ou pour les femmes (gelongma), la discipline de l’ordination probatoire pour les femmes (gelobma), des vœux monastiques mineurs pour les hommes (getsul) ou pour les femmes (getsulma) et celle des vœux séculiers pour les hommes (genyen) ou pour les femmes (genyenma). Il faudra aussi bien distinguer la vocation laïque de la vocation monastique »
Les actions fondées sur les tendances nuisibles à autrui sont empêchées par ces vœux. Les vœux de libération individuelle permettent de nous en détourner efficacement pour notre propre bien mais ceux de bodhisattva nous en écartent pour le bien d’autrui.
Dans Le Sûtra des Questions de Nârâyana, il est dit :
« La discipline n’est pas respectée pour acquérir un pouvoir temporel, une existence supérieure, l’état d’Indra, de Brahmâ, des richesses, la puissance, un aspect physique ou d’autres raisons du même ordre.
Elle n’est pas gardée non plus par crainte de l’horreur des états infernaux ou même des renaissances animales.
Elle n’est pas gardée par peur du monde de la mort.
Elle est par contre observée afin d’introduire autrui aux modalités de l’état de bouddha et tenue afin de prendre soin du bonheur et du bien de tous les êtres ».
la discipline particulière…/…
Le seigneur Serlingpa, se référant aux Degrés de Bodhisattva a exposé quant à lui, quatre actions semblables au cas de violation et quarante six fautes à abandonner.
En ce qui concerne les quatre actions similaires à une violation, il est dit dans Les Vingt Sections de l’Engagement, l’abrégé du sens des Degrés de Bodhisattva :
« (1) Se valoriser et déprécier autrui par attachement aux possessions et aux honneurs ;
(2) Ne pas donner, par avarice, l’enseignement ou des richesses à ceux qui souffrent et sont sans protection ;
(3) Si autrui dévoile ses fautes, ne pas en tenir compte et le réprimander par irritation ;
(4) Abandonner le mahâyâna et exposer un enseignement ayant de vagues ressemblances avec le dharma authentique ».
Les « quarante six fautes » y sont aussi mentionnés :
« Ne pas faire une triple offrande aux trois joyaux ; ne suivre que ce que nos désirs nous suggèrent, etc. ».
2 – la discipline de la réunion des qualités positives
Après avoir parfaitement adopté la discipline des vœux de bodhisattva en ayant pour objectif le vaste éveil, il convient d’acquérir toutes les vertus possibles à l’aide du corps et de la parole (et de l’esprit). Celles-ci se résument à la discipline de la réunion des qualités positives.
En quoi consiste-t-elle ?
Il est dit dans Les Degrés de Bodhisattva :
« En s’appuyant et en préservant la discipline de bodhisattva il faut s’appliquer à l’étude, la réflexion, la méditation et les joies de la solitude.
Il faut honorer et servir les maîtres spirituels; se mettre au service et assister les malades ; faire des dons excellents, louer les qualités ; se réjouir des karma excellents acquis par autrui et supporter leur mépris ; dédier nos bienfaits à l’éveil, faire des souhaits et des offrandes aux trois joyaux ; cultiver une attitude énergique et demeurer circonspect ; il faut retenir les instructions, se montrer consciencieux, contrôler l’action des sens et manger avec modération ; s’appliquer aux exercices spirituels en ne dormant pas pendant la première et la dernière partie de la nuit ; s’en remettre à des êtres éclairés et à un ami spirituel et ayant examiné ses erreurs, les dévoiler et s’en écarter.
La discipline qui regroupe les qualités positives, consiste en la pratique , la préservation et le parfait développement de ces différentes choses ».
3 – La discipline qui œuvre au bien des êtres
En bref, nous en retiendrons treize aspects.
Il est dit dans Les Degrés de Bodhisattva :
« (1) Participer à des activités qui ont un sens ;
(2) Dissiper les maux des êtres qui souffrent ;
(3) Enseigner des connaissances à ceux qui n’y ont pas accès ;
(4) Être reconnaissant du travail fait et rendre service en retour ;
(5) Protéger ceux qui ont peur,
(6) Dissiper les misères des êtres malheureux ;
(7) Pourvoir en biens matériels les nécessiteux ;
(8) Fournir un environnement propice à l’enseignement ;
(9) S’adapter aux mentalités,
(10) Se réjouir des qualités parfaites ;
(11) Accomplir les choses à la perfection ;
(12) Se méfier des miracles ;
(13) Œuvrer avec aspiration ».
D’autre part, les bodhisattva abandonneront les comportements impropres liés au corps, à la parole et à l’esprit et cultiveront ceux appropriés afin d’éveiller chez autrui la confiance et ne pas se causer du tort.
1 – les comportements impropres associés au corps :
Ce sont les sauts et les allures trépidantes inutiles ; ces attitudes inconvenantes et inopportunes devront êtres abandonnées.
2 – les comportements appropriés au niveau du corps :
Il s’agit de rester posé, doux et d’avoir le sourire.
Il est dit (Introduction aux Pratiques de Bodhisattva (V, 71)) :
« Soit maître de toi ; soit toujours souriant; rejette complètement les airs sombres, froncés et inamicaux ; soit cordial et chaleureux ».…/…
Lorsque nous prenons nos repas, comment doit-on manger ?
Il est dit (Introduction aux Pratiques de Bodhisattva (V, 92)) :
« Ne mange pas la bouche ouverte, pleine et bruyamment ».
Lorsque nous sommes actif, comment doit-on agir ?
Il est dit (Introduction aux Pratiques de Bodhisattva (V, 72)) :
« Ne déplace pas un siège négligemment et bruyamment, ne ferme pas les portes violemment et affectionne de rester humble et réservé. »
Quand nous nous endormons comment doit-on se coucher ?
Il est dit (Introduction aux Pratiques de Bodhisattva (V, 96)) :
« Allonge toi du côté souhaité, à l’exemple du protecteur (des êtres) reposant en nirvâna ».
3 – l’expression verbale impropre :
Il faut cesser d’être volubile et acerbe. Les Nuées des Rares et Sublimes Ârya expose les méfaits de n’être pas avare en paroles.
Il y est dit :
« La frivolité nous détourne vraiment du dharma authentique ;
L’esprit se fige et devient très versatile. Nous nous éloignons complètement de la paix de l’esprit et de la vision profonde ».
Tels sont les méfaits de priser les discussions.
N’avoir pas toujours du respect envers les lamas,
Prendre plaisir aux histoires indécentes, se complaire dans la futilité, nuit à l’intelligence supérieure.
Tels sont les défaut de se plaire à discourir.
En ce qui concerne les méfaits des paroles vives, il est dit dans Le Sûtra de la Flamme Lunaire :
« Même si nous voyons les autres commettre des erreurs,
Nous ne clamerons pas leurs méfaits, quelques qu’ils soient car nous produirions un karma similaire à l’acte en question et en conséquence, expérimenterions son résultat ».
Et dans Le Sûtra Exposant l’Absence d’Apparition de Tous les Dharma, il est dit :
« Quand un bodhisattva dénonce des manquements, il s’éloigne de l’éveil et s’il les révèle par jalousie, il s’en éloigne aussi ».
C’est pourquoi l’on abandonnera une expression verbale loquace et acérée.
4 – l’expression verbale appropriée :
Comment s’exprime-t-on de façon correcte ?
Il est dit :
« Lorsqu’on s’exprime, il convient de parler en accord avec notre pensée, d’une façon sensée, claire, plaisante, dépourvue de passion et d’agressivité, avec douceur et modération. »
5 – les attitudes mentales impropres
Elle se résument à l’attachement aux possessions et aux honneurs, l’attachement au sommeil et à l’indolence et autres attitudes similaires…/…
Dans Le Sûtra de la Rencontre du Père et des Fils, il est dit :
« Même si nous buvions de l’eau en rêve, cela n’étancherai pas notre soif ; de même, la quête d’expériences désirables se révélera insatisfaisante ».
En considérant cela, on saura restreindre ses envies et éprouver du contentement.
Quant aux méfaits de se plaire à dormir, il est dit :
« Celui qui se complaît dans le sommeil et l’apathie, verra son intelligence supérieure s’émousser fortement
et ses facultés intellectuelles en seront gravement affectées. Il portera constamment atteinte à l’intelligence immédiate »…/…
C’est pourquoi l’on abandonnera ces attitudes impropres de l’esprit.
6 – les attitudes mentales appropriées :
Elles consistent à demeurer dans la confiance et les autres qualités qui ont été exposées précédemment.
5 – l’amplification de la discipline
Elle est amplifiée par l’intelligence immédiate, par la connaissance supérieure, et par la dédicace comme cela a été exposé précédemment (pour le don).
6 – la purification de la discipline
Elle s’effectue quand la discipline repose sur la vacuité et la compassion tel que cela fut exposé précédemment (pour le don).
7 – les résultats de la discipline
Deux types sont à distinguer: les résultats contingents et l’ultime résultat.
(1) L’ultime résultat est l’obtention de l’éveil insurpassable.
Il est dit dans Les Degrés de Bodhisattva :
« Ainsi, les bodhisattva ayant accompli parfaitement la perfection de la discipline, réalisant l’insurpassable et parfait éveil, achèverons le véritable état de Bouddha ».
(2) En ce qui concerne les résultats contingents, sans même les désirer, on obtiendra les plus hauts bonheurs et bien-être du samsâra.
Il est dit dans Le Recueil des Bodhisattva :
« Shariputra, un bodhisattva à la discipline parfaitement pure, éprouvera immuablement les jouissances humaines et divines les plus sublimes ».
Sans se laisser éblouir par ces bonheurs et ce bien-être, on devra poursuivre son chemin vers l’éveil.…/…
Ceux qui intègrent la discipline seront honorés et loués par les hommes ainsi que par les non-humains.
Les Bouddhas auront toujours leur esprit tourné vers lui et l’autorité lui sera toujours conféré par les gens de ce monde et leurs dieux. »
Ainsi s’achève la section consacrée
À la perfection de la discipline
Chapitre treizième du joyau d’abondance du dharma
Le précieux ornement de la libération.
Extrait de « L’ornement de la libération », de Gampopa (Chapitre 13)
Gampopa (1079-1153)
Fils spirituel du grand Yogi tibétain Milarépa, est l’initiateur de la tradition monastique de l’école Kagyu du dharma du Tibet