Coopération

Thartang Tulkou

Nous sommes nombreux à partager notre temps de travail avec les autres, dans les bureaux, sur les chantiers, dans différentes activités professionnelles qui nécessitent une organisation collective. Dans cet espace relationnel, nous éprouvons toutes sortes de difficultés vis-à-vis de nos collaborateurs. Nous sommes pourtant tous conscients de la valeur d’une bonne coopération, nécessaire au progrès tant individuel que collectif.

C’est là aussi un véritable terrain d’apprentissage pour apprendre à mieux vivre nos émotions, dans le but d’améliorer la qualité de notre coopération.

La capacité de bien travailler avec les autres naît des qualités qui contribuent à une vie saine : stabilité, honnêteté, clarté, confiance intérieure et conscience bien centrée. En même temps que nous développons ces qualités, nous apprenons à partager avec les autres nos compétences et notre expérience ; ceci est le commencement de la coopération. A mesure que nous nous intéressons aux autres et les aidons avec ouverture de cœur, nous découvrons qu’ils nous répondent par un soutien réciproque.

Bien travailler avec les autres fait prendre conscience de la valeur unique de chaque individu, et apprécier la synthèse produite par la participation de plusieurs personnes à une tâche. La coopération libère une force vitale d’énergie créatrice qui peut amener des bienfaits très supérieurs à ceux que toute personne pourrait réaliser isolément. Le progrès, tant au niveau global qu’individuel, dépend de cette coopération.

Mais même si chacun de nous peut apprécier la valeur de la coopération, nous trouvons peut-être difficile de bien travailler avec les autres. L’un des obstacles les plus courants à la coopération est la tendance à penser que nos sentiments personnels et notre attitude ont plus d’importance que ceux des autres. Nous pouvons penser que nous réussirons mieux seuls, en canalisant notre énergie uniquement sur nos propres buts. Nous ne voyons pas que cette perspective égocentrique peut affecter nous-mêmes et les autres à différents niveaux.

Au début nous semblons peut-être faire du bon travail, cependant nous nous fermons et nous isolons. Nous ne partageons pas les informations utiles au travail des autres. Nous entretenons des jalousies mesquines qui mènent au ressentiment : des conflits personnels commencent à s’enraciner et grandir. Des désaccords mineurs évoluent en problèmes majeurs, jusqu’à ce que, finalement, bien travailler avec les autres devienne difficile – ou impossible. Sans la coopération qui nous réunit, notre travail et nos relations pâtissent, nous perdons de vue les délices et les bienfaits de travailler en collaboration étroite les uns avec les autres.

Une inaptitude à coopérer est souvent le résultat de processus de comportements formés pendant l’enfance, d’efforts égocentriques pour parvenir à nos fins et éviter ce dont nous ne voulons pas. Ces processus répétitifs peuvent faire surface dans notre manière de traiter les problèmes courants du travail, ou dans des relations qui se déroulent mal. Nos propres intérêts peuvent nous occuper tellement que nous ignorons l’importance de nos relations avec les autres. Par conséquent, nous nous fermons aux éléments essentiels de la coopération – regarder à l’extérieur de soi, s’ouvrir et, surtout, s’intéresser avec soin.

Peut-être essayons-nous d’être un peu plus ouverts à la maison, mais particulièrement au travail nous nous fermons aux gens avec qui nous travaillons, au travail, et même à nous. Afin d’atteindre nos objectifs ou protéger notre image personnelle, il se peut que nous essayions de manipuler ceux qui nous entourent. Nous pouvons aussi nous accrocher à une position, refuser de coopérer, parce que nous craignons de voir nos faiblesses révélées si nous lâchons prise et nous ouvrons aux autres. Et pourtant, c’est l’attachement à notre perspective égoïste qui nous empêche de réaliser notre potentiel d’intérêt attentif et de travail sans heurts avec ceux qui sont autour de nous. Nous ne voyons pas que la coopération est bien plus importante que le succès à défendre un point de vue.

Quand nous sommes disposés à apprendre à coopérer, nous ouvrons notre vie à l’expérience enrichissante de bien travailler avec les autres. La prochaine fois que vous aurez un conflit de travail avec quelqu’un, au lieu de vous concentrer sur votre colère et vos sentiments blessés, cherchez une solution positive au problème. C’est le moment de laisser tomber vos émotions et d’essayer de travailler ensemble, de sorte que même s’il y a désaccord, vous pouvez maintenir un lien de coopération. Pour cela, il faudra peut-être sacrifier l’occasion de donner libre cours à vos sentiments, de l’« emporter » dans la discussion. Si vous arrivez au contraire à vous détendre un peu, à devenir plus souple dans vos relations avec les autres, vous rendrez votre créativité naturelle libre d’élever la qualité de votre travail, approfondissant en vous l’intérêt attentif et la compréhension envers ceux avec qui vous travaillez.

Pour être capable d’une vraie coopération avec ceux qui nous entourent, nous avons aussi besoin de nous ouvrir à nous-mêmes – à notre corps, notre esprit, nos sens et nos sentiments. Quand nous reconnaissons les messages de ces sources, notre connaissance intérieure forme un pont entre nous et les autres. Nous acquérons une perspective plus large qui encourage le développement des relations positives, génératrices de soutien. Nous apprenons à être sensibles aux humeurs et aux sentiments ; nous savons ce que ressentent les autres et nous nous y intéressons. Nous remarquons le ton de leur voix ou la force de leur énergie, et sentons ainsi le moment et la manière de les approcher avec considération. A mesure que nous développons des perceptions plus claires et devenons plus sensibles aux autres, notre communication se fait plus ouverte et plus sincère.

Quand nous prenons le temps de partager connaissance et expérience avec nos amis et nos collègues de travail, ils se trouvent encouragés à bien faire et à développer leurs aptitudes. Le travail se déroule plus aisément et plus efficacement quand nous communiquons avec clarté et offrons une réponse honnête en retour à ce que nous renvoient les effets de notre comportement, quand nous nous soutenons mutuellement pour exprimer nos idées et prendre des décisions. Nous sentons un lien commun avec nos collègues, ce qui n’empêche pas les caractéristiques particulières d’être appréciées aussi ; les problèmes sont résolus sans heurts et les énergies de travail deviennent équilibrées. Ainsi, nous en venons à nous faire mutuellement confiance et développons une grande loyauté envers les intérêts de notre travail.

A mesure que les circonstances de travail deviennent toniques et productives – favorables à la croissance intérieure, l’honnêteté, la clarté et la coopération – ces qualités sont intégrées à tout ce que nous faisons. Nous devenons entièrement disposés à partager dans le travail. Nous arrivons à une confiance mutuelle, nous aidant les uns les autres à surmonter les obstacles, de sorte que le travail coule régulièrement, agréable pour tous. Nous unissons toutes nos énergies, nos idées, pour créer une force dynamique et puissante capable de réaliser des buts trop difficiles à atteindre seul. Travailler ensemble devient pour chacun une expérience de compréhension et de respect mutuels, une source de satisfaction illimitée et une inspiration créatrice.

La qualité de toute notre activité est rehaussée quand nous exprimons naturellement un intérêt attentif envers les autres. Laissons tomber nos vues égocentriques et travaillons avec un esprit ouvert, en harmonie avec ceux qui nous entourent. Nous commençons à ressentir une joie et une satisfaction profondes dans tous nos rapports. Notre croissance intérieure est accélérée par l’ouverture d’esprit, et nous voyons décliner problèmes et conflits non seulement dans notre propre vie, mais dans toute notre civilisation. Ainsi les bienfaits de la coopération éclairent la qualité de la vie pour toute l’humanité.

L’intérêt attentif et la coopération nous révèlent les nombreux plaisirs du travail, et le temps que nous passons au travail devient une source de stimulation et d’agrément. Les défis sont bien accueillis, le potentiel créateur se développe au travail et ailleurs. L’énergie est positive et gaie, elle déborde dans le reste de la vie ; les distinctions entre travail et temps libre diminuent à mesure que le travail est intégré dans une démarche de vie harmonieuse. Quand nous apprenons à coopérer vraiment, il n’y a pas de limite à ce que nous pouvons accomplir, et à la jouissance profonde que peut nous donner notre vie.

Extrait de « L’art intérieur du travail », Thartang Tulku © Ed. Dervy

 

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